Compliment fait au Roi à son retour de la Conquête de Mons

Le 5 mai 1691

François CHARPENTIER

COMPLIMENT

fait au nom de l’Academie Française, pour être prononcé devant le Roi à son retour de la Conquête de Mons, par Mr. CHARPENTIER

 

SIRE,

VOTRE MAJESTÉ revient Victorieuse d’une entreprise, qui jette la consternation parmi vos Ennemis ; qui comble de joie vos fidèles sujets ; que les Nations éloignées n’apprendront qu’avec étonnement ; et que la Postérité trouvera presque incroyable. Vous partez, SIRE, devant le temps où l’Ecriture Sainte dit, [1]Que les Rois ont accoutumé d’aller à la Guerre. Vous mettez nos armées en Campagne dans la saison la plus aride de toute l’année ; mais votre Prévoyance fait naître la fertilité dans les Déserts et vos Soldats trouvent de quoi subsister abondamment sur les terres des Ennemis, où ils ont peine à subsister eux-mêmes. Tant de Princes conjurés contre VOTRE MAJESTÉ ne se sont assemblés que pour suivre le Char de votre Triomphe. La multitude et Faste, la Dignité de ces Têtes Couronnées, n’ont servi qu’à rendre votre Conquête plus éclatante. Tandis qu’ils tiennent des Conseils où la Jalousie a plus de part que la Prudence, VOTRE MAJESTÉ attaque à leur vue la plus importante de leurs Places, et la soumet en moins de temps que d’autres n’en auraient consumé aux préparatifs du Siege. Par-là vous rompez toutes les mesures qu’ils avaient prises, et vous les mettez hors d’état d’en prendre de nouvelles. Dans ce désordre universel de leurs affaires, ils proposent des remèdes dont ils appréhendent l’usage, et celui qui préside à leurs délibérations, n’a osé s’approcher du Foudre vengeur dont il redoute la justice. Ce n’est point, SIRE, dans l’Histoire qu’il faut chercher un évènement pareil à celui-ci. En quel siècle, en quelle partie du Monde trouvera-t-on un Roy, qui ait soutenu lui seul l’effort de tous les autres Potentats, et qui les ait vaincus, non point séparément, mais tous ensemble, et dans leur propre Pays ? Je m’imagine voir le Jupiter[2] d’Homère contre qui tous les Dieux se sont unis pour troubler la tranquillité de son Empire. Après leur avoir reproché la vanité de leur dessein, il leur fait voir par expérience que sa force est inébranlable, et tandis qu’ils tirent contre lui pour donner quelque secousse à l’immobilité de son Trône, il les enlève tous avec le Globe de la Terre et de la Mer ; tant il est vrai que la suprême Vertu n’a rien à redouter du Nombre. Votre Modération, SIRE, ne s’offensera point, si je le compare à celui que toute l’Antiquité a reconnu pour le souverain des Dieux, et si je compare aux autres Divinités tant de Puissances unies contre la Vôtre. Le langage du vrai Dieu que nous adorons, et devant qui VOTRE MAJESTÉ se prosterne tous les jours, ne refuse point ce titre aux Rois qu’il a établis sur la terre ; † Je l’ay dit, vous êtes des Dieux, et les Enfants du Très-Haut. C’est ainsi que s’explique l’Oracle Eternel, et c’est ce qui m’a donné la liberté d’appliquer cette Image mystérieuse du Ciel fabuleux, à la vérité des merveilles que nous voyons. Avec vos seules forces, SIRE, vous dissipez cette fameuse Ligue qui a moins eu pour objet d’arrêter le progrès des armes de VOTRE MAJESTÉ que de s’opposer à l’avancement de la Religion Catholique[3]. La fumée du puits de l’Abîme s’est élevée dans l’air et l’a obscurci. Elle a caché le Soleil à une partie des hommes et ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que les deux branches de la Maison d’Autriche, cette Maison qui a tiré tant d’avantages du titre du Catholique, se sont laissées aveugler à ces Ténèbres fatales, et n’ont point eu de répugnance à s’engager dans un parti où l’on fuit des maximes si opposées à celles qui ont fait l’établissement de leur grandeur et de leur gloire. On a mieux aimé introduire les Ennemis de la Foi dans des villes Catholiques, que de restituer à VOTRE MAJESTÉ le Patrimoine de ses enfants. Mais enfin, Dieu a prononcé sur ce grand différend. Il s’est expliqué par vos Victoires, et tant d’avantages remportés en divers endroits, ont été la récompense de votre Piété, et de votre Justice. De votre Piété, SIRE, pour avoir relevé tant d’Autels, rebâti tant d’Églises, et renversé jusqu’aux plus creux fondements les Temples d’un Culte Étranger. De votre justice, pour avoir tendu les bras à un Roy trahi et persécuté par ses Sujets, et par ses propres Enfants, et avoir été le seul Monarque de toute la Chrétienté, qui n’avez pu souffrir qu’il fût dépouillé de ses Royaumes, parce qu’il a trop de ferveur pour la pureté de l’ancienne Religion de ses Pères, et trop d’aversion pour l’impiété des Sectes nouvelles. Il n’en faut pas douter, SIRE, Dieu couronnera l’ouvrage de sa Providence. Il ne laissera point imparfaits les desseins qu’il vous a inspirés pour sa gloire et pour le bonheur de tout le Genre humain. Vous le venez d’éprouver[4]. Il a marché à la tête de vos armées. Il a fait fuir les Rois en votre présence. Il a humilié devant vous les Superbes de la Terre. Il a brisé les portes d’airain et les verrous d’acier, et a accompli de nouveau en votre Personne sacrée, ces grandes et magnifiques promesses qu’il fit autrefois par son Prophète, à un Roi qu’il avait choisi pour finir l’oppression de son peuple, et l’affranchir du joug d’un Usurpateur. L’Académie Française, SIRE, qui s’occupe toute entière de la grandeur de vos actions Héroïques, voit bien qu’elle pas assez de Palmes ni de Lauriers pour offrir à VOTRE MAJESTÉ qu’elle n’a pas assez de voix pour chanter vos louanges. Mais si l’impuissance d’égaler la noblesse de son sujet, la retient en deçà de la perfection, elle ose du moins se promettre que personne ne pourra égaler ses efforts, ni aller au-delà de son zèle pour célébrer la gloire de votre Nom, et pour consacrer à LIMMORTALITÉ les miraculeux évènements de votre Règne.

 

 

[1] Tempore quo solent reges ad bella procedere. 2. Reg. XI. I. Id eft. In vere quando pulsa frigoris asperitate pabula reperiuntur jumetrorum.

[2] Iliad.8. † Ego dixi, Dii estis et filii excelsi omnes. Pf.81.

[3] Ascendit sumus purei abyssi sicut sumus fornacis magnae, et obscuratus est foi et aër de umo putei. Apoc. 9.

[4] Ego ante te ibo gloriosos terrae humiliabo, portas aereas conteram et vectes ferreos confringam. Isaya 45.