Hommage à M. René de Obaldia, en l'église Saint-Germain-des-Prés

Le 2 février 2022

Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE

HOMMAGE

À

M. René de OBALDIA
 

PRONONCÉ PAR

Mme Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE
Secrétaire perpétuel de l’Académie française

en l’église Saint-Germain-des-Prés

le mercredi 2 février 2022

 

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René de Obaldia vient d’entrer dans son éternité. Il nous a quittés jeudi, jour de séance de l’Académie qui lui était devenue, depuis son élection, une seconde famille. Mourir le jeudi, un symbole pour celui qui s’était réjoui aussi d’un autre symbole, entrer dans la Compagnie avec le nouveau millénaire. Il aimait rappeler que le personnage d’un de ses romans proclamait son refus de « courir les pentes qui mènent aux académies ». Ce personnage, c’est le Centenaire, créé par René de Obaldia alors qu’il était à peine quadragénaire. Il n’imaginait probablement pas alors qu’il serait, quatre décennies plus tard, élu triomphalement à l’Académie et en deviendrait un jour le deuxième centenaire après Claude Lévi-Strauss.

Cette « pente académique » récusée par son héros rendit pourtant René de Obaldia très heureux. Il ressentait, et il le disait avec force, le privilège qu’avaient les académiciens de rencontrer des confrères de « bonne compagnie » avec qui ils allaient fraterniser, dialoguer et vivre jusqu’à la fin de leurs jours. Mais il savait, comme nous le savons tous aujourd’hui, que l’une des épreuves que nous connaissons, combien cruelle, est de voir disparaître un confrère devenu compagnon indissociable de notre vie. C’est pourquoi nous sommes en particulière communion avec les enfants de René de Obaldia, avec sa famille car leur deuil est le nôtre, comme leur peine est la nôtre.

À l’Académie René de Obaldia incarnait plus que quiconque la fantaisie, la gaîté, la joie de vivre, une constante invention ; à lui seul il était le théâtre et nous en offrait sans cesse des représentations. Il imagina d’ailleurs lors de sa réception – si difficile puisque son prédécesseur, Julien Green, avait interdit que l’Académie lui rendît, selon l’usage, hommage après sa mort, interdit même qu’elle prononçât son nom – un étonnant subterfuge. Il décida de tourner la difficulté en recourant à la sagesse d’un arbitre incontestable, son génial prédécesseur, Molière. Quel cadeau il fit ce jour-là à l’Académie ! Il lui offrit leur conversation en alexandrins de sa façon ; ce fut un régal de l’esprit. Mais plus encore, cette solution improvisée par notre cher René entra dans l’histoire de l’Académie et en ferma l’une des pages les plus tristes. L’Académie n’avait pu ouvrir ses portes à Molière, le génie reconnu du Grand Siècle, l’ami si cher de l’académicien La Fontaine, parce que, comédien, il ne pouvait reposer en terre chrétienne, ni par là même être admis dans une compagnie protégée par le Roi Très-Chrétien. Molière a toujours manqué à l’Académie. Lorsque nous entrons en séance nous passons devant sa statue qui se dresse dans la grande salle précédant la nôtre, et nous déplorons son absence parmi nous.

René de Obaldia a réconcilié l’Académie avec Molière et avec son passé. Ce fut le 15 juin 2000 un grand moment qui enchanta tous ceux qui partageaient sous la Coupole la gloire de René de Obaldia. Tous comprirent la force de ce symbole.

Depuis lors René de Obaldia fut remarquablement fidèle à la Compagnie. Toujours présent, intervenant avec pertinence et humour, impressionnant par sa vigueur. Les années passaient, nous changions tous avec le temps, certains, hélas, nous quittaient, seul René de Obaldia ne changeait pas. À cent ans il était toujours un jeune homme ou un éternel gamin, manifestant le même enthousiasme juvénile qu’à son entrée dans la Compagnie.

Je le revois le jour de son centenaire. Toute la Compagnie était rassemblée autour de lui dans ce beau palais de Le Vau, où en dépit du poids des ans il arrivait chaque semaine d’un pas allègre. Nous l’avons fêté joyeusement et il nous a dit combien il était « ébaubi » – un mot qu’il aimait particulièrement – d’être centenaire, mais surtout d’être centenaire avec nous, d’être notre centenaire. Et nous étions tout autant que lui ébaubis de voir que le centenaire était en réalité le jeune homme qu’il n’avait jamais cessé d’être.

Je le revois aussi dans ce théâtre où son ami Olivier Barrot avait réuni tous ceux qui, dans l’univers théâtral, avaient été ses interprètes. Acteurs célèbres, tous étaient fiers, comme l’étaient les académiciens, de leur centenaire, et lui n’en finissant pas de s’émerveiller d’être entouré de tant d’amitié et d’admiration. Mais ces amis, voire des inconnus étaient attirés par lui, non seulement par ses dons remarquables, mais aussi par sa bonté et sa générosité. René de Obaldia était un homme bon, ouvert aux autres dans un monde implacable dont il déplorait la propension à encourager le « chacun pour soi », alors que, disait-il, « Mon œuvre, je l’écris pour tous ».

Je le revois, ces toutes dernières années, venant rejoindre pour déjeuner les « acharnés » du Dictionnaire à l’œuvre depuis le matin ; il les régalait de ses « perles de vie », aphorismes joyeux qu’il avait rassemblés dans un petit livre, ou encore il imitait Michel Simon si fidèlement que nous nous attendions à le voir s’attabler avec nous. Et aussi nous écoutions René nous conter sa captivité en Allemagne, un vrai roman, ou les répétitions agitées de ses pièces.

René de Obaldia était un conteur inépuisable, généreux dans sa volonté de partager sa longue expérience de la vie, toujours optimiste, et pourtant il ne se répétait jamais. Il était physiquement et intellectuellement la jeunesse même.

Mais je le revois aussi, infiniment malheureux, lorsque mourut Diane, sa femme si aimée et que nous aimions tous. Une belle Américaine amoureuse de la France, si attentive à ne jamais offenser la langue française. René était venu partager sa peine avec nous et nous nous sommes tous rassemblés autour de lui dans cette même église Saint-Germain-des-Prés, paroisse de l’Académie où nous sommes en ce moment, inséparables de René dans la peine comme aux heures de gloire.

Sans doute l’épidémie, peste de ce début de siècle, a-t-elle tenu finalement René de Obaldia à distance de l’Académie. Prudente, sa famille a voulu le préserver, mais alors, c’est l’Académie qui est allée vers lui. Nous avons salué chacun de ses anniversaires, y compris le dernier. Lors de ces rencontres chez lui, je l’ai trouvé triste de ce confinement imposé, mais toujours aussi curieux, aussi vif, attentif aux autres et impatient de les retrouver. Une seule crainte l’habitait, quitter le monde en étant, selon son expression, « abimé ». « Je ne veux pas laisser un tel souvenir », me disait-il ; il voulait que l’on garde de lui l’image inaltérée de la jeunesse et de la joie de vivre. Il aura été exaucé, c’est la grâce que Dieu réservait à cet homme si bon.

René de Obaldia est mort paisiblement, aussi jeune par l’esprit que par l’allure. Il n’aura jamais été un « vieux monsieur ». Nous nous souviendrons d’un très joyeux compagnon, véritable ludion dont la verve a tant enrichi nos rencontres.

Adieu, René. Nous ne vous oublierons pas.