Réponse au discours de réception de M. de Bussy-Rabutin

Le 6 mars 1732

Bernard LE BOUYER de FONTENELLE

Réponse de M. de FONTENELLE, Directeur de l’Académie Françoise, au Difcours de M. l’Évêque de Luçon.

 

MONSIEUR,

 

Il arrive quelquefois que fans examiner les motifs de notre conduite, on nous accufe d’avoir dans nos élections beaucoup d’égard aux noms & aux dignités, & de fonger du moins autant à décorer notre Lifte, qu’à fortifier folidement la Compagnie. Aujourd’hui nous n’avons point cette injufle accufation à craindre ; il eft vrai que vous portez un beau nom ; il eft vrai que vous êtes revêtu d’une dignité refpectable ; on ne nous reprochera cependant ni l’un ni l’autre. Le nom vous donneroit prefque un droit héréditaire ; la dignité vous a donné lieu de fournir vos véritables titres, ces Ouvrages où vous avez traité des matières qui, très-épineufes par elles-mêmes, le font devenues encore davantage par les circonftances préfentes. Beaucoup d’autres Ouvrages du même genre ont effuyé de violentes attaques, dont les vôtres fe font garantis par eux-mêmes ; mais, ce qu’il nous appartient le plus particulièrement d’obferver, il y règne cette beauté de ftyle, ce génie d’éloquence dont nous faifons notre principal objet.

Nous voyons déjà combien notre choix eft applaudi par ce monde plus poli & plus délicat, qui peut-être ne fait pas trop en quoi confifte notre mérite académique, mais qui fe connoît bien en efprit. Ce monde où vous êtes né, & où vous avez vécu, ne fe laffe point de vanter les agrémens de votre converfation & les charmes de votre fociété. Nous croirons aifément que ces louanges vous touchent peu, foit par l’habitude de les entendre, foit parce que la gravité de votre caractère peut vous les faire méprifer ; mais l’Académie eft bien aife que fes membres les méritent, elle que fon nom d’Académie Françoife engage à cultiver ce qui eft le plus particulier aux François, la politeffe & les agrémens.

Ici, Monsieur, je ne puis réfifter à la vanité de dire que vous n’avez pas dédaigné de m’admettre au plaifir que votre commerce faifoit à un nombre de perfonnes mieux choifies, & je rendrois grace avec beaucoup de joie au fort qui m’a mis en place de vous en marquer publiquement ma reconnoiffance, fi ce même fort ne me chargeoit auffi d’une autre fonction très-douloureufe & très-pénible.

Il faut que je parle de votre illuftre Prédéceffeur, d’un ami qui m’était extrêmement cher, & que j’ai perdu ; il faut que j’en parle, que j’appuie fur tout ce qui caufe mes regrets, & que je mette du foin à rendre la plaie de mon cœur encore plus profonde. Je conviens qu’il y a toujours un certain plaifir à dire ce que l’on fent ; mais il faudroit le dire dans cette Affemblée d’une manière digne d’elle, & digne du fujet ; & c’eft à quoi je ne crois pas pouvoir fuffire, quelqu’aidé que je fois par un tendre fouvenir, par ma douleur même, & par mon zèle pour la mémoire de mon ami.

Le plus fouvent on eft étrangement borné par la nature. On ne fera qu’un bon Poëte, c’eft être déja affez réduit ; mais de plus on ne le fera que dans un certain genre ; la Chanfon même en eft un où l’on peut fe trouver renfermé. M. de la Motte a traité prefque tous les genres de Poëfie. L’Ode étoit affez oubliée depuis Malherbe ; l’élévation qu’elle demande, les conraintes particulières qu’elle impofe, avoient caufé fa difgrace, quand un jeune inconnu parut fubitement avec des Odes à la main, dont plufieurs étoient des chefs-d’œuvres & les plus foibles avoient de grandes beautés. Pindare dans les fiennes eft toujours Pindare, Anacréon toujours Anacréon, & ils font tous deux très-oppofés. M. de la Motte, après avoir commencé par être Pindare, fut devenir Anacréon.

