Discours de réception de François Charpentier

Le 7 janvier 1651

François CHARPENTIER

DISCOURS prononcé par Mr. CHARPENTIER le ſeptieme Janvier 1651. lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. Baudoin.

 

MESSIEURS,

QUAND le remercîment que je vous fais ne ſeroit point de la coûtume & que l’exemple de tant d’excellens hommes que vous avez reçûs devant moy dans cette fameuſe Académie, ne m’enſeigneroit point mon devoir, je me ſentirois particulierement obligé de vous témoigner ma reconnoiſſance dans l’occaſion preſente, puiſque le rang que vous m’accordez entre vous ne peut être conſideré que comme une pure grace. Le merite & l’importance de cette Aſſemblée me l’ont toujours fait regarder avec tant d’eſtime, ou pour mieux dire, avec tant de veneration, que je me contentois bien d’en être admirateur, ſans prétendre en faire partie. Je ſçavois trop bien mon foible, pour avoir la vanité de ſonger à une place, qui ne doit être remplie que par un homme d’un merite extraordinaire :je ſçavois trop bien ce qu’il falloit être, pour s’approcher du lieu où vous êtes, & les perſonnes que je vous ay vû choiſir, ont été toûjours ſi celebres, que j’avois crû que vous euſſiez reſolu de ne donner jamais vôtre voix qu’à ceux qui avoient eu pour eux la voix de toute la France. Auſſi lorſqu’on m’a permis d’aſpirer à l’honneur que vous me faîtes maintenant, on m’a fait naître des penſées qui ne s’étoient jamais élevées dans mon ame, que la connoiſſance de mes défauts ne les eût auſſitôt aſſoupies ; on a réveillé mon ambition, qui s’étoit déjà bornée à de moindres eſperances, & je me ſuis vu aſſuré d’un bien, pour lequel je me reputois temeraire d’avoir autrefois formé des ſouhaits. Certes, ſi j’avois bien profité des enſeignements du grand Socrate, & ſi ſa doctrine avoit penetré auſſi avant dans mon ame, qu’il ſeroit à deſirer pour moy, peut-être que je ne devois pas me rendre ſi facilement à la tentation d’une gloire ſi peu méritée. Je devois me défier d’une fortune qui m’emporte dans une trop vaſte carriere ; en un mot, je devois craindre, comme dit le Philoſophe, de m’engager au-delà de mes forces, & de paroître ce que je ne ſuis pas. Car enfin, MESSIEURS, de quelque côté que je me regarde, je ne trouve rien en moy qui réponde à la dignité de vôtre élection. Je ne me vois point de qualitez qui m’aident à ſoûtenir celle que vous me donnez, & je ne ſens que trop que cette précieuſe charge m’eſt un poids auſſi bien qu’un ornement.

 

Mais que ſerviroit-il de vous le déguiſer, l’amour propre l’a emporté ſur la Philoſophie, & ſur la conſideration qui eût été la plus modeſte, & peut-être la plus aſſurée. J’ay embraſſé avidement l’occaſion d’entrer dans une ſi auguſte Compagnie & comme je me reconnois incapable de faire ces excellens ouvrages, qui donnent une ſeconde vie, j’ay penſé que je trouverois icy un remede à mon impuiſſance, & que c’étoit un moyen pour arriver à l’immortalité que de m’allier à tant de grands Perſonnages dont la reputation ſera immortelle. C’eſt de cette façon que nous conſervons encore avec honneur les noms des amis de Ciceron & de Virgile, leſquels ſe font rendus plus illuſtres par une familiarité ſi glorieuſe, que pour avoir peut-être gagné quelque bataille, ou ſauvé la vie à quelque Citoyen dans le Barreau, ou poſſedé de grandes richeſſes. C’eſt de cette façon auſſi que la poſterité me connaîtra.

 

Me quoque principibus permiſtum agnoſcet Achivis.

 

