Le triomphe national, ode

Le 25 août 1830

Népomucène LEMERCIER

LE TRIOMPHE NATIONAL,

ODE
LUE DANS LA SEANCE PUBLIQUE DU 25 AOUT 1830.
PAR M. NÉPOMUCÈNE LEMERCIER.
 

 

Que m’a révélé la nature ?
La liberté de l’homme est un décret de Dieu.
Peuple ! cette vérité pure,
Tu l’as par mille exploits gravée en traits de feu.

 

Toi seul tu sauvas la patrie
Atteinte en son honneur follement attaqué ;
Et la verbeuse théorie
N’a rien dit qu’en trois jours ton bras n’ait pratiqué.

 

Oui, seul, t’élançant dans l’arène,
Eu courageux athlète ayant levé le front,
Fie premier tu brisas la chaîne
Dont la molle prudence eut prolongé l’affront.

 

Oui, quand ta vaillance intrépide
Chercha dans le péril quelques chefs décorés,
Nul ne se déclara ton guide,
Et tes fils épuraient vaincre ou périr ignorés.

 

À l’ombre de toits pacifiques
Ta constance, vouée aux labeurs journaliers,
Sans bruit, des richesses publiques
Cultivait tous les fruits, nés de tes ateliers.

 

Tu formais tes fils et tes filles
À rehausser nos arts par les secrets nouveaux
Le pain acquis à tes familles
Contentait ta vertu souriant aux travaux.

 

Les lois dont l’égide te couvre
rassuraient ta raison contre de noirs projets.
Tu marchais calme, autour du Louvre,
D’où Charles-neuf maudit foudroya ses sujets.

 

Nulle discorde en nos murailles
N’attirait des combats l’appareil menaçant.
D’où part ce signal des batailles
Qui trouble en tes foyers ton repos innocent ?

 

Sont-ce des hordes étrangères,
Accourant de leur rage ensanglanter Paris ? 
Non, les panaches de tes frères
T’annoncent des Cains que repoussent tes cris.

 

Suppôts de la foi parjurée,
Gardiens des destructeurs du pacte social,
C’est sur la Charte déchirée
Qu’ils plantent leur drapeau lâchement martial.

 

Le courroux, plus que les alarmes,
Te saisit, peuple fier, dans tes droits outragé.
« Aux armes !... » mais tu n’as point d’armes,
Toi qui jettes ce cri, toi d’horreurs assiégé !

 

Que dis-je? ta colère active
En trouve, en forge, en livre à tous les bras vaillants
De la ville, qu’on croit captive,
Tout le sein se hérisse aux yeux des assaillants.

 

Ces beaux arbres de cent années,
Qui n’avaient point encor vu de tels attentats,
De leurs souches déracinées
Te forment des remparts, la terreur des soldats.

 

Leur foudre éclate, et ton sang coule :
Tuiles, grès et débris pleuvent partout sur eux.
Fougueux torrent, ta masse roule,
Et déborde leur troupe à flots tumultueux.

 

Tes miraculeuses tranchées
D’homicides pavés, arment des héros nus
Par qui déjà sont arrachées
Les lances des bourreaux par le fer soutenus.

 

À leur complicité vendue
Plus d’un brave indigné refuse son concours
Grâce à la ligne soit rendue
Sa neutralité sage est l’espoir d’un secours.

 

C’en est fait ! le canon qui tonne
Dénonce des tyrans les féroces désirs,
Et l’airain des temples qui sonne
Appelle la patrie à venger ses martyrs.

 

Est-il d’invincibles sicaires ?
Frappez-les, écrasons leur servile fureur.
Jamais les pâles mercenaires
Des libres citoyens n’ont l’unanime ardeur.

 

Sache donc, parti fanatique,
Qui vomis du dédain le mot le plus grossier,
Comment la canaille héroïque
Punit d’insolents chefs bardés d’or et d’acier.

 

Vois-tu cette élite chérie,
L’école de Thémis, le gymnase guerrier,
Guidant la civique furie
Dont s’enflamme le cœur du plus humble ouvrier ?

 

Moi-même, au fort de la tempête,
Des vengeurs fraternels je suis tous les hasards
Je cours leur dévouer ma tête,
Et mon nom publié la signale aux poignards.

 

Mais tous brûlent de noble ivresse.
La mort, volant partout, ne peut faire pâlir
Le jeune âge, ni la vieillesse,
Ni ce sexe adoré qu’Amour fait tressaillir.

 

Voyez, à travers les ruines,
Versant à leurs époux un breuvage vermeil,
Ces femmes, groupes d’héroïnes,
Sous l’éclair des mousquets, sous le feu du soleil.

 

Cet astre du dieu de mémoire,
À l’éclat des hauts faits prodiguant ses rayons,
Paraît fier d’éclairer la gloire
De si grands coups portés à d’épais bataillons.

