Discours de réception du cardinal Albert Decourtray

Le 10 mars 1994

Albert DECOURTRAY

DISCOURS

DE

M. le Cardinal Albert DECOURTRAY

 

M. le Cardinal Albert Decourtray, ayant été élu à l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. Jean Hamburger, y est venu prendre séance le jeudi 10 mars 1994, et a prononcé le discours suivant :

 

Messieurs,

Quand, voici une vingtaine d’années, mon nom fut proposé pour la Légion d’honneur, mon père, ancien combattant fier de plusieurs médailles gagnées pendant la grande guerre, en fut presque scandalisé : « Qu’as-tu donc fait pour mériter une telle distinction ? » Que je sois nommé évêque ne l’avait pas surpris outre mesure. Mais la Légion d’honneur ! Voilà qui dépassait l’entendement de cet homme de bon sens et de courage.

À sa question, je répondis : « Rien ! Rien ! Je n’ai rien fait. C’est l’Église que le gouvernement veut honorer. » Apparemment satisfait, il participa sans broncher quelques mois plus tard à la cérémonie d’usage.

Comment aurait-il réagi s’il avait appris mon entrée dans l’illustre Compagnie qui m’accueille aujourd’hui ? Je l’ignore. Je sais seulement que s’il m’avait posé la même question, il aurait entendu à peu près la même réponse : « Rien ! Rien ! Je n’ai rien fait pour mériter un tel honneur. C’est d’abord à l’Église que l’Académie française a voulu rendre hommage en ma personne. »

Vous avouerai-je, Messieurs, que la proposition de vous rejoindre m’a plus que surpris ? Je me suis même demandé pendant quelques instants si je n’étais pas victime d’une plaisanterie, ce que la gent estudiantine appelle — j’ai constaté dans votre dictionnaire que le terme était correct, quoique familier ! — un canular. Devenir académicien, l’hypothèse ne m’avait en effet jamais effleuré. Comment aurais-je pu imaginer un seul instant que vous me jugeriez digne de siéger parmi vous ? Certes, le fondateur de cette institution était un cardinal. Mais, justement, le souvenir de l’immense personnalité de Richelieu ne pouvait qu’aviver ma crainte.

En revanche, permettez-moi, à mes risques et périls, de vous faire une confession. J’ai pensé, pendant quelques instants, que vous vouliez m’offrir une occasion sans pareille de travailler à une cause qui vous est chère, celle de la langue française dans les écrits officiels de l’Église catholique de notre pays.

Je ne parle pas ici de votre lutte, à laquelle je m’associe déjà, contre l’invasion nouvelle, pacifique Dieu merci mais redoutable, de nos amis anglophones, armés de tous ces mots barbares qui corrompent notre vocabulaire.

Je n’évoque pas non plus ces déviations, plus vénielles sans doute, contre lesquelles notre Secrétaire perpétuel vient de s’élever dans une lettre vigoureuse adressée aux excellents amis d’outre-Quiévrain.

Non, je pense à l’étrange manie d’employer des termes incorrects et de composer des phrases presque ésotériques. Le mot « synode » par exemple est un substantif qui nous rappelle la merveilleuse langue grecque où la nôtre s’enracine. Mais lorsque je lis sur un tract rédigé par d’excellents catholiques et répandu à des milliers d’exemplaires : « Je synode, je synode ! », je ne puis m’empêcher de bondir intérieurement. Il va sans dire que je n’en fais pas un drame. « Mieux vaut pratiquer la componction que d’en connaître la définition », dit l’Imitation de Jésus-Christ. Mais le respect de la langue ne peut-il pas lui aussi et à sa place signifier un certain respect de l’homme ?

 Oserais-je ajouter — mais je n’irai pas plus loin ! — que les traductions, même officielles, des textes liturgiques entreprises depuis la fin du Concile me laissent quelque peu insatisfait ? Je ne vais pas jusqu’à souhaiter — rassurez-vous, Messieurs — que la révision en cours de l’Ordo missae soit contrôlée par l’Académie. Mais pourquoi pas, après tout, par certains académiciens ?

Quoi qu’il en soit de ces considérations sur la langue des clercs, j’ai accepté de vous rejoindre. Je me suis laissé conduire, in simplicitate, selon ma devise épiscopale. Et je vous exprime ma gratitude pour l’honneur que vous faites à l’Église et à son serviteur.

 

I. Médecin et chercheur

 

Je ne m’attarderai pas sur l’éloge du scientifique et du praticien que fut Jean Hamburger. Comment pourrais-je apprécier par moi-même la Physiologie de l’innervation rénale parue en 1936, le Traité de néphrologie ou La Transplantation rénale publiée plus tard ? En revanche, je puis sans hésiter vous dire mon admiration pour l’homme que j’ai rencontré dans l’ensemble de son œuvre littéraire.

