Réponse au discours de réception de Georges Cuvier

Le 27 août 1818

Raymond de SÈZE

Réponse de M. le comte de Sèze
au discours de M. Cuvier

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 27 août 1818

PARIS PALAIS DE L'INSTITUT

Monsieur,

C’est un triomphe et un bonheur pour l’Académie française de faire des conquêtes sur l’Académie des sciences, conquêtes glorieuses et cependant innocentes, qui n’ôtent rien à ceux qui possèdent, où l’on acquiert sans dépouiller, où l’on s’enrichit sans appauvrir ; association plutôt qu’échange de talents divers entre ces deux patries des lettres et des arts, émules sans rivalité, voisines sans jalousie, qui, en mettant en commun la fortune de chacune d’elles, ne peut qu’ajouter encore à l’éclat de l’une et de l’autre.

Vous êtes, Monsieur, depuis que le roi, protecteur si éclairé des lettres, a reconstitué les Académies, le second exemple de cette fusion heureuse, et vous n’avez été précédé dans l’Académie française que par ce géomètre illustre que vous aimez à nommer votre guide, et qu’on pourrait appeler le Newton de la France (M. le marquis de Laplace).

Je sais que quelques voix chagrines se sont élevées dans ces derniers temps contre cette noble espèce de recrutement que se permettent quelquefois entre elles les Académies, et qui ne violent aucun de ces pactes par lesquels elles sont liées ; je sais qu’on voudrait que l’Académie française resserrât ses choix dans le cercle des écrivains exclusivement consacrés aux lettres ; mais où serait donc le motif de ces restrictions timides ? Quand il n’y a pas d’incompatibilité entre les talents, pourquoi y en aurait-il entre les récompenses ? Des mérites et des succès divers n’ont-ils pas des droits égaux à la même justice de l’opinion publique ? Les sciences et les lettres s’excluent-elles ? Ne forment-elles pas, au contraire, entre elles l’alliance la plus naturelle et la plus féconde ? Pourquoi le savant profond, qui est en même temps un écrivain éloquent, n’illustrerait-il pas tout ensemble, et la société qui s’occupe uniquement des sciences, et celle à qui est plus particulièrement confié le soin de la langue et le mérite du style ? Ce n’est pas d’ailleurs ici une innovation, dont vous auriez été digne, Monsieur, de donner l’idée. Sous ce régime si brillant et si heureux de nos rois, bienfaiteurs des lettres, l’Académie française s’honorait de compter parmi ses membres les membres les plus célèbres de l’Académie des sciences, les la Condamine, les Buffon, les Bailly, les Vicq-d’Azyr ; et sans rappeler même ces noms illustres, n’est-ce pas dans l’histoire des sciences une chose remarquable, que tous ceux des membres de l’Académie des sciences qui ont exercé les fonctions si difficiles de secrétaires depuis Fontenelle, et même depuis Gallois qui avait précédé Fontenelle, jusqu’à Condorcet, aient tous, à l’exception d’un seul, appartenu à l’Académie française : tant il avait été reconnu que les interprètes ou les organes d’un corps si éclatant de lumières et de talents ne pouvaient être eux-mêmes que des savants et des écrivains également renommés et par leurs talents et par leurs lumières.

Cette circonstance seule, Monsieur, aurait donc suffi pour motiver le choix de l’Académie, indépendamment de tous vos autres titres. J’ajouterai, que s’il pouvait rester quelque doute sur cette question, le beau discours que nous venons d’entendre, ce discours si riche d’idées, d’images, de style, et qui prouverait seul ce que l’Académie française peut devoir à l’Académie des sciences, l’aurait résolu.

Mais l’Académie, Monsieur, ne fait pas d’acquisitions sans faire des pertes. C’en est une douloureuse pour elle, malgré les consolations que vous lui donnerez, que celle de ce prélat révéré que la Providence semble s’être plu à conduire jusqu’aux bornes les plus reculées de la vie, comme pour donner plus longtemps sa sagesse en exemple ; de ce prélat qui dans sa longue carrière a toujours mérité l’estime ; qui, à la cour, a su conserver de la dignité sans orgueil, de la bienveillance sans souplesse ; qui, comme évêque, a servi la religion avec zèle pendant plus de soixante années ; qui, appelé dans le conseil des rois, s’y est distingué par les lumières qu’il y portait, et qui, désigné à l’Académie par des talents que ses vertus relevaient encore, en a été le membre le plus assidu, s’y est fait remarquer par le charme de son commerce, et s’y est montré, cinquante ans, heureux de vivre parmi ses égaux.