Il paffa au Théâtre tragique, & il y fut univerfellement applaudi dans trois Pièces de caractères différens. Les Machabées ont le fublime & le majeftueux qu’exige une Religion divine. Romulus repréfente la grandeur romaine naiffante, & mêlée de quelque férocité. Inès de Caftro exprime les fentimens les plus tendres, les plus touchans, les plus adroitement puifés dans le fein de la nature. Auffi l’hiftoire du Théâtre n’a-t-elle point d’exemple d’un fuccès pareilà celui d’Inès. C’en eft un grand pour une Pièce, que d’avoir attiré une fois chacun de ceux qui vont aux fpectacles. Inès n’a peut-être pas eu un feul fpectateur qui ne l’ait été qu’une fois. Le défir de la voir renaiffoit après la curiofité fatisfaite.

Un autre Théâtre a encore plus fouvent occupé le même Auteur ; c’eft celui où la Mufique s’unifiant à la Poëfie, la pare quelquefois, & la tient toujours dans un rigoureux esclavage. De grands Poëtes ont fièrement méprifé ce genre, dont leur génie trop roide & trop inflexible les excluoit ; & quand ils ont voulu prouver que leur mépris ne venoit pas d’incapacité, ils n’ont fait que prouver par des efforts malheureux, que c’eft un genre très-difficile. M. de la Motte eût été auffi en droit de le méprifer ; mais il a fait mieux, il y a beaucoup réuffi. Quelques-unes de fes Piéces, car, fuffent-elles toutes d’un mérite égal, le fuccès dépend ici du concours de deux fuccès, l’Europe Galante, Iffé, le Carnaval & la Folie, Amadis de Grèce, Omphale, dureront autant que le Théâtre pour lequel elles ont été faites, & elles feront toujours partie de ce corps de réferve qu’il fe ménage pour fes befoins.

Dans d’autres genres que M. de la Motte a embraffés auffi, il n’a pas reçu les mêmes applaudiffemens. Lorfque fes premiers ouvrages parurent, il n’avoit point paffé par de foibles effais; propres feulement à donner des efpérances, on n’étoit point averti, & on n’eut pas le loifir de fe précautionner contre l’admiration Mais dans la fuite en fe tint fur fes gardes, on l’attendoit avec une indifpofition fecrette contre lui ; il en eût coûté trop d’eftime pour lui rendre une juftice entière. Il fit une Iliade, en fuivant feulement le plan général d’Homère, & on trouva mauvais qu’il touchât au divin Homère fans l’adorer. Il donna un recueil de Fables, dont  il avoit inventé la plupart des fujets ; & on demanda pourquoi il faifoit des Fables après la Fontaine. Sur fes raifons on prit la réfolution de ne lire ni l’Iliade, ni les Fables, & de les condamner.

Cependant on commence à revenir peu à peu fur les Fables, & je puis être témoin qu’un affez grand nombre de perfonnes de goût avouent qu’elles y trouvent une infinité de belles chofes, car on n’ofe encore dire qu’elles font belles. Pour l’Iliade, elle ne paroît pas jufqu’ici fe relever, & je dirai le plus obfcurément qu’il me fera poffible, que le défaut le plus effentiel qui l’en empêche, & peut-être le feul, c’eft d’être l’Iliade. On lit les Anciens par une efpèce de devoir, on ne lit pas les Modernes que pour le plaifir, & malheureufement un trop grand nombre d’Ouvrages nous ont accoutumé à celui des lectures intéreffantes.

Dans la grande abondance de preuves que je puis donner de l’étendue & de la variété du talent de M. de le Motte, je néglige les Comédies, qui, quoiqu’en profe, appartiennent au génie poétique, & dont l’une a été tout nouvellement tirée de fon premier état de profe, pour être élevée à la dignité de pièce en vers, fi cependant c’étoit une dignité felon lui, mais enfin c’étoit toujours un nouveau ftyle, auquel il favoit fe plier.