On a parfois redouté, ou moqué, les intellectuels à qui il arrive d’oublier qu’ils sont des hommes appelés à servir leurs semblables. Tel n’est pas le cas, bien au contraire, de Jean Hamburger. Je ne sais s’il avait lu le livre d’Ollé-Laprune qui enchanta notre jeunesse : Le Prix de la vie. Mais à ses yeux la vie humaine avait un prix au-delà de tout prix. Tout au long de sa recherche, conduite avec la plus grande rigueur, il fut poussé par une sorte de révolte passionnée contre l’ignorance et l’injustice qui atrophient et blessent l’humanité.

Jean Hamburger était médecin et chercheur, un médecin qui n’oubliait pas la recherche et un chercheur qui n’oubliait pas la médecine. Jamais il ne put s’incliner devant la tendance moderne à séparer l’une de l’autre.

Sous la plume de l’un de ses disciples, j’ai lu cet éloge du savant « Avec une intelligence, une clairvoyance et une culture hors pair, il entrevit avec de nombreuses années d’avance les directions où allaient s’engager la connaissance des maladies et leur traitement. Au début des années 50, il saisit l’importance de la notion encore confuse de milieu intérieur, ce qui le conduit, en quelques années, à élaborer les bases de la réanimation métabolique... Simultanément, cherchant un traitement plus radical de l’insuffisance rénale que ne le représentait le rein artificiel avec toutes ses contraintes, il appréhende en véritable visionnaire l’avenir de la transplantation rénale... Les retombées cliniques sont immenses... Au cours de ces dernières années, il se prend de passion pour l’immunologie... Plus récemment encore, il s’intéressait aux nouveaux espoirs ouverts par la génétique moléculaire et la biologie cellulaire. Jean Hamburger était toujours en marche vers le progrès. »

Quant au praticien qu’il voulut rester, on l’a décrit dans les termes suivants : « Un très grand médecin, dans la pleine acception du terme... Son approche du patient et de la maladie était à la mesure de sa personnalité qui alliait une acuité et une profondeur exceptionnelles du raisonnement, une culture encyclopédique, un grand respect d’autrui et une sensibilité chaleureuse. »

Quel est le secret de cette si rare unité ?

Il convient, m’a-t-il semblé, de le chercher du côté des zones les plus profondes de la personnalité, là où se nouent les composantes de la question essentielle : qu’est-ce que l’homme ?

 

II. Qu’est-ce que l’homme ?

 

Cette question hante Jean Hamburger, comme elle hante, à des degrés divers et sous des formes multiples, tous les roseaux pensants que nous sommes. Dans une langue admirable, où l’élégance le dispute à la précision et à la clarté, il ne cesse d’y répondre. Qu’est-ce que l’homme ?

Question grave, brûlante, décisive, sans rapport avec cette pseudo-philosophie qui se complaît, comme le dit l’auteur de Monsieur Littré, dans l’étude minutieuse des rêveries et des aberrations de l’homme pendant la suite des siècles.

Question qui concerne le sens de l’existence de tout homme et de tous les hommes sans acception de personne ni, évidemment, de race, car le racisme, je cite, n’a aucune réalité, n’est qu’un phantasme, une supposition idiote.

Question qui, plus précisément, naît d’un paradoxe intolérable pour l’intelligence comme pour le cœur, celui-là même que les psaumes de la Bible rappellent aux Juifs et aux chrétiens, le paradoxe de la grandeur, de la petitesse et de la perversité de l’homme. « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, l’être humain pour que tu t’en soucies ? Tu en as presque fait un dieu... » Mais ce même homme « ressemble à du vent et ses jours à une ombre qui passe ». Et « tous sont dévoyés... unis dans le vice, aucun n’agit bien, pas même un seul ». Ainsi parlent les Psaumes (Ps 8, 144, 14).

De ce paradoxe est née la recherche, la recherche incessante de Jean Hamburger. Le savant jette un grave et long regard sur ces ténèbres et cet abîme. Quel est le sens de l’homme ? Comment donner sens à cette contradiction tragi-comique qui déroule en nous un combat perpétuel ?

Contradiction entre une puissance démiurgique, quasi divine, et la plus extrême fragilité. Le titre de son premier livre de réflexion, La Puissance et la Fragilité, porte déjà en lui tout le projet. Fragilité qui n’est pas seulement celle du roseau pensant ; car cet être à la fois si chétif et si puissant veut le mal, fait ce mal. En lui s’affrontent des passions maléfiques aussi bien que bénéfiques. Sa Raison et sa Passion sont un mélange de Miel et de Ciguë comme l’expriment à eux seuls avec vigueur les titres des deux ouvrages célèbres que je viens de rappeler.

Pourquoi l’homme développe-t-il autant l’art de détruire que celui de guérir ? Pourquoi cette merveille, ce prodige, ce miracle est-il aussi pourriture, désordre, incohérence ? L’enthousiasme que l’homme honnête éprouve en regardant ses fabuleux progrès ne compense pas le désarroi fondamental qui l’habite au spectacle de l’horreur qu’il provoque. Alors s’avive en lui la passion de comprendre. Mais plus il comprend, plus s’accroît la certitude que l’essentiel lui échappera toujours. Le progrès quotidien, constate le savant, multiplie les énigmes imprévues.