Ce ſera la grandeur de vôtre renom qui m’élevera, ce ſera vôtre force qui me ſoûtiendra, ce ſera vôtre lumiere qui me rendra éclatant. Si un grand politique diſoit autrefois qu’il n’y avoit point de pauvres Citoyens dans une Republique riche, je puis bien dire avec raiſon qu’il n’y a point de particulier qui ne devienne recommandable, quand il s’unit à un Corps ſi celebre que le vôtre. Quelle gloire n’eſt-ce point à un homme comme moy de ſe mêler parmy ceux qui font dire, que nôtre langue n’a reçû ſa perfection que par leur induſtrie, & que la Poëſie & l’Éloquence fuſſent demeurées perpetuellement dans la rudeſſe & dans l’enfance, ſi la vigueur & la delicateſſe de leur Genie ne leur avoit donné des graces & de la virilité ? Arriere donc de moy toutes ces défiances & toutes ces craintes : Arriere de moy tous ces mouvemens de foibleſſe ; ſouffrez, MESSIEURS, que je me défaſſe icy des penſées qui peuvent diminuer le reſſentiment de vôtre bien-fait, & trouvez bon que par une joye hardie & reſoluë, j’invite ma bonne fortune à me continuer ſa bienveillance. Je vous remercie donc de tout mon cœur de la bonté que vous avez euë pour moy, je reçois avec un contentement infini la faveur que vous me faites, je cours avec allegreſſe au lieu où vous m’appellez. Quelles graces ne dois-je rendre auſſi à Monſeigneur le Chancelier, qui ayant confirmé vos ſuffrages par ſon approbation, m’a aſſuré la place que vous m’avez deſtinée, & a levé les derniers obſtacles qui m’en retardoient la jouiſſance ! Tout le monde avoüe qu’il eſt doux de recevoir un bienfait : mais qui peut nier que le bienfait ne ſoit plus doux, lorſqu’il part d’une main ſacrée, & qu’il nous lie d’obligation avec une personne, que mille autres conſidérations nous obligent de reſpecter. C’eſt ſur ce fondement-là, MESSIEURS, que je vous laiſſe à conclure quel ſentiment je dois avoir de l’honneur que je reçois par l’agrément de ce Souverain Chef de la Juſtice, qui ne s’eſt pas moins élevé au deſſus du commun des honnêtes gens par ſes éminentes vertus, qu’il l’eſt au deſſus du vulgaire par ſa ſuprême dignité. Sa Douceur, ſa Generoſité, ſa Modeſtie, ſa Confiance, ſa Doctrine, cette Humeur obligeante & libérale, montrent bien que la veritable Philoſophie eſt quelquefois de la Cour & du grand monde ; & c’eſt avec ces rares qualitez qu’il a ſi dignement ſuccedé dans cette Compagnie à la place du grand Cardinal de Richelieu, & qu’il vous a aidé à vous conſoler d’une perte que toute la France pleure encore. Mais qu’il ne me ſoit pas reproché, MESSIEURS, que j’aye paſſé cet endroit ſans avoir rendu l’honneur qui ſe doit à la memoire de ce grand Cardinal, dont le nom ſera éternellement en benediction dans la bouche des vertueux, & à la louange duquel il ſuffit de dire que ſes ennemis ne ſont pas dignes de parler de luy. Sans mentir ce ſilence ſeroit inexcuſable dans ce lieu-cy, où vôtre preſence même eſt une occaſion pour s’entretenir de ſes hauts deſſeins. C’eſt luy qui vous a aſſemblez, qui vous a ſoûtenus, qui vous a ornez de privileges ; C’eſt par ſes ſoins que nôtre Patrie a été vengée de la négligence de nos Peres, qui ayant fondé tant d’Académies pour toutes ſortes de Sciences, & même pour les Langues étrangeres, avoient eu ſi peu de ſoin de leur langue maternelle : Nous avons eu enfin un Temple pour les Muſes Françoiſes, & nous jouïſſons maintenant de cet établiſſement ſi deſiré, & ſi neceſſaire à la gloire de cet Etat. Que ce ſoit là dorénavant la matiere des plus amples louanges de ce Héros, & que l’on admire éternellement la vaſte étenduë d’un ſi noble Genie, qui durant les plus fâcheuses occupations de la guerre, jettoit les fondemens des véritables délices de la paix. Une Inſtitution ſi glorieuſe à toute la République, & ſi avantageuſe à tous les particuliers qui en ſont participans, m’engageroit ſans doute à pouſſer plus outre l’éloge de cet homme incomparable, ſi je ne m’appercevois que je parle en preſence de perſonnes, qui ayant eu l’honneur de l’approcher, & d’être témoins de ſes vertus, ſont beaucoup plus capables que moy d’en repreſenter la grandeur. Auſſi bien quels effets pourrois-je faire ſur ce ſujet qui ne fuſſent inutiles, après ces fameux Panégyriques, & ces Odes inimitables, qui de ſon vivant même ont donné à ſes travaux une recompenſe telle qu’Achille ſeul dans l’Antiquité l’a obtenue pour les ſiens, & telle qu’Alexandre l’a depuis vainement deſirée ? Il me ſuffira pour le preſent de vous aſſurer que l’honneur que je reçois d’entrer dans une Académie, dont ce grand Cardinal a été l’Auteur, eſt le plus grand honneur que je pouvois jamais obtenir, & que je ne croyois pas m’en rendre digne par tous les travaux de ma vie. Cela eſt cauſe, MESSIEURS, que je ne ceſſeray jamais de louer vôtre bonté, & vôtre indulgence ; Je n’oublieray jamais ce jour bienheureux, dans lequel vous m’avez paru ſi faciles, & dans lequel, pour avouer la verité, vous n’avez pû me traiter avec tant de faveur ſans commettre quelque ſorte d’injuſtice. Je me perſuade pourtant que le zele que j’ay pour cette floriſſante Académie, & l’aſſiduité avec laquelle je deſire la fréquenter, me pourront tenir lieu des autres perfections neceſſaires pour la place que vous m’y donnez. Animé de vos exemples, ſecondé de vos conſeils, j’oſe me promettre ce que je n’euſſe oſé eſperer auparavant. Le titre glorieux de votre Confrere me va donner un nouveau courage & de nouvelles forces. Je ne trouveray plus rien qui me rebute ni qui m’arrête ; Mes veilles m’obtiendront ce que la vivacité de l’eſprit offre liberalement aux autres ; ma diligence vaincra ma foibleſſe naturelle ; & par l’application que j’apporteray à vos exercices, l’inclination que j’ay pour les Lettres ſe verra heureuſement perfectionnée. Si je ſçay déja quelque choſe, ſi mes ſoins m’ont acquis quelque connoiſſance, c’eſt de vous que je le tiens, c’eſt dans vos ouvrages que je me ſuis inſtruit ; il ne faut pas douter que je ne reçoive à l’avenir de plus grands avantages, & de vôtre amitié, & de vôtre converſation, & que ſi j’ay pû donner quelque bonne opinion de moy, lorſque vous ne m’avez été connus, que de la façon que vous l’êtes de toute la France, & des Nations étrangeres, je ne me rende beaucoup plus conſiderable, maintenant que j’auray l’honneur de vous appartenir, & de vous toucher de plus prés.