Cette efpèce de dénombrement de fes ouvrages poétiques ne les comprend pas encore tous. Le Public ne connoît ni un grand nombre de fes Pfeaumes & de fes Cantates fpirituelles, ni des Eglogues qu’il renfermoit, peut-être par un principe d’amitié pour moi, ni beaucoup de Pièces galantes enfantées par l’amour ; mais par un amour d’une efpèce fingulière, pareil à celui de Voiture pour Mademoifelle de Rambouillet, plus parfaitement privé d’efpérance, s’il eft poffible, & fans doute infiniment plus difproportionné. Il n’a manqué à un Poëte fi univerfel qu’un feul genre, la Satyre, & il eft plus glorieux pour lui qu’elle lui manque, qu’il ne l’eft d’avoir eu tous les autres genres à fa difpofition.

Malgré tout cela, M. de la Motte n’étoit pas Poëte, ont dit quelques-uns, & mille Echos l’ont répété. Ce n’étoit point un enthoufiafme involontaire qui le faisît, une fureur divine qui l’agitât ; c’étoit feulement une volonté de faire des vers, qu’il exécutoit, parce qu’il avoit beaucoup d’efprit. Quoi ! ce qu’il y aura de plus eftimable en nous, fera-ce donc ce qui dépendra le moins de nous, ce qui agira le plus en nous fans nous-mêmes, ce qui aura le plus de conformité avec l’inftinct des animaux ? car cet enthoufiafme, cette fureur bien expliquée, fe réduiront à de véritables inftincts. Les Abeilles font un ouvrage bien entendu à la vérité, mais admirable feulement en ce qu’elles le font fans l’avoir médité & fans le connoître. Eft-ce là le modèle que nous devons nous propofer, & ferons-nous d’autant plus parfaits, que nous en approcherons davantage ? Vous ne le croyez pas, Messieurs, vous favez trop qu’il faut du talent naturel pour tout, de l’enthoufiafme pour la Poëfie, mais qu’il faut en même temps une raifon qui préfide à tout l’ouvrage, affez éclairée pour favoir jufqu’où elle peut lâcher la main à l’enthoufiafme, & affez ferme pour le retenir quand il va s’emporter. Voilà ce qui rend un grand Poëte fi rare ; il fe forme de deux contraintes heureufement unis dans un certain point, non pas tout-à-fait indivifible, mais affez jufte. Il refte un petit efpace libre, où la différence des goûts aura quelque jeu. On peut défirer un peu plus ou un peu moins, mais ceux qui n’ont pas formé le deffein de chicaner le mérite, & qui veulent juger fainement, n’infiftent guère fur ce plus ou ce moins qu’ils défireroient, & l’abandonnent, ne fût-ce qu’à caufe de l’impoffibilité de l’expliquer.

Je fai ce qui a le plus nui à M. de la Motte. Il prenoit fouvent fes idées dans des fources affez éloignées de celle de l’Hippocrène, dans un fond peu connu de réflexions fines & délicates, quoique folides ; en un mot, car je ne veux rien diffimuler, dans la Métaphyfique même & dans la Philofophie. Quantité de gens ne fe trouvoient plus en pays de connoiffance, parce qu’ils ne voyoient plus Flore & les Zéphirs, Mars & Minerve, & tous ces autres agréables & faciles riens de la Poëfie ordinaire. Un Poëte fi peu frivole, fi fort de chofes, ne pouvoit pas être un Poëte ; accufation plus injurieufe à la Poëfie qu’à lui. Il s’eft répandu depuis un efprit philofophique prefque tout nouveau, une lumière qui n’avoit guère éclairé nos ancêtres, & je ne puis nier aux ennemis de M. de la Motte, qu’il n’eût été vivement frappé de cette lumière, & n’eût faifi avidement cet efprit. Il a bien fu cueillir les fleurs du Parnaffe ; mais il y a cueilli auffi, ou plutôt il y a fait naître des fruits qui ont plus de fubftance que ceux du Parnaffe n’en ont communément. Il a mis beaucoup de raifon dans fes Ouvrages, j’en conviens ; mais il n’y a pas mis moins de feu, d’élévation, d’agrément que ceux qui ont le plus brillé par l’avantage d’avoir mis dans les leurs moins de raifon.

