Discours prononcé lors de la réception de l'Académie brésilienne des Lettres, à l'Académie française

Le 19 mars 2015

Jean d’ORMESSON

Réception de l’Académie brésilienne des lettres

à l’Académie française

Séance du jeudi 19 mars 2015

COMMUNICATION

DE

M. Jean d’ORMESSON
Directeur de la séance

 

 

Monsieur le Président,
Monsieur l’Ambassadeur,
Mes chers Confrères, mes chères Consœurs,

C’est un grand honneur et un grand bonheur pour moi de présider cette séance. Bien sûr, j’ai préparé un discours, mais je crois que je ne vais pas m’en servir. Car, parler du Brésil, c’est pour moi parler d’un pays que j’ai vraiment beaucoup aimé et parler de mon enfance. Et vous savez que pour les vieux écrivains, parler de leur enfance, c’est toujours très important.

Vous êtes arrivés en quelques heures, j’avais mis vingt et un jours pour aller jusqu’à Rio de Janeiro, en 1936. Et je me rappelle l’éblouissement que j’ai ressenti en arrivant dans cette baie. C’est une des plus belles du monde, et avec le Pain de sucre, le Christ du Corcovado, les lumières innombrables, c’était un enchantement. Et je suis revenu plus tard à Rio, avec un bateau tout à fait spécial, qui était le Normandie. Le Normandie faisait uniquement le trajet entre l’Amérique du Nord et l’Europe, mais il y a eu un voyage unique où le Normandie est allé jusqu’à Rio et j’étais sur ce bateau. Et l’arrivée à Rio – je devais avoir neuf ou dix ans – sur le Normandie est évidemment un souvenir inoubliable.

J’arrivais. On m’avait dit : le Brésil est grand, dix-huit fois comme la France. À cette époque-là, Rio de Janeiro était encore la capitale du Brésil, Brasilia n’existait pas. Il y avait, je crois, un seul gratte-ciel à Rio, c’était le siège du journal A noite, et naturellement Copacabana était construit, mais Ipanema était entièrement vide. Il y avait un bâtiment qui était le Country club. Et je me rappelle que je me promenais avec éblouissement sur la plage d’Ipanema, que je montais jusqu’à Vista Chinesa, jusqu’à la Tijuca, plus loin, jusqu’à Pétropolis, où deux ans après, ou trois ans après, Stefan Zweig devait se suicider, en 1942. Et quelquefois, je poussais jusqu’à des villes qui me paraissaient éblouissantes, comme Bahia, Salvador, ou comme Ouro Preto ou Diamantina, qui sont si magnifiques.

Et je crois que je me souviens encore du nom de quelques-uns de vos confrères que je n’ai pas connus, que je n’ai pas lus, je vous l’avoue, mais dont mes parents répétaient les noms. Est-ce que je les invente ?

C’était Amoroso Lima, Afranio Peixoto, ou Osório de Almeida. Peut-être est-ce que je les invente, peut-être est-ce que je crois que c’étaient vos confrères et les nôtres, à cette époque-là. Mais je voudrais parler, quelques instants, de deux catégories de gens que j’ai beaucoup aimés. Les uns, ce sont les Français au Brésil, les autres ce sont les Brésiliens en France.

Les Français au Brésil : les noms sont assez éclatants. Je voudrais dire un mot, peut-être, de Paul Claudel. Paul Claudel, non seulement représentait la France à Rio, et vous trouverez des traces innombrables de Rio de Janeiro, de sa musique, de son carnaval dans Le Soulier de satin. Mais il était flanqué – comme si ce n’était pas suffisant d’avoir Claudel, – d’un grand musicien qui était Darius Milhaud. Et vous savez que parmi les œuvres de Darius Milhaud, le Brésil tient une place considérable. L’une de ses pièces les plus célèbres s’appelle Saudades do Brasil.

Les Brésiliens en France : c’est encore une légende. Je pense que je ne peux pas ne pas prononcer le nom de quelqu’un que j’ai à peine connu, et dont seulement les plus âgés ici connaissent encore le nom. C’était l’ambassadeur Souza Rotas. L’ambassadeur Souza Rotas, était non seulement le plus célèbre des Brésiliens de Paris, mais aussi le plus célèbre des Parisiens de Paris. C’était un de ces hommes qui représentaient tout ce qu’on pouvait imaginer, tout ce qui restait encore de cette Belle Époque qui se prolonge peut-être jusqu’à la Guerre.

