Rapport sur les concours d’éloquence et de poésie de l’année 1810

Le 25 août 1810

Jean-Baptiste-Antoine SUARD

RAPPORT

DE M. SUARD,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,

SUR LES CONCOURS D’ÉLOQUENCE ET DE POÉSIE

DE L’ANNÉE 1810.

 

 

Le concours dont nous allons rendre compte offrait trois prix à décerner : un de poésie et deux d’éloquence.

Le premier avait pour sujet les Embellissements de Paris. C’était pour la seconde fois qu’il était proposé, et le second concours a eu aussi peu de succès que le premier. La classe n’a pu remarquer, sans une véritable peine, la faiblesse des ouvrages qui lui ont été envoyés sur ce sujet ; ce n’est pas qu’elle n’ait trouvé dans plusieurs quelques idées heureuses et beaucoup de vers bien tournés ; mais il y a loin du talent de faire de bons vers à celui de composer un bon poëme. Nous ne répéterons pas ici les observations que nous avons déjà eu occasion d’exposer sur cet art de composition, partie si importante de l’art d’écrire, et sur l’application qu’on en peut faire au sujet si riche et si varié des Embellissements de Paris. Le temps nous manque pour proposer de nouvelles idées sur ce sujet ; cette séance doit être destinée tout entière à faire connaître au public les ouvrages qui ont mérité d’être couronnés.

C’est pour la cinquième fois qu’elle mettait au concours, pour sujet du prix d’éloquence, le Tableau littéraire de la France au XVIIIe siècle. Ce prix est enfin décerné : deux discours ont été jugés également dignes ; l’un, enregistré n° 7, a pour épigraphe :

« Sine philosophia non posse effici quem quœrim us eloquenteni. »

Cic.

L’auteur est M. Jay.

Le second, n° 10, a pour épigraphe :

« … Uno avulso, non deficit alter
Aureus. »

L’auteur est M. Victorin Fabre, qui, dans cette même assemblée, a déjà obtenu plusieurs couronnes pour divers ouvrages en prose et en vers.

Ce sujet présentait de grandes difficultés ; mais ce sont les difficultés mêmes qui donnent au vrai talent l’occasion de déployer toute sa force. Les sujets faciles à traiter ne sont favorables qu’au talent faible ou paresseux, qui se contente aisément d’idées communes, et s’occupe plus à tourner des phrases qu’à chercher des pensées.

Plusieurs des écrivains qui s’étaient présentés dans les précédents concours, découragés trop tôt par le peu de succès de leurs premiers efforts, se sont retirés du concours et ont publié leurs ouvrages. On a trouvé dans presque tous assez de mérite pour en justifier la publication ; mais nous croyons aussi que leur publicité a justifié la sévérité des juges ; c’est à cette même sévérité que le public devra les deux discours d’un mérite supérieur qui ont été couronnés.

L’Académie avait regretté de ne pouvoir offrir à chacun des auteurs que la moitié d’un prix. Ce regret a promptement été effacé par la lettre suivante, adressée par S. Exc. le ministre de l’intérieur au secrétaire perpétuel de la classe :

« Monsieur, j’ai appris que la classe de la langue et de la littérature françaises, après avoir mis cinq fois au concours un prix dont le sujet était le Tableau littéraire de la France au XVIIIe siècle, vient enfin de le décerner à deux concurrents qui paraissent y avoir un droit égal par le mérite de leurs ouvrages.

« Si le prix était partagé, chacun des deux auteurs couronnés ne recevrait qu’une partie de la récompense destinée à ses heureux efforts ; et l’intention de S. M. l’empereur est que le talent obtienne toujours de justes encouragements.

« Je remplis donc, Monsieur, ses vues bienfaisantes, en vous annonçant que je double le prix que la seconde classe a décerné à deux concurrents.

« J’ai l’honneur de vous saluer.

« Signé MONTALIVET. »

La classe, touchée, comme elle devait l’être, de l’attention qu’un gouvernement éclairé porte à ses travaux, et de la confiance qu’il témoigne en ses jugements, a adressé l’expression de sa reconnaissance au ministre sage, ami des lettres et des talents, à qui elle doit cette nouvelle faveur du grand monarque qui s’est constamment montré le protecteur le plus éclairé et le bienfaiteur le plus magnifique que les sciences, les lettres et les arts aient eu dans aucun temps.

Le sujet du second prix d’éloquence était l’Éloge de la Bruyère. Treize discours ont été adressés à la classe. Le prix a été adjugé au discours n° 12,  ayant pour épigraphe :

« Respicere exemplar vitae, morumque, etc. »

L’auteur est encore M. Victorin Fabre. Parmi les autres ouvrages, un seul, n° 13, ayant pour épigraphe :

« Florens orationis pietum et expolitum genus »

a été jugé digne d’une mention. Le Tableau littéraire du XVIIIe siècle présentait à ceux qui l’ont traité de grandes difficultés, tenant à l’étendue et à la richesse même du sujet. L’Éloge de la Bruyère avait un autre genre de difficultés, par le peu de matière que ce sujet semblait offrir à l’écrivain. On jugera de l’art avec lequel l’auteur couronné les a vaincues. Nous n’avons pas besoin d’appeler l’attention de cette assemblée sur le phénomène intéressant que présentent les triomphes multipliés d’un écrivain de vingt-quatre ans, et sur les espérances qu’on doit concevoir d’un talent déjà si varié, si brillant et si mûr, lorsque l’âge, la méditation et le travail l’auront étendu et perfectionné.

Le temps consacré à la séance ne permet pas de lire eu entier les trois ouvrages couronnés. On va lire des fragments des deux discours sur le Tableau littéraire de la France au XVIIIe siècle. La séance sera terminée par la lecture de l’Éloge de la Bruyère.