Remerciements lors de la remise de son épée d'académicien

Le 7 décembre 2000

René de OBALDIA

Remerciements de M. René de OBALDIA

lors de la remise de son épée d’académicien

au théâtre de la Madeleine

le 7 juin 2000

 

 

 

Chers amis,

« Il y avait autrefois un poète si pauvre, si aban­donné, si dénué de ressources que, lorsque l’Aca­démie française vint lui offrir un fauteuil, il demanda la permission de l’emporter chez soi. »

Ces lignes sont extraites du Manuscrit trouvé dans un chapeau d’André Salmon.

Par bonheur, je ne suis point réduit à cette extré­mité, et le fauteuil que l’Académie française a l’obligeance de m’avancer, je me garderai bien de l’emporter avec moi — d’autant que, pour arriver à ma porte, il faut gravir quatre étages, extrême­ment copieux, sans ascenseur. Et puis j’éprouve un grand respect pour ce fauteuil numéro 22 étrenné par le poète Saint-Amant en 1634 et où siégèrent tant d’hommes illustres ; il n’y a pas si longtemps encore François Mauriac, puis Julien Green auquel j’ai l’honneur de succéder.

Un fauteuil académique appelle, par nature, un habit vert, et l’habit vert appelle l’épée. Ainsi le veut la tradition. L’épée fut instituée par Napo­léon, lequel, vous le savez, ne lésinait pas sur l’acier.

Ma toute fraîche épée d’Académicien, Félicien Marceau vient de vous en faire la description. J’ai­merais souligner que, grâce au génie de Jean Ven­dome, elle prend place au rang d’œuvre d’art. Jean Vendome que je suis heureux de saluer ici ainsi que ses fils qui ont collaboré avec lui. Et si le lapis-lazuli le dispute à l’argent, l’argent au rubis et à l’or, toutes ces merveilles, je les dois, chers amis, à votre générosité ; laissez-moi vous adresser hic et nunc mes remerciements les plus vifs, les plus aiguisés.

Vous l’avouerai-je ? Je n’ai pas l’habitude des armes blanches — ni même des armes à feu !... Attention ! a écrit l’un de mes proches à ma femme, passemaloufe ! René est si maladroit que s’il mani­pule cette épée, il risque de s’embrocher.

N’exagérons rien !

Il est cependant probable que, suspendue comme un corps étranger à mon flanc, elle risque de m’emberlificoter quand, dans quelques jours, je descendrai, le port altier, l’escalier de la biblio­thèque pour affronter l’arène — je veux dire, la Coupole — les mille et un feuillets de mon dis­cours serrés fiévreusement sous un bras, mon bicorne étranglé sous l’autre. Oui, passemaloufe !

Certains d’entre vous m’ont demandé, non sans une pointe d’ironie — Cette épée, pour quoi faire ?... Jean Cocteau, lequel hanta le 31e fauteuil, avait répondu : « Pour me défendre contre moi-même ! »

Est-ce mon sang espagnol qui prévaut, via le Panama ? Pour ma part, tel l’ingénieux hidalgo Don Quijote de la Mancha, je la mets tout d’abord au service de ma Dame, Dulcinée du Michigan, et, avec sa bénédiction, je me lance à l’assaut des mou­lins à vent — les milliers de moulins à vent de la bêtise... Combat ridicule, perdu d’avance. Combat de poète... Mais la défaite devant les apparences ne mène-t-elle pas à une victoire immanente au royaume intemporel de l’invisible ?

J’ai écrit dans Exobiographie— Bertrand Poirot­-Delpech me l’a cruellement rappelé — : « Du désa­grément de vieillir : ou mes amis meurent, ou ils se font décorer »... À la réflexion, je préfère encore la seconde manifestation à la première et participer en chair et en os à ce qu’on appelle très justement « une émouvante cérémonie ». Quel beau prétexte pour se rassembler, se reconsidérer les uns les autres, s’embrasser, s’entrechoquer, festoyer!

