HOMMAGE
À
Mme Florence DELAY
PRONONCÉ PAR
M. Raphaël GAILLARD
en l’église Saint-Germain-des-Prés
le lundi 7 juillet 2025
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Riche et légère.
C’est le titre du roman publié par Florence Delay en 1983 et qui fut honoré par le Prix Femina. Entre réminiscences et aventures de jeunes femmes « riches et légères », entre palaces d’Andalousie et corridas, rien n’est certain.
Florence n’était ni riche, ni légère.
La richesse n’était assurément pas sa préoccupation. Le luxe lui était étranger, les puissants la laissaient indifférente. Son père fut de ces derniers grands patrons de la médecine, et si les capitaines d’industrie fréquentaient aussi bien que les intellectuels l’appartement familial avenue Montaigne, par le choix de la psychiatrie il avait renoncé aux fastes que promettait la chirurgie à Bayonne.
Agrégée en espagnol, ou plutôt se disant « littéralement agrégée à l’Espagne », Florence Delay enseigna la littérature comparée à la Sorbonne, traduisit Bergamin, Gomez de la Serna ou Garcia Lorca. Il y avait bien sûr quelque chose du Pays basque dans cet attachement à l’Espagne, et plus encore cette aspiration aux contrastes sinon les contradictions qui saisissent le lecteur dans un même mouvement de la pensée et du corps.
Le théâtre comme la poésie condensaient pour Florence ce jeu des contrastes. La Jeanne d’Arc du film de Robert Bresson qu’elle fut à 20 ans persistait à la visiter.
Elle écrivit avec Jacques Roubaud cette œuvre monumentale, Graal Théâtre, manière aussi de rendre hommage à ce Moyen – Âge dont elle souhaitait que l’on célèbre les infinies variations sur les dix siècles qui le composent.
C'était également l’assurance de n’être pas du côté de la bourgeoisie, pas même des fastes des derniers jours de la royauté ou de l’Empire. Florence tournait le dos à la richesse pour mieux révéler les épopées et le donquichottisme qui tissent l’âme de l’Ancien Monde, et, par là-même, nos propres inclinations.
Quant à la légèreté, la question est plus complexe.
Ombrageuse parfois, impétueuse souvent, Florence n’avait rien de cette frivolité qui permet d’ignorer le fracas du monde, les injustices ou les seules maladresses.
Elle-même soulignait dans son joli livre « Mes Cendriers » :
« Quant au roman andalou, il obtint par erreur le prix Femina. Erreur, il n’était pas facile, et dès le titre prêtait à contresens. Pas un ne voulant admettre que le titre était la simple traduction des Rich & Light que fumait la narratrice ».
Au reste, les cendriers eux-mêmes n’étaient guère une ode à la légèreté.
Ce serait oublier que les cendres supposent l’incandescence.
Plus qu’un état, la légèreté était pour Florence une quête. Au point de s’affranchir de ce qui aurait pu la brider, par les codes convenus du masculin et du féminin, ou encore les règles du jeu germanopratin.
Elle n’était d’aucune coterie, et semblait rester aveugle aux complots ourdis ici ou là. Elle allait jusqu’à revendiquer n’être guère psychologue, ce qui n’était pas loin d’être un comble pour la fille de Jean Delay. C’était davantage une aspiration, consistant à ne pas s’encombrer des états d’âme pour naviguer vers d’autres cieux.
Il y a quelques semaines seulement, le temps d’une permission depuis la Pitié – Salpêtrière, elle se rendit à l’Académie Nationale de Médecine pour me remettre mon épée. Nombreux furent les médecins dans l’assistance, et aucun ou presque ne put percevoir l’insuffisance respiratoire qui la maintenait pourtant à l’hôpital.
Au cours de ce miracle – car ce fut un miracle -, elle nous donna l’une des clés de son rapport à la légèreté. Elle décrivit la psychostasie, cette pesée de l’âme du défunt, dont le cœur doit être plus léger qu’une plume, face à Osiris, dieu des morts, et sous le regard de Thot.
« La tristesse est un péché mortel, et la seule façon d'accéder à l’au-delà, c'est d'avoir été heureux et léger. » : voilà ce que Florence nous dit alors, et voilà ce qu’était sa quête, son arrachement peut-être à tout ce qui pouvait contrevenir à ce dessein.
Il fallait pour ce faire des mots, cette langue française dont Florence affectionnait tant les tournures. A l’hôpital, elle s’appliquait à utiliser avec la plus grande rigueur le vocabulaire médical, fidèle autant à son père qu’à cette langue. A l’hôpital toujours, elle savait s’étonner, avec légèreté bien sûr, de telle ou telle expression. Ainsi s’interrogeait-elle sur l’expression « lâcher la proie pour l’ombre ». Nous nous demandions ce qu’une telle question disait des dilemmes qu’elle rencontrait alors, dans les derniers jours de sa vie. Mais ce qui la réjouissait, c’était la lecture de la fable d’Esope, ou celle de La Fontaine.
Avec ce sourire qui illuminait son visage, elle avait alors su rappeler cette trouvaille d’Alphonse Allais, qu’elle citait dans Zigzag :
« Je lâcherais tout, même la proie, pour Londres ».
Manière tout autant de s’évader que d’entrer en résistance, ici par le seul jeu des mots, la légèreté n’étant jamais exactement ce que l’on croit, mais ce qui doit advenir.
Riche d’une plume et des mots qu’elle dessine, plus légère qu’une plume devant Thot, vous avez Florence eu la malice de nous prescrire l’antidote à la tristesse que nous ressentons aujourd’hui.
C’est aussi le sens de cet adieu, Florence, que je vous adresse.