J’accumule ici rapidement tout ce qui excite aujourd’hui les regrets de l’Académie et peut-être un seul mot suffirait-il à l’éloge de M. de Roquelaure. Il fut l’ami de ce prince, héritier du trône, enlevé sitôt aux espérances de la nation qui l’a vivement regretté, et dont l’histoire attendait le règne pour le placer entre Louis XII et Henri IV ; un hommage touchant fut même rendu, après la mort de monseigneur le Dauphin, à l’attachement dont il avait toujours honoré M. de Roquelaure ; ses restes mortels furent confiés à des mains si pures et si dévouées, et au milieu de l’affliction qu’aigrissait et soulageait tout à la fois cette mission attendrissante et pénible, il fut chargé de déposer le cœur .de ce prince au pied des autels, et de le présenter, pour ainsi dire, à Dieu même.

M. de Roquelaure semblait d’ailleurs destiné à devenir ou le ministre ou l’interprète de nos grandes douleurs publiques, et son âme et ses talents l’en rendaient également digne. Déjà, quelques années avant que la France eût à pleurer la mort de monseigneur le Dauphin, il avait été appelé à célébrer dans la chaire chrétienne l’immortelle mémoire de cette Amélie de Saxe, belle-sœur de ce prince, reine d’Espagne et de Naples, qui, après avoir, pour ainsi dire, pacifié l’Europe par son mariage, l’avait étonnée par son habileté et par ses vertus, avait successivement gouverné deux grandes nations, et fait le bonheur de toutes les deux ; qui, enlevée à la fleur de l’âge à ses hautes destinées, avait excité également les regrets, et des peuples qui l’avaient vue naître, et de ceux sur lesquels elle avait régné. M. de Roquelaure s’était élevé avec son sujet ; son discours noble, touchant, pathétique, animé de cette éloquence majestueuse et forte que la religion seule inspire, lui avait ouvert les portes de l’Académie ; mais à peine venait-il d’y entrer, qu’un autre ministère non moins touchant, et presque aussi douloureux, l’appelle encore à la tribune sacrée. Une fille de nos rois donnait à l’univers surpris le plus mémorable de tous les spectacles. Au milieu de la cour la plus brillante de l’Europe, elle fut effrayée de toutes ses pompes, autant que la grâce et la jeunesse ont coutume d’en être enivrées ; objet touchant de toute la tendresse d’un père et d’un roi, de toutes les affections de sa royale famille, elle ne voit dans son rang qu’un malheur, dans les jouissances les plus pures du sentiment que les dangers, dans la vie enfin que la mort, où la religion lui montre sa récompense et sa gloire. Cette âme, toute remplie et toute frappée de la pensée de Dieu, brise tout à coup ces liens si éclatants et si chers, s’arrache à tant de grandeurs, et, ce qui est bien plus difficile, à tant d’amour, court se réfugier dans le sein de Dieu ; et, comme si elle eût craint, malgré ses vertus, de ne pouvoir jamais assez expier des fautes qu’elle n’avait pas commises, la fille chérie de Louis XV veut s’ensevelir toute vivante dans une de ces tombes de la pénitence, à la vue et tout près des mausolées de tant de rois ses aïeux. C’est M. de Roquelaure qui fut choisi, pour être l’orateur et le ministre de ce grand sacrifice ; c’est lui dont la main dut faire tomber devant les vœux de la royale victime les barrières qui séparaient le cloître du trône. Ce fut là aussi son dernier effort, et c’est encore un beau monument élevé par cet éloquent évêque pour le triomphe de la religion et pour le sien propre. Le reste de sa vie ne fut plus qu’une chaîne continuelle de bonnes œuvres. Il la passa à faire du bien autour de lui et loin de lui. Il ne manqua jamais à aucun devoir ; il cultiva constamment les lettres ; il cultiva aussi l’amitié, il y fut fidèle ; et telle était la modération de son caractère, plus encore que la force de sa constitution, qu’il a vécu près d’un siècle sans autre infirmité que celle de ne pas bien entendre dans ces derniers temps ce qu’on disait à côté de lui, privation qui n’en est pas toujours une. Il a vécu tranquille, aimé, heureux ; il a été heureux jusqu’à sa mort, on pourrait dire, jusqu’après sa mort, puisque le roi, dont le cœur toujours si ingénieusement délicat n’est occupé qu’à rechercher et à récompenser les grandes et belles actions, s’est empressé de lui donner pour successeur dans la haute dignité ecclésiastique qui le plaçait si près du trône, ce prélat célèbre qui, dans une circonstance mémorable, a été par son courage la gloire de la religion, l’honneur de l’épiscopat, et dont le nom, attaché à l’histoire de nos malheurs, vivra autant que leur souvenir (M. l’abbé de Bonac, ancien évêque d’Agen, connu par sa noble conduite à la fameuse séance de l’Assemblée constituante du 4 janvier 1791, et que le roi a fait son premier aumônier à la place de M. de Roquelaure, qui l’avait été lui-même sous trois règnes).

