Ode à la mémoire du comte de Souza

Le 25 août 1825

Népomucène LEMERCIER

ODE

À LA MÉMOIRE

DU COMTE DE SOUZA,

LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 25 AOUT 1825.

PAR M. NÉPOMUCÈNE L. LEMERCIER.

 

Tel que le mendiant Homère,
Qui d’Apollon tient le flambeau.
Camoëns, la pâle Misère,
Pire que Neptune et la Guerre,
Te traîna souffrant au tombeau.
L’exil, t’affligeant comme Ovide,
Désola tes jeunes amours :
Tu luttas errant comme Alcide
L’Océan te fut moins perfide
Que le souffle orageux des cours.

 

Antonio, dans les ténèbres,
T’a nourri d’un pain mendié :
Et, sourds à tes plaintes funèbres,
Les rois, les chefs que tu célèbres,
Sont dégradés par sa pitié.
Mémoire! à la honte éternelle
Livre de cupides Crésus,
Et porte à jamais sur ton aile
Le nom du serviteur fidèle
Quêtant pour le fils de Lusus!

 

Tes fers, tes exploits, ton naufrage,
Les crimes de tes oppresseurs,
Par nos arts aux nymphes du Tage
Redisent quel fut le courage
D’un favori des doctes Sœurs.
Des Templiers la muse austère
Grave ta gloire en vers touchants :
Au sein de ses martyrs tragiques
Meurent leurs hymnes héroïques;
Jamais ne cesseront tes chants.

 

Élève qu’un Zeuxis réclame,
À sa haute école attaché,
Maître habile, qui peignis l’âme
Qu’étonne une première flamme,
Sous l’aspect naïf de Psyché;
Toi qui figuras ma patrie
Accueillant son roi béarnais,
Du héros de la poésie
Dont la lyre explora l’Asie,
Gérard, tu ranimes les traits.

 

Du Pinde tu ceins la couronne
Au front de cet autre Annibal :
La clarté du jour abandonne
Un de ses yeux, que de Bellone
Éteint un javelot fatal.
Peu des amants de la déesse
Dans la tombe entrent tout entiers.
Tes pinceaux, trempés au Permesse.
Savent cacher avec adresse
Leurs blessures sous les lauriers.

 

Translateur des chants d’Ausonie
Didot, ton soin industrieux
Prête aux accents du beau génie
Qu’échauffa la Lusitanie
Tes caractères radieux :
Et leur symétrique harmonie,
Qu’étale un vélin précieux,
Semble rehausser les merveilles
Des vers qui charment nos oreilles.
Et les chanter même à nos yeux !

 

Qui fit concourir les prestiges
Et des crayons et du burin
A décorer tous les vestiges
D’un esprit fécond en prodiges
Que recueille un mobile airain?
Nouveau Linus, tes sons lyriques
Frappaient Souza d’enchantement...
C’est lui qui de tes chants épiques
T’érige, en types magnifiques,
Un mélodieux monument.

 

Que l’esclavage et les caprices,
Aux mânes des ambitieux
Dressant de muets édifices,
En consacrent les frontispices
A leur néant silencieux :
Il veut que tes strophes encore
S’animent, soupirent ton nom;
Comme, au retour de chaque aurore,
A jamais vivante et sonore;
Se plaint l’image de Memnon.

 

Des siècles remontant l’espace,
Son cœur sut à ton cœur s’unir.
Le nœud brillant qui vous enlace
En ami, marchant sur ta trace,
Va le montrer à l’avenir.
Sa grandeur libérale et fière
Verse tes écrits en purs dons :
Ainsi Phébé, dans sa carrière,
D’Apollon transmet la lumière,
Sans vendre aux mortels ses rayons.

 

De même, éditeur mémorable,
D’intérêt vulgaire affranchi,
De ton poète inséparable,
Tu rends à l’histoire, à la fable,
Son éclat par toi réfléchi :
Telle, quand de son char céleste
L’astre prodigue les ardeurs,
Diane, compagne modeste,
A son frère se manifeste
Par le reflet de ses splendeurs.