Tout le porte à se mettre en quête de la réalité ultime, mais cette réalité lui échappe. Et surtout il perçoit de mieux en mieux combien elle est relative aux conditions de son approche. Parfois même il veut tellement l’étreindre qu’il lui arrive de la réduire à sa mesure, d’enfermer dans ses catégories limitées le champ immense de ce qui transcende et transcendera toujours la science, c’est-à-dire la morale et la métaphysique. Il succombe à la tentation de soumettre à la nouvelle déesse tout l’univers de sa pensée, constate Jean Hamburger dans Demain, les autres.

« C’est la science qui établit les seules bases inébranlables de la morale », écrit Berthelot. Et Painlevé : « C’est la science qui résoudra les problèmes sociaux de l’homme. »

Les hommes de logique, constate tristement l’auteur de Zouchy, veulent absolument fournir à l’inexplicable, fût-ce au prix de l’absurdité et du ridicule, une explication qui les satisfasse.

« Quel monstre !... Quel prodige ! Gloire et rebut de l’univers. » Cette pensée de Pascal était familière à Jean Hamburger. Mais qui peut accepter sereinement pareille histoire de fous contée par un idiot et qui ne veut rien dire ?, comme le demande Shakespeare.

 

III. L’explosion d’un milieu spirituel

 

Ce qui aiguise la question et stimule l’homme en quête de vérité, malgré le sentiment toujours plus fort de ses limites, c’est le surgissement, au sein de l’univers, l’univers minéral glacé, l’univers végétal inconscient, et l’univers impitoyable de l’animalité, d’un autre, un tout autre, univers. Une explosion s’est produite, celle d’un univers spirituel. Un jour, un homme, comme le dit le livre qui porte ce titre ! Pour la première fois, une espèce vivante s’est vue dotée des moyens de comprendre, d’imaginer, de créer, d’agir. Sur fond d’une matière esclave surgit un esprit merveilleusement libre. Liberté spontanée, folâtre, jaillissante, transcendant complètement la machinerie élémentaire qui lui a servi de support.

Vient de naître le concept moral, l’idée du bien et du mal, véritable pied de nez à l’organisation de la vie sur terre. Le sentiment moral ou l’appétit de justice est la plus inattendue de toutes les passions, « démarche superbe et incongrue qui entre en conflit violemment, merveilleusement, courageusement, dangereusement avec les règles naturelles ». Je viens de citer L’Homme et les hommes et le merveilleux Dictionnaire promenade où les choses les plus savantes sont dites avec l’aisance des grands maîtres.

Dès le début tout est donné, ajoute Jean Hamburger dans Les Belles Imprudences, mais comme en germe, en puissance, plaçant définitivement l’homme à part dans la lignée des vivants. Peu à peu l’idée de l’égalité en droit de tous les membres de l’espèce humaine fera son chemin. L’Église, et c’est son honneur, constate-t-il, contestera l’évidence commune de l’inégalité de droits, et contribuera d’une manière décisive à son abandon théorique.

Ainsi s’esquisse le devoir d’une nouvelle bataille, d’une immense bataille. Le respect de l’individu, nargué par la loi naturelle, est son enjeu. L’homme est appelé à se battre pour imposer à cette terre indifférente ou hostile une empreinte spirituelle, pour inoculer à ce monde une idée intruse, saugrenue, magnifique, l’idée éthique.

Oui, magnifique et même exaltante ! Oui, digne de toute évidence de cet homme un peu moindre qu’un dieu dont parle le Psaume.

Mais il y a la mort...

 

IV. L’énigme de la mort

 

C’est la mort en effet qui manifeste de la manière la plus saisissante l’absurdité de la vie. La mort est perverse, impardonnable. C’est elle finalement qui fait de la vie humaine cette histoire de fous dont parle Shakespeare. Qui peut tolérer que la pensée s’abîme dans le néant ? Le néant spirituel, voilà bien le scandale, pense l’auteur de Monsieur Littré plus encore que son modèle.

Pourtant une réflexion sereine et approfondie convainc l’homme de raison que la mort est logique, normale, tout à fait logique, tout à fait normale. Une fois accompli l’acte de procréation, la mort de l’individu était la seule invention possible. Elle apparaît même comme un simple incident dans une aventure grandiose. Elle fait partie de l’histoire de la vie. La haïr, c’est haïr la vie. Et si l’affaire paraît absurde, ce n’est que pour nos cervelles étroites, conclut le Dictionnaire promenade.