Je parle d’un des successeurs de M. de Roquelaure, Monsieur, et je me trouve ainsi ramené naturellement à vous. Mais quel besoin ai-je de justifier ici le choix que l’Académie a fait pour le remplacer dans son sein ? Que puis-je apprendre à cet auditoire que ne lui dise bien mieux cette réputation européenne que vous apportez au milieu de nous ? Qui ne sait qu’entré jeune dans la carrière des sciences, vous l’avez parcourue à pas de géant ? Passionné surtout pour l’histoire naturelle, pour cette histoire immense et féconde qui révèle tous les prodiges de la création, développe l’univers, et explique l’homme lui-même, vous avez marché sur les traces des Buffon et des Daubenton ; vous avez pris la science, objet des méditations de leur vie entière, au point ou ils l’avaient laissée ; et, joignant vos travaux à leurs travaux, ajoutant vos découvertes à leurs découvertes, vous en avez porté le résultat encore plus loin qu’eux. Ces deux hommes illustres avaient senti que toutes les sciences physiques qui avaient pour objet l’homme et les animaux, devaient avoir pour base l’anatomie comparée, qui pouvait seule les éclairer, les perfectionner, les agrandir ; et cette idée profonde, Daubenton surtout l’avait en partie réalisée. Vicq-d’Azyr, trop tôt enlevé aux sciences, l’avait étendue encore après lui. Mais c’est à vous, Monsieur, qu’il était réservé de compléter, par vos découvertes particulières, ce grand et beau système d’anatomie, qui jette un jour si éclatant sur l’histoire de la nature, et prouve si bien jusqu’où la puissance de l’intelligence humaine peut s’élever. On est effrayé quand on parcourt les vastes recueils des sciences, de ces travaux de tout genre que vous avez accumulés, dans un si petit nombre d’années, sur les animaux qui couvrent la surface de la terre. On conçoit à peine des efforts aussi multipliés, une patience aussi infatigable, des examens aussi laborieux, et on n’en admire que davantage les grands résultats auxquels ils vous ont conduit, comme on admire aussi cet ordre si remarquable avec lequel vous avez classé dans le Muséum, devenu parmi nous le véritable trésor de la science, ces magnifiques collections anatomiques, aujourd’hui l’orgueil de la France et l’étonnement de l’étranger.

