COMPLIMENT fait le 16 Janvier 1673, par Mr. CHARPENTIER, à Mr. COLBERT, après qu’il eut fait savoir à la Compagnie que le Roi lui avait donné ordre de faire un fonds tous les ans pour les menus besoins de l’Académie, comme bois, bougie, journées de Copiste pour transcrire le Dictionnaire, même pour faire des jetons d’argent pour être distribués au nombre de 40, à chaque jour d’Assemblée, aux Académiciens qui se trouveraient présents.
MONSIEUR (Car vous nous avez ordonné de vous parler ainsi.)
LES faveurs que vous nous faites se touchent de si près à près, que nous n’osons pas vous en venir rendre grâces à mesure que nous les recevons. Mais si la crainte de vous importuner suspend quelquefois notre reconnaissance, il ne serait pas raisonnable qu’elle l’étouffât entièrement, et que nous ne fissions jamais paraître des sentiments si justes, et qui nous sont même si glorieux.
En effet, MONSIEUR, ce nous est beaucoup de gloire de voir que vous pensez à nous ; et qu’au milieu de vos grandes occupations, il y ait des moments que nous puissions dire nous avoir été destinés.
Si l’Académie achève le grand dessein qu’elle a entrepris, la postérité qui en sentira le fruit mieux sans doute que notre Siècle même, n’ignorera pas que vous y aurez eu une grande part, puisque nous avions absolument besoin de votre recours, pour combattre les difficultés qui nous restent à surmonter, et qui se multiplient ordinairement lorsqu’un Ouvrage de cette nature approche de sa fin.
Il n’est pas malaisé, MONSIEUR de faire l’amas des matériaux nécessaires pour le bâtiment d’un grand Palais, les moindres ouvriers sont capables de tirer les pierres de la carrière, il ne faut que de la force de bras pour les charger, il ne faut que des chariots pour les conduire : mais quand il est question d’assembler tous les matériaux avec ordre ; qu’il faut en faire un tout dont les parties se correspondent, et introduire parmi les informes, une symétrie excellente qui ravit les yeux des spectateurs, et qui fait que du bois et des pierres, qui n’ont aucun agrément à les voir en l’état que la nature les a produits, s’élèvent à un si haut degré de perfection par l’arrangement, que de toucher notre âme dans la partie la plus sensible, et lui causer presque le même plaisir que la vue du Soleil et des Astres ; c’est ce qui ne se fait qu’après de longues Méditations, par le dernier effort de l’industrie humaine.
Le Dictionnaire de l’Académie est quelque chose de semblable. On a jusqu’à présent fouillé dans tous les trésors de notre Langue ; on a par un travail de trente-cinq ans ramassé ce qu’il y a de plus exquis ; on a fait même plus que de l’amasser ; on a donné quelque ordre et quelque forme aux matières que l’on a traitées. Mais, MONSIEUR, nous remarquons encore un intervalle notable entre l’endroit où nous en sommes, et la dernière perfection où nous voulons aller ; et c’est presque toujours le trajet qui est le plus pénible, et où il y a le plus d’écueils à éviter.
Nous espérons néanmoins, MONSIEUR, d’en sortir heureusement, et nous ne devons pas même en douter, puisque vous voulez bien prendre le soin de ce travail Académique, qui sans doute embellira la Langue de ce Royaume, et qui peut-être aux yeux de l’avenir, tiendra sa place parmi les évènements remarquables de ce Règne miraculeux.