 

Le deuxième personnage est quelqu’un que j’ai beaucoup aimé et beaucoup admiré, qui s’appelait Paulo Peredo Carneiro, et qui était un des orateurs les plus merveilleux que j’ai jamais connus. On allait à l’UNESCO, non pas pour entendre parler de tel ou tel problème, mais uniquement pour écouter Paulo Peredo Carneiro, qui était aussi l’image même de la France et du Brésil. Il était comme vous le savez un des représentants du comtisme, qui est si important, puisque la formule « Orden e Progresso » figure dans les armes du Brésil. Et quand il a quitté son ambassade, il a été remplacé par un autre personnage qui était membre de votre Académie, que j’ai beaucoup aimé, beaucoup admiré également, qui s’appelait Carlos Chagas. Je crois que la fille de Carlos Chagas à qui j’envoie mon salut respectueux, est ici avec nous dans cette salle.

Ces hommes ont beaucoup compté pour moi, mais naturellement ce qui a le plus compté pour moi, c’est la découverte de la littérature brésilienne. Cette littérature brésilienne, comment est-ce que je l’ai connue ? Je l’ai connue par Roger Caillois, qui était membre de votre Académie – je crois qu’il avait succédé à un siège que vous réservez, avec élégance, à un étranger, à André Malraux –, et il m’avait introduit à la lecture d’un homme que je n’ai pas connu, mais dont les œuvres sont considérables, et qui représentait ce Nordeste que mon ami Jean-Christophe connaît bien, c’était Gilberto Freire, auteur de ce livre fondateur Maître et Esclave.

Et naturellement, ensuite, le nom que je ne peux pas ne pas prononcer, c’est celui de Jorge Amado. Jorge Amado était chaleureux, amical, communiste, et merveilleux. Je l’ai beaucoup aimé. J’ai beaucoup aimé Aragon aussi, j’ai beaucoup aimé Amado. Les livres d’Amado ont évidemment beaucoup compté dans ma vie. Je me rappelle, bien sûr, Bahia de Todos os Santos, l’admirable Capitaine des sables, Dona Flor et ses deux maris, Gabriela, girofle et cannelle et tant d’autres. Amado fait évidemment partie du patrimoine, non seulement du Brésil, non seulement de la France, mais de l’humanité, et il a marqué cette littérature du Nordeste qui est si importante, si magnifique, et que plusieurs d’entre vous représentent encore aujourd’hui.

Et enfin – j’ai déjà parlé trop longuement – je ne peux pas ne pas dire un mot de gratitude et d’affection à l’Académie du Brésil, puisqu’elle m’a fait l’honneur de m’élire parmi ses membres. Souvent, pendant des années, des années, je me suis demandé ce que je pourrais faire pour remercier l’Académie du Brésil. Et voilà, ma chère Hélène, que vous m’avez donné cette occasion. Je vous en remercie.

C’est avec beaucoup d’émotion, je vous l’assure, beaucoup d’affection, que je vous dis mon attachement et ma fidélité. C’était un grand honneur pour moi d’entrer dans cette maison, créée par un homme que j’ai connu, que je connaissais, parce que je l’avais lu, qui était Machado de Assis, qui fonde votre Académie en 1897, si je ne me trompe pas, et dont j’avais lu avec délices les Mémoires posthumes de Bras Cubas, qui est un livre magnifique : c’est votre Anatole France. C’est un livre inoubliable. Et il y a un nom – pardonnez-moi il y a beaucoup de noms que j’aurais voulu citer – mais il y en a un, que je voudrais mentionner parce qu’il est celui de quelqu’un à qui je dois beaucoup. Et parce que je n’ai jamais pu exprimer à cet homme la gratitude et l’affection que j’avais pour lui. Il est inoubliable, ne serait-ce qu’à cause de son prénom, c’est Austrogésilo de Athayde, qui a été, je crois, votre Secrétaire perpétuel, et que j’ai beaucoup aimé.

J’ai bredouillé quelques mots, parce que j’étais évidemment ému, plus que je ne saurais vous le dire, pour vous exprimer l’affection que j’ai pour cette Compagnie, où vous m’avez fait l’honneur de m’accueillir, pour ce pays magnifique, dont l’avenir est encore immense, mais qui déjà est une des puissances de ce monde. Et je voudrais vous demander, mes chères consœurs du Brésil, mes chers confrères du Brésil, de transmettre à votre Compagnie ma gratitude, ma fidélité et mon affection. Merci beaucoup.