Mais ce n’est pas là peut-être, Monsieur, ce qui a le plus de droit d’étonner ; votre plus grande gloire n’est pas dans ces recherches si neuves, si riches, si profondes, auxquelles vous avez soumis les animaux existants et connus. Une autre gloire plus grande, plus nouvelle, n’appartient qu’à vous. Vous avez interrogé les entrailles de la terre, et à votre voix puissante en est, pour ainsi dire, sorti un quatrième règne. Vous êtes parvenu, à force de volonté, de travail, d’attention, à découvrir dans des ossements incomplets, dans des débris fossiles ensevelis sous la poussière des générations, la configuration des animaux auxquels ils avaient dû appartenir, et dont on ne retrouve plus ni les espèces ni les analogues vivants. Les formes de ces animaux, leurs organes, leur nourriture, jusqu’à leur séjour, vous avez tout reconnu vous avez recomposé leurs squelettes, vous les avez pour ainsi dire recréés ; et sondant les profondeurs auxquelles ces ossements étaient enfouis, et les masses minérales qui les enveloppaient, vous avez remonté avec eux et par eux à travers les siècles. Ils vous ont servi à signaler les traces physiques de ce déluge qui, au commencement des temps, a submergé l’univers ; ils vous ont aidé aussi à fixer leur véritable antiquité, et, par leur antiquité, celle du monde. Vous avez trouvé ainsi, Monsieur, la théorie de la terre dans la terre même, et cette belle théorie, vous ne l’avez pas établie sur des conjectures, vous l’avez fondée sur des faits, vous avez recueilli et classé ces faits avec une précision savante dans un ouvrage qui en a fait un corps entier de doctrines ; et, bien différent de ces écrivains qui n’emploient leurs fausses lumières qu’à attaquer des vérités immuables, dans l’admirable discours que vous avez placé à la tête de ce bel ouvrage, et qui, par le puissant intérêt qui y est répandu et le talent de style qu’on y remarque, vous aurait seul appelé à l’Académie française, vous avez montré cette chaîne immense qui dans le système du monde lie ensemble les témoignages de la nature, les documents historiques, les traditions des peuples, nos monuments religieux vous ; avez prouvé combien ce système se conciliait avec les récits inspirés de Moïse ; vous en avez constaté l’irréfragable authenticité et vous auriez ainsi donné à la religion un appui de plus, si l’ouvrage de Dieu pouvait avoir besoin du secours des hommes.

Je pourrais, Monsieur, m’arrêter ici ; mais, dût votre modestie encore en souffrir, comment ne pas remarquer que tous ces travaux qui auraient surpassé les forces de tant d’autres, ne vous ont pas suffi à vous-même, et qu’ils ne représentent qu’une partie de votre temps et de votre gloire ? On pourrait en quelque sorte dire de vous ce que Fontenelle disait de Leibnitz (Éloge de Leibnitz), que pour le louer on était obligé de le décomposer, et qu’à la différence de l’antiquité, qui de plusieurs Hercules n’en avait fait qu’un seul, on pouvait de lui seul faire plusieurs savants. Que de sciences diverses, en effet, il vous a fallu connaître pour rendre compte de tous les services que leur avaient rendus ces hommes si instruits, si appliqués, si modestes, dont vous avez retracé la vie ! Quelle profondeur de raison, quelle justesse d’idées, quelle étonnante clarté dans les développements historiques de leurs travaux et de leurs succès ! Il n’y a personne qui, en vous lisant, se croie étranger à la science particulière que chacun d’eux avait cultivée, tant vous en rendez l’intelligence facile par la rare fidélité avec laquelle vous la décrivez. Quel vif intérêt vous avez encore attaché à tous ces détails privés de leur première jeunesse, de leurs efforts, de leurs progrès, des obstacles qu’ils ont vaincus, des triomphes qu’ils ont remportés, et de leur vie en général si simple, si uniforme, si laborieuse ! Vous n’avez cherché à imiter ni la manière si dangereusement séduisante de Fontenelle, ni celle d’aucun des académiciens qui lui ont succédé dans l’honorable fonction qu’ils vous ont transmise ; vous n’avez suivi avec raison que la vôtre. Il y a d’ailleurs un caractère particulier qui séparera toujours ces discours que vous appelez si modestement des notices, de tous ceux de vos prédécesseurs ; c’est cette teinte mélancolique qui y est répandue, et qui tient à ces temps malheureux que nous avons traversés. Tous les savants que louait Fontenelle, et tous ceux qui ont été loués par d’autres après lui, avaient vécu dans des jours paisibles ; ils avaient été heureux de leurs travaux même, ils avaient joui de toute leur gloire, et la simplicité de leur mort avait ressemblé à la simplicité de leur vie. Mais vous, Monsieur, dans ce tribut éloquent et fidèle que vous avez payé à ceux dont la mémoire vous a été si heureusement confiée, que d’infortunes vous avez souvent eues à peindre ! Que de persécutions à décrire, que de catastrophes à déplorer, qui ont interrompu leur carrière, ou en ont précipité la fin ! Et cependant, quels pas immenses ces hommes, victimes de nos désastres, avaient fait faire aux sciences auxquelles ils avaient consacré leur vie ! De quel éclat ils les avaient illustrées ! Que de découvertes ils avaient ajoutées à toutes les découvertes faites avant eux ! On est frappé d’étonnement quand on voit le vaste et riche tableau que vous avez tracé d’une main si ferme, de toutes ces découvertes faites dans les sciences, seulement à compter de l’époque la plus voisine de nous, celle de 1789 ; mais ce qui étonne surtout ce sont les circonstances terribles au milieu desquelles elles ont été faites. Il faut que l’impulsion ou l’instinct des connaissances soit bien invincible, puisque rien ne peut arrêter l’homme que ce besoin impérieux dévore. La plupart de ces bienfaiteurs de la science étaient en effet pressés par la tourmente révolutionnaire ; toutes les destructions les environnaient ; le monde se bouleversait autour d’eux, et ils n’en marchaient pas moins avec un courage tranquille à la conquête d’une vérité nouvelle, comme si le génie qu’absorbent ses méditations était séparé de la nature entière, et que les hommes même n’existassent plus pour lui.

