Vers adressés à M. de Fontenelle

Le 25 août 1741

Prosper JOLYOT de CRÉBILLON

VERS

Adressés à M. de FONTENELLE

par M. de CRÉBILLON
de l’Académie Françoise.

Prononcés dans la même Académie.

 

 

Toi ([1]), qui fus animé d’un souffle d’Apollon,
Dépositaire heureux de son talent suprême,
Esprit divin, qui n’eus d’autre pair que lui-même,
Héros de Melpomène & du sacré vallon,
Parois, nous consacrons une Fête à ta gloire,
À ce nom qui suffit pour nous illustrer tous ;
Viens voir un héritier digne de ta mémoire,
Une seconde fois renaître parmi nous.
LOUIS, ton règne fut le règne des merveilles ;
L’Univers est encor rempli de tes hauts faits ;
Mais les lauriers cueillis par l’aîné des Corneilles ;
Font voir que tu fus grand jusques dans tes Sujets.
Si ton auguste Fils n’a point vu le Permesse
Enfanter sous ses loix ce Mortel si fameux
Il a dans ses Neveux un Sujet que la Grèce
Eût placé dès l’enfance au rang des Demi-Dieux.
Jeune encor ; ses Ecrits excitèrent l’envie ;
Mais il en triompha par leur sublimité.
À peine il vit briller l’aurore de sa vie,
Qu’il vous parut déjà dans sa maturité.
S’il cueillit en Nestor les fruits de sa jeunesse,
Dix-sept lustres n’ont point ralenti ses talents ;
L’âge qui détruit tout, rajeunit sa vieillesse,
Son génie étoit fait pour braver tous les temps,
Albion ([2]) qui prétend nous servir de modèle,
Croit que Lok & Newton n’eurent jamais d’égaux ;
Le Germain, que Leibnits compte peu de Rivaux ;
Et nous, que L’Univers n’aura qu’un Fontenelle.
Prodigue en sa faveur, le Ciel n’a point borné
Les présens qu’il lui fit aux seuls dons du génie ;
Minerve l’instruisit, & son cœur fut orné
De toutes les vertus par les soins d’Uranie.
Loin de s’enorgueillir de l’éclat de son nom,
Modeste, retenu, simple, même timide,
On diroit quelquefois qu’il craint d’avoir raison,
Et n’ose prononcer un avis qui décide.
Illustres Compagnons de ce nouveau Nestor,
Assemblés pour lui ceindre une double couronne,
Pour la rendre à ses yeux plus précieuse encor,
Parez-la des lauriers que votre main moissonne.
C’est ici le séjour de l’immortalité ;
En vain mille ennemis attaquent votre gloire,
Ces Auteurs ténébreux passeront l’onde noire ;
C’est vous qui tiendrez lieu de la postérité.
Si les Ecrits pervers, la noirceur, l’impudence,
Ont fermé votre Temple aux hommes sans honneur ;
Les talens, le génie & la noble candeur,
Ont toujours parmi vous trouvé leur récompense.
Le foin de célébrer le plus grand des Mortels,
N’est pas, quoique constant, le seul qui vous anime ;
Quelquefois des Mortels d’un ordre moins sublime
Ont vu brûler pour eux l’encens sur vos Autels.
Daignez donc soutenir le zèle qui m’inspire,
Pour chanter Fontenelle il faut plus d’une voix.
Ranimez les accens d’un vieux Chantre aux abois,
Ou du moins un moment prêtez-moi votre Lyre,
Assidu parmi vous, dix lustres de travaux
Ont déjà signalé sa brillante carrière,
Mais ce ne fut pour vous qu’un instant de lumière,
Condamnez Fontenelle à dix lustres nouveaux.
Pour pénétrer le Ciel & ses routes profondes,
Destin, accorde-lui des jours sains & nombreux.
Il en fallut beaucoup pour parcourir les mondes,
II en faut encor plus pour contenter nos vœux.

 

[1] Le grand Corneille.

[2] L’Angleterre.