Oui, la mort est normale, logique. Mais suffit-il de s’en convaincre pour accepter sereinement l’absurdité qu’elle dévoile ? Pour se résigner à ce scandale ? Pour vivre en paix sur l’horizon du néant ? Dans le Journal d’Harvey, Jean Hamburger reconnaît que cette paix-là est plus raisonnée et raisonnable que profondément ressentie. « Je ne peux pas ne pas y penser, je ne puis regarder la lune sans y voir l’image de la mort », nous confie-t-il. Et avec l’illustre médecin anglais il confesse : « Un certain fond de lâcheté m’est bien utile quand je suis tenté de m’interroger sur la fin de la vie. Je repousse délibérément la question. J’ai la chance d’avoir mon temps envahi par mon métier. »

Dès lors, que faire ? Se distraire, certes, mais l’oubli que provoque un vrai loisir ne fait qu’éloigner un moment la question lancinante. Renoncer à penser, mais autant renoncer à vivre. S’engager à fond dans l’effort scientifique et technique, mais à quoi bon aller sur la lune si c’est pour s’y suicider ? comme dit Malraux.

Pour Jean Hamburger, il n’est qu’une issue digne de l’homme la révolte et le combat.

 

V. La révolte et le combat

 

Que l’homme écrasé par son implacable destin se redresse donc et se révolte contre l’absurdité et l’injustice dont la mort est l’expression suprême ! Dans la ménagerie des êtres vivants, l’homme c’est la révolution. Il est le premier animal révolté. Son destin est d’être un merveilleux révolté. La Plus Belle Aventure du monde nous décrit l’histoire de cette révolte.

Or quelle est l’expression privilégiée de ce refus ? Quel est le meilleur moyen de faire reculer la mort ? Ne serait-ce pas la médecine ? En tout cas, la médecine donne bien la mesure de la révolte humaine contre la loi naturelle. Elle est la plus merveilleuse des rébellions salvatrices. L’acte médical est une révolte. Le jour où cette vérité l’illumina, Jean Hamburger, qui se trouvait encore à la croisée des chemins après de brillantes études scientifiques, comprit sa vocation. « Soudain je sus que je consacrerai ma vie moi aussi à tenter de guérir. » Il connut cette sorte de chemin de Damas laïc où l’appel se fit entendre d’une mission nouvelle, l’apostolat séculier du médecin.

Le combat du chercheur ne peut être séparé de celui du médecin, répétons-le, car pour Jean Hamburger le lien est essentiel. Séparer la médecine de la recherche est une grave erreur. « C’est de la recherche elle-même, nous assure-t-il, que naît l’étrange vertu qui crée l’authenticité de la connaissance médicale. » Et c’est de la médecine que surgit la question essentielle à laquelle le chercheur veut répondre. Il y a pourtant une différence. La recherche est plus fascinante, plus magique, un peu comme l’aventure. Oui, le chercheur appartient à la race admirable et insupportable des aventuriers. Il n’en reste pas moins qu’à une certaine profondeur, ce double combat de la médecine et de la recherche n’en fait qu’un. Il relève en tout cas de la même morale.

Le médecin et le chercheur unis dans la volonté de faire reculer la maladie et la mort mènent, en effet, un combat qui prend des formes morales et, en un sens, spirituelles. Il est un non catégorique à l’injustice. « Non, il est trop injuste que... » Pour l’un comme pour l’autre, la personne, la plus humble personne, prend un prix infini. « Elle est peu de chose cette petite Nicole... Mais elle n’est pas moins irremplaçable.. » L’histoire du combat mené par Jean Hamburger pour sauver cet enfant, tel qu’il est décrit dans Demain, les autres, nous fait comprendre, mieux que toutes les définitions, le sens de la profession médicale. Le médecin, lit-on dans La Puissance et la Fragilité devient un avocat de la personne humaine. Pour lui, la priorité des priorités, c’est la défense de l’individu spirituel.

Et c’est ici que se fait jour une certaine transcendance. Une intuition confuse, sorte de donnée immédiate de la conscience, s’impose : la valeur infinie de la miraculeuse existence spirituelle des hommes. Elle s’impose à tout homme et elle l’appelle. Elle brûle à tout moment de transcender l’austère logique où la raison l’a conduit. Sa force est telle que tout le reste paraît secondaire : sans ces élans de la vie spirituelle, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue. On devine ce que devient cette exigence lorsqu’elle affleure dans le champ de la politique. Toutes les formes individuelles de transcendance devront être évidemment tolérées. Cette exigence énoncée dès la première œuvre de Jean Hamburger sera rappelée jusqu’à la fin.

Mais qui comprend que le combat du médecin et du chercheur aille jusque-là ? Et combien de médecins et de chercheurs partagent cette folle passion ? Et surtout combien acceptent sereinement la victoire inéluctable de la mort ? Pour ceux qui refusent de fuir la question vient alors et s’accroît la solitude.

 

VI. La solitude

 

Le médecin est le plus souvent terriblement seul. Et il a le sentiment secret, la certitude qu’il demeurera seul, seul avec le patient qu’il soigne, seul avec lui-même. Rencontre de deux solitudes, nous est-il confié dans Le Miel et la Ciguë.