 

Du Louvre forçant les barrières,
Peuple victorieux, fonds sur tes assassins.
Toi, Charles-neuf, en tes prières
Plains le Suisse appuyant ton émule et tes saints.

 

Mais du haut des monts d’Helvétie
Guillaume-Tell réprouve un si coupable effort
Il tend son arc, plane, et s’écrie
Il tend son arc, plane, et s’écrie
« Se vendre à l’injustice est mériter la mort. »

 

Roi proscripteur, la foule gronde.
Va fuis, tes lis sont morts, tes châteaux investis.
Paris voit, an sang qui l’inonde,
D’un parjure agresseur les titres engloutis.

 

Trois jours et deux nuits de carnage
D’un funèbre concert ont fait gémir les cieux
Dans le cours d’un si long orage,
Révoqua-t-il l’arrêt d’un massacre odieux ?

 

Quoi ! notre illustre capitale
Qu’un czar, vengeant Moscou, n’osa sacrifier,
Poussé de démence fatale
Un roi français la livre au bronze meurtrier !

 

O ministère sacrilége
Dont la fourbe imposait un catholique frein,
Flatteur du divin privilége,
Ton sanguinaire orgueil perdit ton souverain.

 

Hélas, cette Electre vivante,
Par la fatalité qui combla ses malheurs,
Sur les mers orpheline errante,
Charles d’un triple exil lui coûte encor les pleurs !

 

A-t-il quelques droits légitimes
Qu’un sophisme imposteur fasse encor vénérer ?
La légitimité des crimes,
Est-ce un dogme légal qu’on veuille consacrer ?

 

C’est un autre roi que réclame
La France souveraine et libre de son choix.
J’entends Paris qui le proclame
Jemmape et ses vertus l’élèvent au pavois.

 

L’âme de Washington réside
Dans le cœur d’un Français, héros américain
Unie au chef qui nous préside
Sur un trône appuyé du vœu républicain.

 

France, que l’Europe contemple,
Ne crains des nations aucuns ressentiments
La terre admire ton exemple
Qui rassied les États sur la foi des serments.

 

Tel qu’Océan, calmant ses ondes,
Rentre après la tourmente au lit accoutumé ;
Ton peuple à l’ordre que tu fondes,
O sagesse ! revient paisible et désarmé.

 

Ce peuple brave et charitable
A l’ennemi défait tend un bras généreux,
Et d’une tête inviolable
Protège le salut contre un choc désastreux.

 

O Lutèce, immortelle aînée
Des cités dont la force abat les oppresseurs !
Sans orgueil de ta destinée,
Joins ta palme au faisceau des lauriers de tes sœurs.

 

Sur les victimes de ta cause
Pleure, et vote un autel à leur commun cercueil :
Sans nom leur dépouille y repose.
Du plus pur dévouement leur seul prix est ton deuil.

 

Ah ! brisons la règle homicide
D’un pouvoir militaire aveugle à l’équité !
Malheur au glaive parricide
Que lève le soldat sur sa propre cité !

 

Des cours instrument déplorable,
Vaincu, triste, de tous il fuit l’inimitié ;
Et le repentir qui l’accable
Touche son vainqueur même et surprend sa pitié.

 

Tombe la majesté pompeuse,
Qui d’esclaves armés environne les rois !
Que, plus auguste et non trompeuse,
Règne en nos murs sauvés la majesté des lois.

 

Périsse l’espoir tyrannique
De rallier l’État, sorti de ses dangers,
À l’hérédité chimérique
De deux berceaux flottants aux mains des étrangers.

 

À la tige d’aucun despote
N’attachons les couleurs de l’étendard français.
Seul, d’un monarque patriote
Le sceptre populaire est garant de la paix.

 

Est-il besoin qu’un vain délire
De votre enthousiasme exalte les transports ?
Muses, célébrez sur la lyre
Le plus digne sujet de vos plus beaux accords.

 

Transmis par vos voix solennelles
Les vers législateurs instruisent l’avenir.
Chantez, et des cours criminelles
Par de graves leçons frappez le souvenir.

 

Que de ce même sanctuaire
S’élèvent des beaux-arts les accents irrités
Par les coups du royal tonnerre
Les forfaits sont inscrits sur vos murs insultés.

 

Chantez la lutte vengeresse
Du paisible artisan tout à coup belliqueux,
Et la magnanime jeunesse
Marchant, ardente et forte, aux combats comme aux jeux.

 

Chantez les enfants d’Hippocrate
Défendant nos blessés à la mort disputés ;
Chantez la splendeur dont éclate
L’iris de nos drapeaux : libres Muses ! chantez.

 

Chantez ces jours qu’Athène et Rome
Dans leurs siècles brillants nous auraient enviés.
Paris levé comme un seul homme,
Et l’altier despotisme expirant à ses pieds.

 

Gloire à l’héroïsme sublime
Qui détruit l’esclavage exécrable en tout lieu !
Triomphe, éternelle maxime !
« La liberté de l’homme est un décret de Dieu. »