Parlerai-je ici de cette foule de Cenfeurs que fon mérite lui a fait ? Seconderai-je leurs intentions en leur aidant à fortir de leur obfcurité ? Non, Messieurs, non, je ne puis m’y réfoudre ; leurs traits partoient de trop bas pour aller jufqu’à lui. Laiffons-les jouir de la gloire d’avoir attaqué un grand nom, puifqu’ils n’en peuvent avoir d’autre ; laiffons-les jouir du vil profit qu’ils en ont efpéré, & que quelques-uns cherchoient à accroître par un retour réglé de critiques injurieufes. Je fai cependant que même en les méprifant, car non ne peut s’en empêcher, on ne laiffe pas de recevoir d’eux quelques expreffions ; on les écoute, quoiqu’on ne l’ofe le plus fouvent, du moins fi on a quelque pudeur, qu’après s’en être juftifié par convenir de tous les titres odieux qu’ils méritent. Mais toutes ces impreffions qu’ils peuvent produire, ne font que très-paffagères ; nulle force n’égale celle du vrai. Le nom de M. de la Motte vivra, & ceux de fes injuftes Cenfeurs commencent déja à fe précipiter dans l’éternel oubli qui les attend.

Quand on a été le plus avare de louanges fur fon fujet, on lui a accordé un premier rang dans la Profe, pour fe difpenfer de lui en donner un pareil dans la Poëfie ; & le moyen qu’il n’eût pas excellé en Profe, lui qui avec un efprit nourri de réflexions, plein d’idées bien faines & bien ordonnées, avoit une force, une nobleffe & une élégance fingulière d’expreffion, même dans fon difcours ordinaire.

Cependant cette beauté d’expreffion, ces réflexions, ces idées, il ne les devoit prefque qu’à lui-même. Privé dès fa jeuneffe de l’ufage de fes yeux & de fes jambes, il n’avoit pu guère profiter, ni du grand commerce du monde, ni du fecours des livres. Il ne fe fervoit que des yeux d’un neveu, dont les foins conftans & perpétuels pendant 24 années qu’il a entièrement facrifiées à fon oncle, méritent l’eftime & en quelque forte la reconnoiffance de tous ceux qui aiment les Lettres, ou qui font fenfibles à l’agréable fpectacle que donnent des devoirs d’amitié bien remplis. Ce qu’on peut fe faire lire ne va pas loin ; & M. de la Motte étoit donc bien éloigné d’être favant ; mais fa gloire en redouble. Il feroit lui-même dans la difpute des Anciens & des Modernes un affez fort argument comme l’indifpenfable néceffité dont on prétend que foit la grande connoiffance des Anciens, fi ce n’eft qu’on pourroit fort légitimement répondre qu’un homme fi rare ne tire pas à conféquence.

Dans les grands hommes, fur-tout dans ceux qui en méritent uniquement le titre par des talens, on voit briller vivement ce qu’ils font ; mais on fent auffi, & le plus fouvent fans beaucoup de recherche, ce qu’ils ne pourroient pas être ; les dons les plus éclatans de la nature ne font guère marqués en eux que ce qu’elle leur a refufé. On n’eût pas facilement découvert de quoi M. de la Motte étoit incapable. Il n’étoit ni Phyficien, ni Géomètre, ni Théologien ; mais on s’appercevoit que pour l’être, & même à un haut point, il ne lui avoit manqué que des yeux & de l’étude. Quelques idées de ces différentes fciences qu’il avoit recueillies çà & là, soit par un peu de lecture, foit par la converfation d’habiles gens, avoient germé dans fa tête, y avoient jetté des racines, & produit des fruits furprenans par le peu de culture qu’ils avoient coûté. Tout ce qui étoit du reffort de la raifon étoit du fien ; il s’en emparoit avec force, & s’en rendoit bientôt maître. Combien ces talens particuliers, qui font des efpèces de prifons fouvent fort étroites, d’où un génie ne peut fortir, feroient-ils inférieurs à cette raifon univerfelle, qui contiendroit tous les talens, & ne feroit affujettie par aucun, qui d’elle-même ne feroit déterminée à rien, & fe porteroit également à tout ?