Solitude née de l’angoisse. Tout homme lucide est angoissé. Peut-on allier un regard lucide et une âme sereine ? Tous sont en quête de sérénité. Cela vaut même pour le croyant, mais que dire de celui qui n’a pas la foi ? La sérénité peut naître de l’action mais pendant la durée de l’action. En tout cas elle ne peut guère sortir de la raison raisonnante. Mais est-il après tout souhaitable que l’homme perde son angoisse ? « Une bonne moitié des artistes que j’ai rencontrés dans mon existence m’ont paru des malades », nous confie Jean Hamburger. Solitude du médecin effrayé et fatigué. «Je ne suis pas le dernier à prendre peur, à certains moments, de ce que je fais. » « La lassitude, certains jours, envahit mon âme. »

Finalement cette solitude particulière n’est-elle pas une expression de la solitude que connaît chaque être humain ?

L’homme est seul. La solitude est une invention humaine. Elle est le propre de l’homme. C’est l’épreuve du prisonnier ! Quelle étrange chose que chacun soit ainsi enfermé dans sa solitude... comme l’oiseau enfermé dans une cage isolée ! Elle est pourtant nécessaire. Sans elle il n’est pas de vie pleine et féconde. Mais est-elle aimable ? « J’ai cru aimer la solitude parce que j’en disposais librement », avoue Hamburger avec Harvey. Elle est en tout cas redoutable. Car c’est là que nous rencontrons les failles de notre apparenté limpidité.

Seul chaque fois qu’il rentre en lui-même, tourmenté et serein, effrayé et assuré, le médecin chercheur ou le chercheur médecin voit grandir en lui certaines dispositions, certaines attitudes. On pourrait écrire une sorte de traité des vertus à partir des écrits de Jean Hamburger.

 

VII. L’honnêteté

 

La plus nouvelle et la plus nécessaire des vertus, c’est sans doute une certaine honnêteté.

Honnêteté dans le respect de la distinction des deux ordres de démarches qui ne doivent jamais être confondues. Ne mélangeons pas les genres. Le chemin de la science et le chemin de la foi ne sont pas les mêmes, les mêler, c’est se perdre. L’aventure de l’intelligence scientifique n’est que la moitié de l’aventure humaine. La poésie est le contraire de la science. La vérité du beau et du laid, la vérité du bien et du mal, les vérités religieuses ou métaphysiques sont d’un autre ordre. Sacrilège est l’idée que la beauté, l’amour, la générosité puissent jamais être traités en termes de chimie moléculaire. On retrouve ces pensées aussi bien dans La Raison et la Passion ou Le Miel et la Ciguë que dans Un jour, un homme et L’Homme et les hommes. Là justement se situe l’erreur de Littré comme du positivisme tout entier : la tentative d’inclure l’univers intérieur des passions humaines dans le domaine de la science, ne laissant rien en dehors.

Cette distinction essentielle, Jean Hamburger lui donne volontiers le nom de césure. Césure entre les archipels, pour parler comme votre confrère Michel Serres, que constituent les diverses disciplines scientifiques, c’est-à-dire distinction entre les divers modes de la connaissance scientifique d’un même objet. Césure entre les divers ordres de connaissance requérant différentes approches des faits. La confusion est une véritable maladie de l’esprit. L’ambiguïté sied aux poètes, pas aux savants.

Honnêteté dans l’aveu d’une ignorance liée pour toujours à notre condition. Je ne saurai jamais. Je ne peux pas savoir. Il y a des questions impropres, c’est-à-dire à la fois prétentieuses puisqu’elles dépassent totalement la capacité humaine d’y répondre, et ridicules puisqu’elles nous tourmentent en vain. Questions abusivement extrapolées, entachées d’anthropomorphisme. On n’arrivera jamais à la signification finale : pourquoi ces choses-là sont-elles ce qu’elles sont au lieu de ne pas être ? La question du sens de la vie est une mauvaise question, une question outrecuidante. Reconnaître ce non-sens est source d’apaisement. La paix intérieure est au prix de l’abandon de cette question. Et après tout, la refuser n’interdit pas de donner un sens à sa vie, ce qui est l’essentiel, affirme Le Journal d’Harvey.