La postérité admirera, Monsieur, tous ces travaux qui ont tant ajouté à la gloire des sciences, et le beau monument que vous avez élevé pour la consacrer. Ce sera encore là un grand succès de plus ; car je ne parle pas de ceux que vous avez obtenus dans nos assemblées, en développant d’un style animé et piquant les avantages moins généralement connus des sciences, et leur influence surtout, si utile dans les arts de la société. Je ne parle pas de toutes ces lumières dont vous avez enrichi l’instruction publique ; de tous ces voyages entrepris pour explorer, dans l’intérêt du premier besoin des nations, toutes les richesses des pays étrangers, et les rapporter dans votre patrie ; de tous ces écrits si lumineux et si féconds, où, en retraçant les différents usages qui avaient frappé vos regards, vous avez développé vos pensées sur l’application qu’on pouvait en faire à la France. Je ne parle pas de ces lumières d’un autre genre que vous apportez tous les jours en tribut dans ces conseils où la confiance du monarque vous appelle ; je ne parle pas enfin de ces triomphes de la parole qui semblaient vous attendre dans nos tribunes politiques, sur ces hautes discussions si étrangères à vos habitudes ; de cette promptitude d’idées, cette rapidité de mouvements, cette facilité d’élocution qu’on n’a pas vue sortir sans surprise de cet immense laboratoire de la nature où vous étiez comme enseveli. Vous le dirai-je, Monsieur, et votre gloire me le pardonnera-t-elle ? je regrette presque ces derniers succès si nouveaux pour vous ; je redoute leur séduction, je crains qu’ils n’aient la puissance de vous enlever à cette belle carrière des sciences naturelles où vous avez si peu de rivaux ; je crains surtout qu’ils ne vous arrachent à cette anatomie comparée, le travail de votre vie entière, votre plus beau titre de gloire, et qui a besoin que vous l’acheviez pour achever votre renommée. Mais n’entends-je pas ici la voix de la patrie qui condamne et mes craintes et mes regrets ? C’est elle, je le sens, qui vous crie que nous nous devons à toutes ses invitations, à tous ses besoins, à tous ses dangers. Et comment se refuser surtout aux désirs de ce prince, qui est pour chacun de nous l’objet le plus sacré de nos affections et de notre zèle ? Comment ne pas répondre à ses vœux, ne pas s’associer à ses nobles pensées, ne pas s’efforcer de justifier sa confiance ? Obéissez, Monsieur, à cette honorable ambition, répondez à toutes les espérances de la patrie ; vous pouvez tout concilier et tout satisfaire ; vous resterez fidèle à la science sans trahir vos autres devoirs. Remplissez-les tous, Monsieur ; remplissez-les avec le courage de l’homme de bien ; soutenez aussi de toute la puissance de votre raison les saines doctrines politiques, les seules que la conscience puisse avouer ; et croyez que vous aurez bien mérité du roi et de votre pays, lorsque, sans tromper les vœux de la science alarmée, vous aurez contribué de tous vos efforts à l’affermissement du gouvernement légitime, au maintien de l’ordre public, et à la prospérité de la France.