A quelques poëtes, pièce de vers

Le 13 août 1806

Évariste de FORGES de PARNY

A quelques poëtes,

PIÈCE DE VERS

LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 13 AOUT 1806 ,

PAR M. DE PARNY.

 

 

Les vers sont la langue des dieux ,
Dites-vous; toujours libre et fière ,
Loin de l’idiome vulgaire
Elle s’élance dans les cieux.

Eh bien , soit; comme vous sans doute
Là-haut l’on parle , et l’on écoute.
Mais sur la terre descendus ,

Les dieux , quand leur esprit est sage ,
Désenflent pour nous leur langage ,
Et veulent bien être entendus.
Toujours sur la plage homérique
On voit l’Olympe , ainsi qu’Argos;
Ennemi franc et très-épique
Des murs troyens et du pathos :
Jupiter , dont la voix suprême
D’un mot ébranle l’univers ,
Dans Virgile adoucit ses vers;
Éole , Mars , Alecton même ,
Y sont purs , élégants et clairs.
Daignez n’être pas plus sublimes;
Comme eux humanisez vos rimes;
A leurs prêtres échevelés

Laissez le style des miracles ,
Et l’obscurité des oracles
Sur le trépied menteur hurlés
L’énigme , permise aux prophètes ,
Ne l’est pas encore aux poëtes.

Le génie a d’antiques droits ,
D’accord ; mais la langue a des lois.
Vous accusez son indigence ,
Sa faiblesse; et malgré ses torts
Des peuples la reconnaissance
Adopte et répand ses trésors.
Par vos témérités nouvelles
Prétendez-vous de nos modèles
Vieillir les vers et les leçons ?
Qu’à leurs pieds tout orgueil fléchisse;
Devant eux calmez les frissons
De votre fièvre créatrice;

De grâce , messieurs , moins d’effets!
Moins de fracas , moins de merveilles ,
Et par pitié pour les oreilles ,
Parlez français à des Français.

Trop divin , si votre délire
Ne peut ainsi s’humilier ,
Si cette plume et ce papier
Que vous appelez votre lyre ,
Brûlants et célestes pour vous ,
Sont bizarres et froids pour nous ,
Partez , abandonnez la terre ,
Dans vos poétiques ballons ,
Sur l’aile de vos aquilons
Volez par delà le tonnerre ,
Et restez-y; car ici-bas
L’excès du grand est ridicule ,
Et l’homme sans trop de scrupule
Siffle des dieux qu’il n’entend pas.

Racine , ce roi du Parnasse ,
Est toujours vrai dans son audace
Et dans sa force toujours pur.
Anathème au poëte obscur!
S’il est bouffi , double anathème!
Que sont les sulfureux éclairs
Pour la raison , juge suprême
De notre prose et de nos vers?
Ses arrêts que le goût proclame ,
D’abord faiblement écoutés
Par le temps sont exécutés.
Elle annule et flétrit du blâme
L’hymen brusque et forcé de mots
Dont l’éclat , cher à l’ignorance ,
Aux yeux du bon sens qu’il offense
N’est qu’un jour importun et faux ,
Une pénible extravagance ,
Un vain effort de l’impuissance ,
Et le crime des vers nouveaux.