Seulement, est-il possible de la refouler toujours ? N’est-elle pas irrésistible ? L’homme peut-il renoncer à ses comment ? et à ses pourquoi ? Comment se débarrasser de questions aussi naturellement pressantes qui nous collent à la peau ? Dans Le Miel et la Ciguë on voit pourquoi Jean Hamburger ne s’en est jamais débarrassé. La même honnêteté qui le poussait à refuser des questions déclarées impropres le contraignait à les accueillir. Il aurait pu citer le prophète Jérémie. « Je me disais : je n’y penserai plus... mais c’était en mon cœur comme un feu dévorant. »

Vous étonnerai-je, Messieurs, en vous confiant que l’attitude de Jean Hamburger a retenti en moi comme un appel, celui dont parle Bergson dans Les Deux Sources de la morale et de la religion. Des saints et des héros, il disait : « Leur existence est un appel. » Plus que quiconque le prêtre doit se garder de confondre non seulement l’ordre de la science avec celui de la beauté, du bien, de l’amour, mais aussi les connaissances accessibles à la seule raison avec celles qui proviennent d’ailleurs, du Tout-Autre, de la Révélation faite à Abraham et à sa descendance à jamais, comme le chante Marie. Certes il doit y avoir communication, mais ni l’origine ni les méthodes ne sont les mêmes. La théologie est œuvre de raison, en un sens elle mérite même le nom de « science » mais sa source première et permanente est radicalement différente, inaccessible. Elle suppose toujours un don de Celui qui est la Lumière ! La liturgie propose des signes et des paroles, ordonne des rites qui peuvent toucher ceux qui ne croient pas. On sait que la Sainte Russie doit la conversion du prince Vladimir aux splendeurs sacrées de l’Église de Byzance. Mais le sens le plus vrai qu’exprime à elle seule la parole de Jésus : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » ne se dévoile que dans la lumière de la grâce divine.

Respecter la différence des ordres de la connaissance et de leurs méthodes propres relève finalement d’une certaine honnêteté, cette vertu à laquelle tenait par-dessus tout Jean Hamburger.

 

VIII. L’humilité

 

L’honnêteté conduit à l’humilité, la véritable humilité bien sûr, vertu diamétralement opposée à celle que critique Nietzsche, fruit de la crainte servile.

Il n’était pas facile pour l’homme si fier de ses découvertes de s’incliner devant les faits. Un grand effort est demandé au savant, voire, aux temps de Harvey comme de Galilée, un certain héroïsme, pour se soumettre à l’expérience plutôt qu’aux idées reçues. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité constamment orgueilleuse naquit alors l’humilité intellectuelle. L’humilité scientifique est le trésor nouveau de l’esprit humain.

Humilité qui est renoncement, renoncement quasi héroïque pour ne pas se laisser griser par les effets éblouissants du progrès, un progrès parfois presque déifié, et pour veiller à les contenir dans les limites propres. Car encore une fois, nul ne peut prétendre tirer de la méthode scientifique, ni morale, ni politique. Ces convictions si fortement exprimées dans Demain, les autres et L’Homme et les hommes habitent l’œuvre entière de notre auteur.

Humilité pour reconnaître simplement que nos maîtres, si vénérés soient-ils, ont pu se tromper et nous tromper. Bientôt, les faits eux-mêmes me montrèrent que M. Comte était aveugle, dit Littré, dont Jean Hamburger admire le courage de déclarer que d’un bout à l’autre il s’est fourvoyé.

À ce propos encore, je ne puis me retenir d’évoquer la figure du prêtre. Aux temps lointains de mon service militaire, un camarade de chambrée me dit un jour : « je trouve gênant que les séminaristes aient toujours réponse à tout. » Il n’en va plus ainsi aujourd’hui. On entendrait même plus souvent l’expression d’un étonnement inverse : « Comment se fait-il qu’ils semblent parfois n’avoir réponse à rien ? »

En vérité, c’est le sens, le vrai sens du Mystère qui manquait hier comme il manque, sous une autre forme, aujourd’hui. Je parle du Mystère au sens chrétien du terme : « Ce que l’œil n’a pas vu, écrit l’Apôtre, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. C’est à nous que Dieu l’a révélé par l’Esprit. Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu » (1 Co 2, 9-10).

Le Mystère, pour la Révélation chrétienne, n’est pas une énigme indéchiffrable. Il est cette « nuit obscure » dans laquelle baigne la lumière de l’étoile dont le Tout-Autre veut nous éclairer.

Dans l’attitude de Jean Hamburger, je vois davantage le sens de ce Mystère que le refus de la transcendance. N’acceptait-il pas, ne défendait-il pas avec une extrême vigueur les valeurs dont parlent le concile Vatican II et les encycliques pontificales ? Et ne pressentait-il pas en réalité la vie éternelle révélée au croyant ? « Ces valeurs de dignité, de communion fraternelle et de liberté, tous ces fruits excellents de notre nature et de notre industrie... nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés », dit la constitution Gaudium et Spes.

Le prêtre enseigne que le Fils de Dieu fait chair apporte à tous la possibilité de faire progresser l’histoire vers plus d’humanité. Le chrétien entre résolument par sa prière instante, son action et toute sa vie dans cette aventure aussi simple que prodigieuse. Jean Hamburger ne marchait-il pas à sa manière sur le même chemin ?

Plus concrètement n’apportait-il pas à peu près la même réponse aux questions redoutables posées depuis peu à la conscience humaine ?

