Réponse au discours de réception d’Antoine Danchet

Le 22 décembre 1712

François-Séraphin RÉGNIER-DESMARAIS

RESPONSE DE M. L’ABBÉ REGNIER DES MARAIS, Secretaire perpétuel de lAcadémie, au Difcours de Monfieur Danchet.

 

MONSIEUR,

Ce n’eft que trop fouvent pour le Public, pour l’Académie, & pour moy-mefme, qu’on me voit icy à la tefte de la Compagnie porter la parole pour elle & recevoir, en fon nom, ceux qui dans le malheur de fes pertes luy aident à les réparer. Nous en avons fait une grande, MONSIEUR, dans la perfonne de celuy dont vous rempliffez aujourd’huy la Place. Plein de l’amour des Lettres & des Mufes dés fa Jeuneffe, il trouva par-là une prompte & favorable entrée dans un Corps inftitué pour les cultiver : Et quel progrès enfuite n’y fit-il point, devenu éleve de ces premiers Perfonnages qui fous les aufpices d’un grand Roy, & fous la Protection d’un grand Cardinal, avoient commencé à former l’Académie ! Si l’eftabliffement en a efté avantageux aux Lettres ; s’il a contribué à les faire fleurir par tout le Royaume ; & fi la noble émulation qu’il’y a excitée a fervi à les faire parvenir au point où nous les voyons ; c’eft à ce fameux Miniftre, à ce genie fuperieur, que l’obligation en eft deuë : Et combien l’Eglife & la France ne luy en ont-elles point d’autres ! Vous entrez des à prefent avec nous, MONSIEUR, dans toutes celles dont noftre Corps luy eft redevable : mais vous en contractez en mefme temps une autre envers le Public & envers nous. C’eft de faire en forte, par voftre attention, que le Public, quelquefois difficile, mais d’ordinaire equitable, & juge de tout en dernier reffort, ne ceffe de confirmer noftre choix par fon approbation : C’eflt d’effayer par voftre affiduité, & par voftre caractere d’efprit à nous dedommager de la perte d’un Académicien affidu, laborieux, d’une Societé douce & aifée, & qui s’eft tousjours heureufement diftingué dans toutes les occafions que nos exercices ont peu luy fournir. Il ne s’eftoit pas mefme renfermé dans les bornes ordinaires de nos fonctions : il a efté un de ces heureux Citoyens de noftre Republique qui ont donné commencement à une Colonie, qui s’eft enfuite tellement accreuë, & avec tant d’efclat, que nous pourrions en eftre jaloux fi l’avantage que nous avons d’en eftre comme les premiers Fondateurs ne faifoit rejaillir fur nous-mefmes une partie de fa gloire. La part qu’il a euë à ces admirables infcriptions des plus glorieux evenements que la France ait jamais veus, fera un tefmoignage perpetuel de la beauté de fon efprit, de l’eftendüe de fon erudition, & de l’excellence de fon gouft : heureux de s’eftre affeuré l’immortalité en travaillant à celle d’un grand Roy, par de fçavants monuments de la gloire de fon Regne, des Victoires remportées, des Places forcées, des Provinces conquifes, des Alliez fecourus, des Peuples ingrats chaftiez, des Rois protegez, des Loix reftablies ; de la fureur des Duels abolie, de l’Herefie abbattuë ; du Commerce eftendu jufques aux extremitez de la Terre ; & de la France garentie plus d’une fois des horreurs de la Famine. La Pofterité fera fans doute eftonnée de voir tant & de fi grandes chofes executées par un feul Prince : Et cependant combien d’autres medailles refteroit-il à frapper à la gloire de LOUIS LE GRAND ; s’il eftoit poffible de mettre par des medailles les divers threfors de fon cœur & de fon ame. Nous n’avons eu que de trop grandes, & de trop ftrictes marques de fa fermeté dans les occafions les plus douloureufes & les plus fenfibles : mais le Ciel dont il a tousjours adoré egalement la main, commence enfin à le vouloir faire jouir du fruit de fa pieté : Et quels gags ne vient-il point de nous donner du retour de ces temps heureux où il avoit attaché la victoire à nos armes ! Landrecy que ous un grand Roy il rendit autrefois fatal à un grand Empereur, ce mefme Landrecy vient d’eftre encore fatal à l’ambition de nos Ennemis. Il a efté pour eux l’efcuëil où leur orguëil s’eft venu brifer de nouveau : mais la Providence amene tout à fes fins dans les temps marquez : & par les difpofitions qu’elle a mifes dans l’efprit de nos Ennemis, en les humiliant, cet efcuëil, où leur orguëil a efchoué, deviendra pour eux auffi bien que pour nous un port de falut. Les fuccez paffez avoient endurci leur cœur aux propofitions de la Paix ; & cet endurciffement avoit efté porté jufqu’à refufer quelques jours de treve & de repos à la Terre. Le vent du Seigneur, un vent bruflant a foufflé fur leurs profperitez ; toutes leurs efperances ont efté deffechées jufqu’à la racine. Le Tout-Puiffant a refpandu fur eux fa terreur : & comme s’eftoit luy qui avoit efcarté de nous la victoire ; c’eft auffi luy qui la renvoye aujourd’huy chez nous ; luy qui a forcé en noftre faveur Denain & Marchienne ; & luy qui nous a rendu Douai, le Quenoi, & Bouchain ; pour apprendre à l’Univers, que c’eft luy feul qui donne & qui ofte la victoire ; qui force les plus fermes remparts ; qui fait quelquefois devenir imprenable les plus foibles ; & qui dans la Guerre rend heureufes ou malheureufes les conjoctures qu’il fait naiftre comme il luy plaift. Graces au Dieu des Armées que la Pieté d’un grand Roy nous reconcilie, & qui va devenir bien-toft pour nous le Dieu de la Paix, la France fe voit à la veille d’eftre delivrée d’une Guerre longue & dangereufe, où le Ciel mefme s’eftoit joint en quelque force contr’elle à toute la terre. Puiffe un fi grand Prince joüir long temps de la tranquillité que fes foins & fes veilles nous preparent ; & puiffe le tendre Rejeton, que le Ciel luy a refervé, croiftre long temps fous fes yeux ; & formé par fes fages leçons, inftructeur par fes grands exemples, remplir un jour dignement le premier Throfne de l’Univers.