L’étendue de l’efprit de M. de la Motte embraffoit jufqu’aux agrémens de la converfation, talent dont les plus grands Auteurs, les plus agréables même dans leurs ouvrages, ont été fouvent privés, à moins qu’ils ne redevinffent en quelque forte agréables par le contrafte perpétuel de leurs ouvrages & d’eux-mêmes. Pour lui il apportoit dans le petit nombre de fes fociétés, une gaieté ingénieufe, fine & féconde, dont le mérite n’étoit que trop augmenté par l’état continuel de fouffrance où il vivoit.

Il n’y a jamais eu qu’une voix à l’égard de fes mœurs, de fa probité, de fa droiture, de fa fidélité dans le commerce, de fon attachement à fes devoirs ; fur tous ces points la louange a été fans reftriction, peut-être parce que ceux qui fe piquent d’efprit ne les ont pas jugés affez importans, & n’y ont pas pris beaucoup d’intérêt. Mais je dois ajouter ici, qu’il avoit les qualités de l’ame les plus rarement unies à celles de l’efprit dans les plus grands Héros des lettres. Ils font fujets, ou à une baffe jaloufie qui les dégrade, ou à un orgueil qui les dégrade encore plus en les voulant trop élever. M. de la Motte approuvoit, il louoit avec une fatisfaction fi vraie, qu’il fembloit fe complaire dans les talens d’autrui. Il eût acquis par-là le droit de fe louer lui-même, fi on pouvoit l’acquérir. Ce n’eft pas que les défauts lui échapaffent ; & comment l’auroient-ils pu ? Mais il n’étoit pas touché de la gloire facile, & pourtant fi recherchée de les découvrir, & encore moins de celle d’en publier la découverte. Sévère dans le particulier pour inftruire, il étoit hors de-là très-indulgent pour encourager. Il n’avoit point établi dans fa tête fon ftile pour règle de tous les autres ftiles ; il favoit que le beau ou l’agréable font rares, mais felon fes idées particulières, n’en avoit pas moins droit de le toucher, & il fe préfentoit à tout, bien exempt de cette injuftice du cœur qui borne & qui refferre l’efprit. Auffi étoit-ce du fond de fes fentimens qu’il fe répandoit fur fes principaux écrits une certaine odeur de vertu, délicieufe pour ceux qui en peuvent être frappés. Qu’un Auteur qui fe rend aimable dans fes ouvrages, eft au-deffus de celui qui ne fait que s’y rendre admirable !

Un des plus célèbres incidens de la querelle fur Homère, fut celui où l’on vit paroître dans la Lice, d’un côté le Savoir, fous la figure d’une Dame illuftre, de l’autre l’Efprit, je ne veux pas dire la Raifon, car je ne prétends point toucher au fond de la difpute, mais feulement à la manière dont elle fut traitée. En vain le Savoir voulut fe contraindre à quelques dehors de modération dont notre fiècle impofe la néceffité, il retomba malgré lui dans fon ancien ftile, & laiffa échapper de l’aigreur, de la hauteur & de l’emportement. L’Efprit au contraire fut doux modefte, tranquille, même enjoué toujours refpectueux pour le vénérable Savoir, & encore plus pour celle qui le repréfentoit. Si M. de la Motte eût pris par art le ton qu’il prit, il eût fait un chef-d’œuvre d’habileté ; mais les efforts de l’art ne vont pas fi loin, & fon caractère naturel eut beaucoup de part à la victoire complette qu’il remporta.

Je fens bien, Messieurs, que je viens de faire un éloge peu vraifemblable, & je ne crains pas cependant que l’amitié m’ait emporté au-delà du vrai ; je crains feulement qu’elle ne m’ait pas infpiré affez heureufement, on ne m’ait engagé à un trop long difcours. Si M. de la Motte étoit encore parmi nous, & que je me fuffe échappé à parler auffi long-temps, je le prierois de terminer la féance felon fa coutume par quelqu’une de fes productions, & vous ne vous feriez féparés qu’en applaudiffant, ainfi que vous avez fait tant de fois. Mais nous ne le poffédons plus, il faut bien que nous nous attendions à le regretter fouvent.