Ainsi, quel bonheur de me retrouver aujour­d’hui dans ce beau Théâtre de la Madeleine, dont Simone Valère et Jean Desailly tiennent la barre contre vents et marées. Merci, chère Simone et cher Jean, d’avoir toujours défendu un théâtre de qua­lité, lequel n’obéit pas nécessairement aux lois du mercantilisme, un théâtre qui fasse encore appel à l’imagination créatrice. Et que de souvenirs mer­veilleux ! C’est ici, sur cette scène que Jean Marais a repris le rôle du patriarche vert de Du vent dans les branches de sassafras, avec cet enthousiasme, cette gaieté, cette générosité que nous lui connaissions tous. Ici que Monsieur Klebs et Rozalie, ma comé­die futuriste créée au Théâtre de l’œuvre par Michel Bouquet et Annie Sinigalia, puis reprise au Théâtre 14 par Jacques Rosny et Anne Jacquemin a retrouvé, sur ce plateau, avec cette dernière dis­tribution, une nouvelle virginité... Jacques Rosny en a signé les mises en scène, toutes deux remar­quables ; il n’a malheureusement pas pu être des nôtres aujourd’hui, mais je prie Annick Blancheteau, son épouse, et aussi la délicieuse comédienne que nous admirons, d’être ma messagère pour lui transmettre mes chaleureuses salutations.

Autre source de félicité : les membres éminents du Comité d’Honneur qui ont bien voulu me faire l’honneur d’accepter qu’ils soient à l’honneur en mon honneur... Je remercie en particulier Michèle Morgan, notre Présidente, revenue spécialement du Midi pour être des nôtres.

Michèle Morgan qui est non seulement Michèle Morgan, mais comme l’a mentionné Félicien Mar­ceau avec gourmandise, qui est aussi ma cousine !

... Oui. Et pas du tout une cousine à la mode de Bretagne... Permettez-moi de vous conter com­ment, par les voies circonvolutives de la Provi­dence, les tropiques ont fait alliance avec les brumes — les brumes du Nord :

Victor, mon grand-père maternel, Victor Peu­vrel, descendant des Peuvrel, avait été marié à une Romedenne, Marie Romedenne, lorsque, devenu veuf, il épousa en secondes noces Hono­rine, une jeune fille ravissante qui allait devenir ma grand-mère ; Honorine née Baquet... Made­moiselle Baquet, puis Madame Peuvrel, Honorine Peuvrel.

De son premier lit, comme on disait à l’époque, de son premier lit, Victor avait eu une fille, Mar­guerite. C’est à la bonté d’un second lit que ma mère, Madeleine, demi-sœur donc de Marguerite, connut le privilège de voir le jour, privilège qu’elle m’accorda par la suite, après avoir succombé aux charmes du Panama en la personne de mon père, Jose Clemente de Obaldia.

Premier lit, deuxième lit, troisième divan, cin­quième canapé, pouf, fauteuil à bascule, Ô manèges !

Poursuivons : une Romcdenne, donc de la branche des Peuvrel, Louise, Louise Romedcnne, épousa un Roussel, de la grande ramille des Rous­sel, Eugène de son prénom. Tournant décisif ! De leurs frémissements partagés — je parle de Louise et d’Eugène — allait naître un bébé très lourd, très évident, baptisé Louis Roussel. Le petit Louis se mit à grandir, à grandir — et ce durant plusieurs années. Parvenu enfin à maturité, sans coup férir il jeta son dévolu sur Mademoiselle Georgette Payot, elle-même affiliée aux Guédrasse, aux Rolland, aux Carlier, aux Greluchet, aux Piskareff, j’en passe... Georgette Payot qu’il épousa bel et bien.

De cette union, inscrite dans les astres de toute éternité, naquit Simone, Simone Roussel, laquelle, inexorablement, allait devenir Michèle Morgan ! Et voilà comment je suis apparenté à une étoile ! — J’espère que je ne me suis pas trompé...

 

Chers amis,

J’aurais encore bien des confidences à vous livrer. Par exemple : qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour en arriver là ? !... Mes visites...

Ma première visite, je la consacrai à notre doyen de l’Académie française, Louis Leprince-Ringuet ; nous nous sommes longuement entretenus de l’anti­matière,

la seconde alla au merveilleux professeur Jean Bernard, il me donna une leçon d’humanité,

la troisième, je la réservai au Révérend Père Carré, lequel, avec délicatesse, prit aussitôt mon âme en mains.

Je ne tiens pas vraiment pour une visite officielle celle que je rendis à la chère Jacqueline de Romilly — ah ! son excellent bourbon — avec qui j’avais déjà noué des relations amicales.

Ma quatrième visite... Mais non ! Comme il est écrit dans l’Ecclésiaste, il y a un temps pour parler et un temps pour se taire.

Mon épée, je vais la laisser au fourreau et, comme m’y invite expressément Félicien Marceau, reprendre la plume, m’engager à nouveau, aug­menté de votre ferveur, dans les chemins de la création, par là même soutenir un combat singu­lier, le combat redoutable et merveilleux avec l’ange.