Discours prononcé à l’occasion du centenaire de la naissance de Robert de Flers, à Pont-l’Évêque

Le 19 novembre 1972

Jacques RUEFF

Centenaire de la naissance de Robert de Flers

DISCOURS

prononcé à Pont-l’Évêque, le 19 novembre 1972
par

M. JACQUES RUEFF
délégué de l’Académie française
Chancelier de l’Institut

 

 

Mesdames,
Messieurs,

L’Académie m’a donné mandat de vous dire sa gratitude. Elle constate avec émotion la fidélité de votre admiration à l’égard d’un de ses membres que, plus que tout autre, elle a admiré et aimé.

Il était l’enfant terrible de notre Compagnie, dont il avait tracé, dans L’Habit vert, un portrait à peine outré, où elle avait plaisir à retrouver les traits qui la rendent si chère à ceux qui ont l’honneur de lui appartenir et si désirable à ceux qui souhaitent y entrer.

C’est, pour l’Académie française, une très ancienne tradition que d’être moquée. Elle venait à peine de naître que saint Evremond — un autre normand — lui décochait déjà sa Comédie des Académistes, qui se serait certainement appelée l’habit vert si cet auguste costume avait à l’époque existé.

C’est un cadeau princier que Robert de Flers a fait à la Normandie en choisissant de naître dans cette ville de Pont-l’Évêque dont son père était sous-préfet et qui a continué à marquer sa vocation artistique en se donnant pour Maire le peintre, fort et subtil, qu’est M. le docteur Burau.

Mais la naissance à Pont-l’Évêque, si fortuite qu’elle fût, puisqu’elle était la conséquence d’une affection administrative, ne pouvait pas ne pas apparaître comme l’expression d’une harmonie préétablie. Robert de Pellevé de la Motte-Ango, Marquis de Flers, se devait de naître en une province que, pendant huit siècles, les siens avaient illustrés, depuis le compagnon de Guillaume le Conquérant et les croisés qui avaient suivi en Palestine leur seigneur-duc, jusqu’à ce général de Flers qui, sous la République, avait continué à servir le pays et dont le nom glorieux est inscrit sous l’arc de triomphe.

Mais si, du côté paternel, il y avait des armures, le côté maternel apporta des habits verts. Il n’y avait pas moins de trois membres de l’Institut — deux des Inscriptions et Belles-Lettres, un des Sciences morales et politiques — dans la lignée maternelle de notre confrère. Habits verts et titres de noblesse, dont il s’est si largement servi dans son œuvre, étaient pour lui des « biens » de famille.

Ils produisent l’incomparable dialogue de la duchesse de Maulévrier, épouse frivole du directeur en exercice de l’Académie française, et du comte de Latour-Latour, seigneur de Latour-Latour, par Latour-Latour.

— « Si vous recommencez sur moi ce que vous avez fait tout à l’heure, lui dit la duchesse, vous êtes un grossier... mais si vous ne le recommencez pas, vous êtes un goujat. »

Il ne fut pas un goujat, mais il fut candidat à l’Académie. Car, « le candidat idéal, c’est celui qui n’a rien fait, qui n’a pas cédé à cette manie d’écrire, par laquelle se perdent tant d’hommes remarquables. Le candidat idéal, c’est celui que personne ne connaît et qui, en entrant à l’Académie, lui doit tout, car, sans elle, il ne serait rien ».

Hubert de Latour-Latour avoue cependant, un peu plus tard, que « depuis qu’il est à l’Académie, il se sent même de temps en temps l’envie d’écrire ».

Si le duc de Maulévrier était là, il me glisserait à mi-voix, après m’avoir dit, en manière de bienvenue, « je me porte bien », que la manie de parler n’est pas moins redoutable que la manie d’écrire. Aussi vais-je mettre un terme à ce modeste propos en remerciant, au nom de l’Académie française, la ville de Pont-l’Évêque, son éminent maire M. le docteur Burau, son conseil municipal et toutes ses autorités, de célébrer de façon si émouvante le centenaire de la naissance du confrère qui, par sa puissance créatrice, son intelligence et son charme, fut indiscutablement au cours du dernier siècle le produit le plus raffiné de l’esprit académique et de la culture française.

Je suis heureux que mon modeste hommage ait pu se joindre à tous ceux qui lui seront rendus au cours de cette semaine anniversaire où les descendants de ceux qui furent, il y a un siècle, ses concitoyens lui marqueront la fidélité de leur souvenir, la profondeur de leur admiration et la fierté qu’ils éprouvent à pouvoir le considérer comme le plus illustre des Pont-épiscopiens.