Ainsi dans le domaine de la bioéthique où il manifeste, à cause même de son respect pour l’embryon humain, une infinie prudence.

Ainsi en matière de justice internationale où il frémit d’inquiétude et d’espoir devant la manière dont les grandes institutions qualifiées prennent en charge le drame de la faim.

Ainsi dans l’accueil, lucide certes mais chaleureux, qu’il offre, dans la mesure de ses moyens, à celles et à ceux dont la culture et la race diffèrent des nôtres.

Ainsi dans la vigilance qu’il manifeste devant les signes d’un réveil possible de la « Bête immonde » qui a inventé les camps de la mort.

Je ne sais si le mot humilité convient à lui seul pour qualifier l’attitude que je viens de décrire. Peut-être faudrait-il parler aussi d’attention, au sens où Malebranche disait qu’elle est prière, d’ouverture à Quelqu’un qui nous dépasse, d’accueil d’une exigence venue d’ailleurs !

Quoi qu’il en soit de ces précisions de vocabulaire, la pensée de Jean Hamburger ne me semble pas très éloignée de celle de l’Église.

 

IX. La méditation et la joie

 

Comment développer ces deux vertus essentielles de l’honnêteté et de l’humilité ? Jean Hamburger croit en l’importance capitale de la méditation. Il ose exiger que le travail et le loisir soient compensés par un tiers temps, celui de la réflexion. Et cela, toute une vie durant, assure Zouchy,  son merveilleux interprète.

Le drame est que notre civilisation occidentale ne laisse plus de blanc pour la méditation solitaire et le dialogue tranquille. Notre vie mentale est comme polluée. Le temps du silence et du recueillement solitaire se voit peu à peu dévoré. L’homme moderne, dispersé, n’a plus ni le temps ni l’envie de la méditation. D’où l’urgente obligation de pratiquer les arts du recueillement et de la retraite. L’appel de ce passionné de l’homme que fut Jean Hamburger se fait ici pathétique.

C’est à cette condition que nous retrouverons la naïveté et l’ingénuité nécessaires, nous répète-t-il. Nous redeviendrons capables de nous émerveiller devant la vie, ce miracle éternellement renouvelé, assure Harvey. Le sourire d’une fille de vingt ans nous fera oublier la laideur du monde, dit Zouchy, et il arrivera plus d’une fois au fils d’Adam émerveillé par Ève de penser que la femme l’emporte sur l’homme, dans la gloire de l’espèce humaine !, s’exclame encore Harvey.

Quand l’homme honnête et humble prend le temps de la méditation, alors vient comme tout naturellement la joie.

Cette joie paraît impossible et même parfois illégitime. L’anxiété, la douleur morale, l’agressivité, singularité de l’âme humaine ! Pas plus que l’agressivité, l’angoisse humaine ne disparaîtra. Elle est dans la nature de l’homme. « Je m’étonne de voir les hommes accepter sans désespoir leur étrange aventure, le mélange de miel et de ciguë qui leur est servi », confesse le médecin penseur. Mais la sagesse résiste à toute tristesse, même à celle qu’engendre la perspective de la mort. Pourquoi serions-nous attristés par la règle qui veut qu’à la sortie du théâtre une trappe nous attende ?

La joie est en effet nécessaire. Jean Hamburger ne cesse de l’affirmer comme s’il percevait avec Teilhard de Chardin que la pire des catastrophes serait pour l’avenir de l’homme la perte du goût de vivre. L’homme est le seul animal qui avait un besoin vital de la joie spontanée. La joie protège : le bouclier contre l’absurde est fait d’une sorte de joie spontanée de vivre. La joie conforte : celle de vivre a une force qu’aucun bouillonnement ne traduira jamais. La joie stimule : elle est le vrai mobile qui anime le médecin. La joie illumine l’homme qui admire. La joie récompense même celui qui se bat pour une victoire qu’il croit presque impossible.

Et pourtant le rire qui est le propre de l’homme ne serait-il pas, au fond, le nécessaire palliatif d’une conscience malheureuse ? Comment ne pas voir en l’homme une sorcière méchante et perverse plutôt qu’un superman ? lit-on dans La Plus Belle Aventure du monde. Comment se résigner à des amours d’autant plus précieuses qu’elles ne sont pas éternelles ? Comment accepter joyeusement que notre seule grandeur soit celle de notre effort gigantesque contre une descente naturelle aux enfers. ?

Non, décidément, il n’y a pas de paix pour les hommes de bonne volonté.

Mais alors, si dans notre désarroi, dans le refus désespéré de l’absurdité, refus qui commande tout l’effort humain, nous en appelions à Dieu ?

Nous n’entendrions aucune réponse !

 

X. Dieu

 

L’appel de la transcendance est souvent puissant, chez ceux que l’on appelle, faute de mieux, les agnostiques, aussi bien que chez les croyants. La passion du mystère et de la foi reste une flamme vive, probablement indestructible. Tous les hommes, dit Jean Hamburger, ont le même appétit de transcendance, le même désir de comprendre l’incompréhensible, la même faim d’espérance.