 

Ton art, ta vertu qu’il proclame,
Formaient votre double lien :
De tes jours l’héroïque trame
Offre en toi le génie et rame
Du poëte et du citoyen.
A l’heure où ton pays chancelle,
Il t’entend dire en expirant :
« Ma patrie, objet de mon zèle,
« Tombe.... au moins je meurs avec elle!»
Et Souza t’écoute en pleurant.

 

Celui qui fit de ses richesses
Un luxe à tes nobles travaux.
T’arrachant au lit des détresses.
Eût, par de plus amples largesses,
Payé le terme de tes maux.
Souza, chef de tes interprètes,
Te dispute, en prodiguant l’or,
Aux ans qui roulent sur nos têtes;
Ainsi qu’aux torrents des tempêtes
Tu ravis ton Adamastor.

 

Ce géant que bat la tourmente,
Tu l’as créé... je reconnais
Tes vieux fleuves, rivaux du Xanthe;
Je vois l’Amour, plein d’épouvante,
Couronnant le spectre d’Inès :
Voici l’Inde, ouvrant ses murailles
À Gama chanté par ta voix !
Et Clio, sur l’or des médailles...
Empreint ton titre et tes batailles
Comme les fastes des grands rois.

 

En vain, les noires Destinées,
Dont les rigueurs t’ont ennobli,
Avaient contre toi déchaînées
Des mers les vagues mutinées,
La Pauvreté, sœur de l’Oubli :
En vain, dans Lisbonne écrasée,
La terre entr’ouverte aux volcans,
De ta tombe en éclats brisée
T’arracha l’humble pierre usée
Sous les pieds ingrats des passants :

 

Ton poème échappe aux orages,
Ta mémoire à l’obscurité,
Ta muse à d’envieux outrages ;
Et, comme Arion, tu surnages,
Chantant pour la postérité.
Tel, bravant Saturne implacable,
mule impassible des dieux,
Le génie est impérissable :
Et lui seul, phénix véritable.
Renaît toujours plus glorieux.

 

Ton lime, au sein des maux trempée.
Sut tout vaincre: tu consacras
À ton pays ta noble épée,
À l’univers ton épopée,
Cher aux Muses comme à Pallas.
De ta Calliope aguerrie
Souza médite les accords:
Et montre avec idolâtrie
L’Argonaute de sa patrie
Divinisé par tes transports.

 

Joignez-vous dans les Élysées
Nobles Camoens et Souza!
Vos deux ombres fraternisées
Planeront immortalisées :
Un même honneur vous embrasa.
Chantre guerrier, tu dois sourire
A ton plus ardent zélateur :
Il nous lègue, en ornant ta lyre.
Des hauts sentiments qu’elle inspire
L’exemple régénérateur.

 

Un exemple, dis-je !... ah! peut-être,
Tant nos transports sont décevants,
Nous ne saurions pas reconnaître,
Si Phébus les faisait renaître,
Homère et Camoens vivants !
On applaudirait l’ignorance
Insultant leurs luths diffamés
Marsyas vaincrait leur puissance
On laisserait dans l’indigence
Ces pauvres, un jour renommés !

 

Poètes! méprisez l’envie !
Résistez au poids des douleurs :
La gloire couronne une vie
Errante, obscure, et poursuivie
Par l’injustice et les malheurs.
Que le cœur dicte vos ouvrages ;
Des cœurs méritez les tributs;
Et n’oubliez pas que les sages
Honorent de leurs purs hommages
Moins les talents que les vertus.

 

Le talent sait régler vos rimes,
Du goût prévenir les écarts;
Le feu des vertus magnanimes
Seul éclate en élans sublimes
Qui donnent l’essor aux beaux-arts :
C’est le trépied qu’un dieu conserve.
L’héroïsme et la liberté
Font d’une intarissable verve
Jaillir les sources où Minerve
Puise votre immortalité.