Réponse au discours de réception de l’abbé de Boismont

Le 25 octobre 1755

Pierre-Joseph ALARY

Réponse de M. l'abbé Alary
Directeur de l’Académie Françoise

au discours de M. l'Abbé de Boismont

PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE

Le samedi 25 octobre 1755

PARIS PALAIS DU LOUVRE

  Monsieur,

Ce que nous venons d’entendre justifieroit notre choix, si nos suffrages n’avoient pas été prévenus par ceux du public. Et qui pouvoit les mériter à plus juste titre ? Théologien aussi exact qu’Orateur élégant, vous savez assujettir l’imagination la plus vive & la plus féconde à la justesse du raisonnement le plus précis. Vous savez répandre des graces qui ne font jamais rien perdre à l’énergie & à la solidité de vos Discours. Vous venez de nous prouver qu’il n’appartenoit qu’aux maîtres de l’art de donner en même temps & des règles et des modelles. Faut-il s’étonner, Monsieur, si vos premiers pas dans la carrière de l’éloquence chrétienne ont été marqués par autant de succès ? Vous avez réuni au don de plaire, le talent de convaincre & de toucher ; assemblage d’autant plus rare, qu’il suppose nécessairement celui de l’esprit & du génie.

Je ne devrois rien ajouter à l’éloge que vous venez de faire, si la place que j’ai l’honneur d’occuper n’ m’autorisoit à jeter encore quelques fleurs sur le tombeau de notre respectable Confrère.

Le mérite n’est jamais plus encouragé, que lorsque les places les plus brillantes ne sont ni la récompense de l’ambition, ni la conquête de l’intrigue. Il est juste que la vertu paroisse de temps en temps honorée par les grands emplois. C’est une espèce d’hommage qu’elle reçoit, & qui empêche les progrès trop rapides de la corruption. Cet obstacle, quoique passager, produit toujours de bons effets, puisque la vie n’ose se montrer avec tant d’éclat. En faut-il d’autre preuve que le Prélat célèbre auquel vous succédez aujourd’hui ?

Né dans le sein d’une famille entièrement consacrée à la Religion, il ne connut de vrais devoirs que ceux qu’elle prescrit. Son exactitude à les remplir, lui fit renoncer absolument au monde ; mais malgré sa retraite, il ne put être long-temps ignoré. Il parut dans le Public pour y annoncer les vérités éternelles ; & son éloquence vive & touchante, sans employer ces traits lumineux qui éblouissent plutôt l’esprit qu’ils ne l’éclairent, ramena dans le chemin du salut les pécheurs les plus endurcis. Il n’eut de commerce avec les Grands que dans le Tribunal de la Pénitence ; & ils se firent gloire en devenant ses amis, d’être à son insu ses protecteurs. Ce furent là, Monsieur, les deux seuls moyens qui servirent à son élévation. Il ne dut rien à la fortune ; tout fut l’ouvrage de la Providence, dont les voies impénétrables le conduisirent aux premiers honneurs de l’Église ; mais à peine y fut-il parvenu, qu’il fut forcé de s’arracher à ses travaux apostoliques, déjà récompensés par les fruits les plus abondans.

Destiné à l’instruction de l’Héritier du premier Trône de l’Univers, il ne changea point de maximes ; la Religion fut toujours la base de sa conduite ; il ne fut occupé que d’inspirer à son auguste Élève les sentimens d’une piété solide & éclairée, l’amour du devoir & le désir de s’instruire, qualités si nécessaires aux Souverains qui veulent faire le bonheur de leurs Peuples. Nous sommes tous témoins du succès de ses soins ; & pouvions-nous attendre d’un Prince, qui dès les premiers momens qu’il a connu la raison, a donné les preuves les plus brillantes de la vivacité de son esprit, les marques les plus sûres de la solidité de son jugement, les indices les plus certains de la sensibilité de son cœur, ressource si désirable pour tous les malheureux ?

Il sembloit que M. l’Évêque de Mirepoix, après s’être acquitté si dignement des différens emplois où la Providence l’avoit appelé, n’avoit plus, pour terminer sa carrière, qu’à se livrer tout entier aux charmes de la solitude. Mais Dieu avoit d’autres vues. Ce vertueux Prélat, quoique d’un âge fort avancé, avoit un zèle pour le bien de l’Église, qui suppléoit à ses forces, & qui le rendoit digne du ministère le plus difficile, & en même temps le plus honorable.

Quelle charge en effet pour une conscience timorée, que la juste dispensation des graces ecclésiastiques ! Quelle sagacité ne faut-il pas pour trouver le vrai mérite qui se cache ! Quelle pénétration pour ne pas se laisser surprendre aux dehors trompeurs de l’hypocrisie qui ne cherche qu’à se montrer ! Quelle prudence peut choisir, même parmi les meilleurs sujets, ceux qui conviennent le plus à chaque place en particulier, pour tempérer le zèle immodéré des uns, pour échauffer la tiédeur trop timide des autres ; en un mot, pour donner des Ministres à l’Église aussi dignes d’édifier par leurs mœurs, que d’instruire par leur doctrine !

Pouvons-nous douter, Monsieur, de la réunion de tous ces talens dans le Prélat que nous venons de perdre, si nous jettons les yeux sur l’Ordre Épiscopal presque renouvelé pendant son administration ? Jamais l’Église Gallicane a-t-elle paru avec plus d’éclat ? Jamais a-t-elle fait voir plus de zèle pour la défense de la vérité ? Jamais a-t-elle mieux montré que tous les choix de ses membres avoient été pesés au poids du Sanctuaire, & que les vues humaines n’y avoient eu aucune part ?

Il ne falloit pas moins que l’intérêt de la Religion pour attacher M. l’Évêque de Mirepoix à la Cour. La marque de confiance la plus flatteuse qu’un Sujet puisse recevoir de son Maître, n’auroit pas été un lien assez fort pour l’y retenir. Il y étoit venu sans l’avoir désiré ; il y resta sans répugnance, dès qu’il crut y pouvoir être utile. L’air contagieux de l’ambition n’avoit fait aucune impression sur lui ; il s’étoit toujours comporté en Évêque ; & jamais en Courtisan. Aussi l’austère vérité n’étoit point altérée chez lui par ces détours artificieux qui cachent presque toujours la fausseté sous le masque d’une politesse mondaine. Inébranlable dans ses principes, son inflexible probité n’eut aucun égard aux recommandations les plus respectables, dès qu’il crut que le plus grand bien de l’Église ne lui permettoit pas d’y- déférer. Quel courage ne faut-il pas pour résister à de pareils combats ? Mais une ame vraiment chrétienne ne craint que les yeux de Dieu, & n’écoute d’autres voix que celle de sa conscience.

Tel fut, Monsieur, l’illustre Confrère que nous regrettons. Venez nous dédommager de notre perte par une assiduité à laquelle ses importantes affaires ne lui permettoient pas de s’assujettir. Venez nous aider à transmettre à la postérité les merveilles du règne de notre Monarque. Il fait consister sa principale gloire dans la félicité publique. Il ne connoît de vrais triomphes que ceux qui peuvent contribuer à la pacification générale. Il fait enfin par sa modération, fruit de la plus sublime sagesse, se rendre l’arbitre de l’Europe étonnée de ses exploits, & plus encore de la prudence qui dirige toutes ses entreprises, & de la fermeté qui les fait exécuter.