Mais il est vain d’attendre une réponse. La science reste muette. Elle ne donne sûrement pas par elle-même un sens à la vie. À la porte du château de la science, il est écrit : vous qui entrez, abandonnez l’espoir de trouver le sens caché du monde, vous découvrirez des rouages, mais non des horlogers. Toute recherche de Dieu est vaine et, à vrai dire, suspecte. Je préfère déclarer forfait dans la recherche d’une cause première plutôt que prendre mes désirs pour des réalités, confesse l’auteur de La Puissance et la Fragilité.

Et pourquoi se perdre après tout dans cette quête sans issue ? Dieu est certes une hypothèse digne du plus grand respect mais indémontrable et nullement nécessaire pour une haute vie spirituelle et morale, comme le montre bien l’exemple de Littré et de tant d’autres. Et puis la différence est-elle si grande entre l’agnostique et le croyant ? Le fossé qui les sépare paraît infranchissable. L’est-il vraiment ? Un souffle éloigne seul l’incrédulité de la foi. Il n’est, entre le doute et la foi qu’un souffle, dit le poète persan Khayyam. En tout cas le doute et la foi ne sont pas ennemis obligatoires. Et l’œcuménisme peut se vivre entre scientifiques croyants et athées, dès lors que le croyant respecte la méthode expérimentale et que l’incroyant ne prétend pas asservir le domaine immense des autres vérités de notre monde intérieur. Ne suffit-il pas de se respecter ? Ne suffit-il pas de se dédier ensemble, en plein accord, à l’amour de l’autre, à l’effort commun ? Ce programme n’est pas réservé à ceux qui se placent sous le regard de Dieu !

Pour ma part, dit Jean Hamburger, je ne crois pas, je ne peux pas croire, mais cela ne m’empêche pas de rendre grâces au christianisme qui révéla un Dieu de bonté, un Dieu qui aime les hommes. Dans les dernières années de sa vie, il semble pourtant que cette action de grâces rendue au christianisme ait été traversée par l’obscure clarté de l’action de grâces adressée à Dieu lui-même. Le pressentiment de la vérité vivante du Christ se faisait jour. N’était-ce pas le germe de la foi ? Et pourquoi me sentirais-je si proche de Jean Hamburger s’il n’était pas un peu plus que mon frère en humanité ?

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En vérité, la première réponse que Jean Hamburger croit pouvoir apporter à l’énigme de la condition humaine n’est pas d’ordre intellectuel. La réflexion des philosophes lui semble jongler davantage avec le verbe que servir le fait, comme l’avait écrit Harvey. Pourtant il se sent fils de cette Grèce disparue qui souffla sur l’héritage humain le plus grand vent d’intelligence et de beauté que le monde ait jusqu’à présent connu. Mais l’angoisse et la solitude de l’homme peuvent-elles trouver une réponse en dehors de la prise de conscience d’un rôle actif dans une entreprise digne de ses efforts.

Hélas, force est bien de constater que la conscience morale s’affaiblit et il est trop clair que l’éducation reçue et donnée aujourd’hui ne prépare pas assez à l’entreprise nouvelle qui attend l’humanité. Or comment la croisade pour la défense de l’homme pourrait-elle réussir sans une formation appropriée ? L’avenir dépend de l’éducation qui sera donnée à nos enfants. Peut-être conviendrait-il d’ajouter à la Déclaration des droits de l’homme une Déclaration de ses devoirs. Cette proposition énoncée dans Demain, les autres devrait être retenue.

En attendant grandit le vide, un vide vertigineux, plus redoutable que toute angoisse et toute amertume. Alors naît l’occasion, comme dans une sorte de vertige, de s’y précipiter. Une étrange fascination saisit l’homme. Et voici que la drogue semble lui offrir une issue. Alors, constate tragiquement Jean Hamburger dans Un jour, un homme, presque toujours c’est l’enfer qui gagne. Il y a de la fatalité dans les desseins autodestructeurs de l’homme. Parfois sans que l’on sache pourquoi, ajoute-t-il, l’horreur devient indicible, cette horreur dont Auschwitz demeure l’expression indépassable. « Il y eut la chambre à gaz et les fours crématoires dont la cicatrice marque l’humanité pour toujours. »

Reste la parole. S’il est vrai que l’homme ne serait pas l’homme sans sa main, il le serait moins encore sans la parole. Mais le mot est lui-même destructeur. Il fait chèrement payer les services incalculables qu’il avait d’abord rendus à la démarche de l’esprit.

« Les âmes religieuses parlent de la condition divine de l’homme, qui lui donne la liberté de vaincre le mal. Le fera-t-il ? », demande Jean Hamburger.

Je crois l’entendre, du fond des cieux, répondre oui avec ceux qui s’ouvrent à la Parole de l’Éternel.