« Proust du côté juif» d'Antoine Compagnon

Le 2 mars 2022

Publications des membres de l'Académie

Proust du côté juif
d'Antoine Compagnon
 à paraître le 3 mars aux éditions Gallimard

 

« Il n’y a plus personne, pas même moi, puisque je ne peux me lever, qui aille visiter, le long de la rue du Repos, le petit cimetière juif où mon grand-père, suivant le rite qu’il n’avait jamais compris, allait tous les ans poser un caillou sur la tombe de ses parents. »

Tout le monde cite cette phrase mystérieuse de Proust, comme si elle résumait ses sentiments à l’égard du judaïsme, déclinait son identité juive. Mais personne ne sait d’où elle vient. Madame Proust, née Jeanne Weil, ne s’était pas convertie : « Si je suis catholique comme mon père et mon frère », rappelait Proust en 1896 à Robert de Montesquiou, dont un propos antisémite l’avait blessé, « par contre, ma mère est juive ». Certains voient dans cette phrase de la distance et de l’indifférence, ou même de la honte de soi comme Juif, de même qu’ils soupçonnent d’antisémitisme les portraits de Swann, Bloch ou Rachel dans la Recherche. Or elle parut pour la première fois en anglais dans un hebdomadaire sioniste, The Jewish Chronicle, aussitôt après la mort de Proust, dans un hommage signé par André Spire.

D’où une enquête de deux côtés. D’une part dans la communauté juive. Comment Proust fut-il lu durant les années 1920 et 1930, à la fois dans la presse consistoriale, qui n’avait que faire de son roman, et par les jeunes sionistes, qui se prirent de passion et firent de Proust un acteur de la « Renaissance juive » ? D’autre part autour du Père-Lachaise, dans le caveau de Baruch Weil, fabricant de porcelaine, vice-président du consistoire israélite de Paris, l’arrière-grand-père de Proust, et de sa nombreuse descendance, dont Nathé Weil, le grand-père de Proust, son grand-oncle Louis et divers oncles et tantes, cousins et cousines inconnus jusqu’ici, des colons en Algérie, un ingénieur bibliophile, un compositeur fou.

De surprise en surprise, les deux fils de l’intrigue se nouent, les deux côtés se rencontrent. Le destinataire de la lettre renfermant la fameuse phrase est identifié (c’est Daniel Halévy, le camarade de Proust au lycée Condorcet), et le manuscrit de la nécrologie d’André Spire retrouvé (la fameuse phrase y figure dans un collage). Le côté juif de Proust n’aurait-il plus de secret ?