Harangue au Roi sur la mort de la Reine

Le 28 août 1683

François CHARPENTIER

HARANGUE au Roi sur la mort de la Reine, prononcée le 28 Août 1683, par Mr. CHARPENTIER.

 

SIRE,

Il est arrivé enfin dans la vie de VOTRE MAJESTÉ, un évènement dont il nous serait plus avantageux de nous taire que de parler. La Sagesse de vos conseils, la prospérité de vos Armes, vos Victoires, vos Triomphes, ont servi jusqu’à présent de matière à nos Discours ; nous n’avons été en peine que de trouver des paroles assez nobles pour répondre à la dignité de notre sujet. Aujourd’hui, SIRE, nous n’en saurions trouver qui répondent à l’excès de notre douleur, et l’occasion qui nous amène devant VOTRE MAJESTÉ semble ne demander que le silence. Il faut étouffer dans le fonds de nos cœurs nos plus tendres ressentiments, pour ne point aigrir la plaie dont toute la France vient d’être frappée. Il faut dérober à l’incomparable Reine que nous pleurons, les Éloges qui lui sont dus, de crainte de retracer à vos yeux les funestes images de sa mort précipitée. Pardonnez-moi donc, Divine Princesse, qui m’entendez du Ciel où vous serez désormais un des Anges tutélaires de la France, si parlant dans un Palais dont vous avez été le bonheur et l’ornement, je ne dis rien, ni de votre Auguste Naissance, ni de votre fervente Piété, ni de votre Tendresse cordiale envers les pauvres (Qualité si rare dans les personnes de votre rang) ni de votre heureuse fécondité qui a affermi le bonheur de l’État, ni de tous les autres avantages périssables que la Chair et le Sang vous avaient donnés, ni de toutes les Couronnes que vous avez portées, puisque vous en possédez une dans le sein de la Divinité qui efface l’éclat de toutes les autres ; Pardonnez-moi si je ne m’attache point à tant de titres sublimes, qui vous avaient élevée presque au-dessus de la condition humaine. Aussi-bien dans quel esprit pourrais-je l’entreprendre en présence de votre Auguste Époux ? Si c’est pour exagérer la grandeur de notre perte, ne l’a-t-il pas sentie plus vivement que nous ? Si c’est pour l’en consoler, Est-ce de nous qu’il attend les grandes révolutions qu’il sait prendre ? Non, SIRE, votre Confiance ne doit point être l’effet des exhortations d’un Orateur, Elle ne peut être que le fruit de votre propre courage. Tout est original dans les Héros comme vous. Ils font les grands exemples, ils ne les imitent point. Leurs actions sont les idées de nos préceptes, nos préceptes ne sont point les motifs de leurs actions. Le Ciel qui veille si visiblement sur votre Personne sacrée, et qui, vous a fourni les occasions d’exercer tant de Vertus de Magnificence et d’Eclat, vous devait aussi faire naître une occasion pour exercer votre Patience et votre Force. Il l’a fait, SIRE, en un temps que VOTRE MAJESTÉ ne s’y attendait pas. Il vous a surpris par cette visite douloureuse ; Eh ! combien de fois vous a-t-il surpris par des victoires et par des conquêtes au-delà de votre espérance ? Peut-être qu’en ce moment même il vous prépare quelque nouvelle gloire que toute la Prudence humaine ne saurait découvrir. C’est par ces coups imprévus, qu’il distingue du commun des Rois, ceux sur qui il imprime plus efficacement le sceau de sa toute-puissance. Il ne faut rien que de surprenant, il ne faut rien que d’extraordinaire dans une vie toute pleine de Miracles.

________

HARANGUE à Mr. le Dauphin sur la mort de la Reine, prononcée le même jour, par Mr. CHARPENTIER.

 

MONSEIGNEUR,

L’ACADÉMIE FRANÇAISE aurait fort désiré que la première fois qu’elle vous rend ses très humbles respects, c’eût été pour un sujet moins triste que celui-ci. Mais son devoir ne lui laissant pas la liberté du choix, elle se tient toujours très-honorée de paraître devant vous, en un temps où les premières Compagnies du Royaume s’empressent de vous témoigner la part qu’elles prennent à votre douleur. Les faveurs que nous avons reçues de LOUIS LE GRAND, ont surpassé nos espérances ; Et nous devrions vous en parler, si nous osions mêler notre Reconnaissance avec la Tristesse, et si vous pouviez maintenant écouter autre chose que des soupirs et des plaintes. La mort de notre Auguste Reine occupe aujourd’hui toutes vos pensées et toutes les nôtres ; Et nous croirions même faire un effort injuste, si nous voulions nous opposer aux mouvements de votre Tendresse et de votre Piété. Il faut, MONSEIGNEUR, nous laisser le temps de vous accoutumer à une séparation si amère et si peu attendue. Il faut vous laisser le temps de profiter des secours que vous pouvez tirer de la Philosophie et de l’Étude des belles Lettres. Véritablement MONSEIGNEUR, à vous regarder de ce côté-là vous paraissez invincible aux Passions, après vous êtes fortifié avec tant de soin contre toutes leurs attaques. Mais à dire la vérité, la Philosophie n’a point pour but, d’éteindre dans un bon cœur, tous les sentiments que la Nature inspire. Elle ne défend point au Sage de s’affliger quelquefois ; Elle ne prétend pas le transformer en une Plante insensible, ou en une Statue qui marche. Il est juste, il est honnête, de sentir vivement ces grandes pertes, qui ne se peuvent jamais réparer. Permettez-nous seulement de vous dire, MONSEIGNEUR, que le Fils de LOUIS LE GRAND ne doit point avoir de douleur inconsolable, tandis que le Ciel nous conservera son Auguste Père.

________

HARANGUE à Madame la Dauphine, sur la mort de la Reine, prononcée le même jour, par Mr. CHARPENTIER.

 

MADAME,

LA perte que la France vient de faire vous doit avoir été très sensible. Vous avez perdu la meilleure de toutes les Mères, nous avons perdu la plus vertueuse de toutes les Reines. Ceux qui s’approchent des personnes de votre rang en de pareilles occasions, semblent avoir dessein de les consoler. Oserai-je dire, MADAME, que c’est aujourd’hui tout le contraire, et que c’est vous qui nous consolez. Le Prince que vous nous avez donné, celui que nous attendons de vous, sont les remèdes infaillibles à notre douleur. Par ces gages précieux le Sang de Louis LE GRAND est assuré à nos Descendants. Il n’y a point de Tristesse qui puisse tenir contre cette pensée. D’ailleurs, MADAME qui peut nier que la Divine THÉRÈSE en disparaissant à nos yeux, ne soit entrée dans la Gloire ? C’est de là qu’elle obtiendra de nouveaux Triomphes à son Auguste Époux, à son cher Fils, et à toute votre Royale Postérité. Donnons donc à la Nature et à la Coutume, ces Larmes, ces Crêpes, et tout cet appareil funèbre ; Mais gardons-nous bien de pleurer à la manière ordinaire, une Princesse dont le Nom sera révéré sur nos Autels, et dont la Mort sera quelque jour une de nos Fêtes.