Réponse au discours de réception de Charles Boileau

Le 19 août 1694

Jacques de TOURREIL

RÉPONSE de Mr. DE TOURREIL, au Difcours prononcé par Mr. l’Abbé Boileau, le jour de fa reception.

 

MONSIEUR,

LES acclamations fi conftantes à vous fuivre en tous lieux femblent ne vous avoir ici tant de fois interrompu, que pour faire mieux entendre combien le Public fe louë & s’applaudit de fon choix. Peut-eftre auffi, que dans ce murmure confus il vous reproche une efpece d’ingratitude, & qu’il demande pour lui les fentimens de reconnoiffance que vous avez crû nous devoir. Ils lui font dûs, détrompez vous, MONSIEUR, & ceffez de nous prendre pour vos bien-faicteurs. Nous n’avons agi qu’en Juges accouftumez à pefer fcrupuleufement le merite, & fujets à deferer aux témoignages éclatans de la Renommée.

C’eft elle qui la premiere vous a déclaré digne fucceffeur d’un homme[1], que fes talens acquis & naturels expoferent continuellement & fans danger à l’admiration univerfelle. Séculier en apparence il les dévoüa tous à l’ufage, qui fanctifie les voftres. Penetré de ce zele, qui ne fe laffe ni d’inftruire, ni d’édifier, il en fit le principal objet de fes occupations, & jufqu’aux derniers momens de fa vie, il le fignala par tout ce que peuvent enfemble la facilité du genie, l’affiduité du travail, l’autorité de l’exemple. Traducteur par qui les beautez originales acqueroient de nouvelles graces. Efprit d’un autre ordre que ces Echos de l’Antiquité, je dis certains Echos fouvent faux, & tousjours muets, fi quelque Grec ou quelque Latin ne leur prefte les fons qu’ils ne repetent qu’à demi : que ces Compilateurs, ou fi l’on veut ennoblir leur metier, ces Commentateurs perpétuels, qui toutes les fois, qu’ils ofent penfer de leur chef, nous font bien fentir le befoin qu’ils ont de s’affervir fidellement à des genies étrangers. Homme d’une affabilité, d’une condefcendance, d’une politeffe que beaucoup de Sçavans ignorent ; auffi pur dans fon ftyle que dans fes mœurs ; également concerté, mais fans étude, & dans fes penfées & dans fes actions. Homme qui portoit en lui le modele des vertus dont il traçoit de fi vifs, de fi riches portraits ; & pour n’obmettre aucun de fes rapports effentiels avec vous, MONSIEUR, docte Interprete d’un Père de l’Eglise[2], que vous faites revivre dans vos difcours. On reconnoift, on retrouve en vous ce faint Orateur ; c’eft le lire que de vous entendre : tant vous fçavez remuer les paffions humaines en faveur de la raifon, & par le charme autant que par la force de la parole, établir puiffamment dans nos cœurs les veritez qui poffedent le voftre.

Cette éloquence fi perfuafive, MONSIEUR, & marquée au coin de la Vericé, tousjours empreinte & dans ce que vous dites & dans ce que vous faites, vient de fe déployer librement fur un fujet que l’on peut appeller tout Chreftien, quoique le comble des profperitez, & des grandeurs humaines qu’il renferme, paroiffe de loin y mêler quelque idée profane. On ne peut s’y méprendre, & je ne fçay pourquoi je dis, que c’eft le regne du Souverain que toutes les Nations nous envient. Son nom prefente d’abord l’image de toutes les perfections reunies : Image que le temps ne fait qu’imprimer plus avant dans tous les efprits, que l’amour grave de plus en plus dans tous les cœurs, & que les derniers efforts de l’art peuvent embellir, mais non par d’autres traits ni par d’autres ornemens que ceux de la reffemblance.

Vous le fçavez, MONSIEUR. Vous-mefme en ce jour avez fenti le poids d’un fi haut fujet. La profeffion qui vous deftine particulierement à celebrer les vertus Evangeliques, vous foulageoit pourtant, & fembloit preparer voftre encens pour l’unique deffenfeur que les Autels & leurs Miniftres ayent fur la terre ; pour le Heros en qui une Religion pure, une fincere pieté, le defir d’une folide paix conceu & nourri dans le fein de la victoire confacreent tout ce qui peut flater l’orgueil ou l’ambition des Conquerans. Tant de merveilles qui fe fuivent de fi prés dans le cours de fa vie, & qui en forment le veritable caractere, il ne ceffe de les rapporter à leur origine. Elles rehauffent chacune le prix & l’éclat de l’hommage continuel qu’il en rend à la main invifible qui le couronne. Fidele à renvoyer ainfi fa gloire toute entiere au fuprême difpenfateur des graces, il en attire chaque jour de nouvelles ; & pour tout dire, il remplit la mefure des titres qu’il porte de GRAND, & de TRES-CHRESTIEN.

Des titres fi auguftes, & fi legitimes ne lui font pas dédaigner celui de noftre Protecteur : & pendant qu’il fe partage, pendant qu’il fe multiplie fans relâche au gré de nos befoins ; feul auteur de fes projets, feul garant de fes entreprifes, feul chef de fes Confeils & de fes Armées, il veille encore fur la Republique des Lettres, & veut bien luy donner les momens d’attention neceffaires pour la maintenir. Cette attention, MONSIEUR, pouvoit-elle mieux fe manifefter que dans le plaifir qu’il eut, & qu’il témoigna publiquement d’autorifer mefme par avance, l’heureufe adoption, qui va nous faire goufter toute la douceur, & recueillir tout le fruit d’un commerce tel que le voftre.

 

[1] M. Du Bois.

[2] S. Auguftin.