Célébration du 350e anniversaire de l’Académie française. La vocation de mécène de l’Académie française

Le 12 décembre 1985

Michel DÉON

Célébration du 350e anniversaire
de l’Académie française

La vocation de mécène de l’Académie française

 

Messieurs,

On sait peu – ou on sait mal – que l’Académie française exerce, pratiquement depuis sa fondation, un mécénat constant et discret. Si, à l’origine, il n’avait pas été prévu qu’elle décernerait aux gens de plume aides et récompenses – le roi et le Cardinal considérant que ces largesses appartenaient à leur domaine réservé –, l’évidence de notre vocation n’en est pas moins apparue dès le milieu du XVIIe siècle. En 1654, Guez de Balzac eut l’idée de fonder un prix d’Éloquence d’une valeur de deux cents livres qui consistait en une médaille d’or portant à l’avers la tête de Saint Louis et au revers la devise de l’Académie, « À l’immortalité », couronnée de lauriers. Le premier bénéficiaire en fut Mlle de Scudéry, auteur prolifique et soporifique de quatre romans totalisant près de trente mille pages, animatrice des belles heures de l’hôtel de Rambouillet, ce qui semblerait prouver que l’Académie ne craignait pas les bas-bleus et savait être féministe sans qu’on eût à lui forcer la main. Le prix d’éloquence a disparu de notre palmarès. Nous lui avons tordu le cou : pure justice de la part d’une compagnie qui est surtout censée s’intéresser à la chose écrite.

En revanche, le prix de Poésie fondé en 1671 par Pellisson, notre premier historiographe, dure encore. Le lauréat en fut La Monnoye dont la réputation n’a pas survécu à une aussi écrasante gloire bien qu’il ait reçu le prix à quatre autres reprises en 1675, 1677, 1683 et 1685. Tout le monde peut se tromper, même des Immortels ! Qu’on n’accuse cependant pas de légèreté nos prédécesseurs. Parcourant les registres de 1719, j’ai remarqué que du ler juin au ler juillet, les Académiciens eurent à connaître plus de vingt-trois « pièces de poésie », et qu’au fur et à mesure des séances qui suivirent, ils en éliminèrent treize, puis neuf, puis six, puis une pour n’en garder que deux qui furent examinées une dernière fois : « On a trouvé, dit le procès-verbal, d’assez bonnes choses dans l’une et dans l’autre, mais on y a trouvé un plus grand nombre de défauts, et même des défauts si considérables qu’aucune n’a paru digne du prix, l’Académie s’étant fait une loi de couronner non la moins mauvaise des pièces, mais une pièce qui fût bonne... car il lui a paru que c’était le seul moyen d’exciter l’ambition des jeunes poètes et de les porter à faire de plus grands efforts pour s’élever au-dessus de la médiocrité toujours méprisable... Aussi l’Académie a ordonné que le prix soit remis à l’année suivante. »

Cette rigueur n’est pas rare dans l’histoire de notre Compagnie, et l’exemple s’en est renouvelé en 1975 où, après Adios de Kléber Haedens en 1974 et avant Le Crabe-tambour de Pierre Schoendoerfer en 1976, nous avons jugé bon de ne pas décerner le grand prix du Roman.

Notre mécénat est, faute de moyens, resté timide jusqu’au Premier Empire. C’est à peine si, en 1746, sur un legs de Gaudeau, la valeur de la médaille d’or fut portée à six cents livres, en vérité une assez belle récompense quand même, si le poète pouvait mettre la médaille au clou pour payer sa logeuse et son marchand de chandelles.

Avant de sauter dans le XIXe siècle, il faut noter qu’en 1780, Antoine, Jean, Baptiste, Robert Auget de Montyon – si joliment surnommé, par Paul Morand, le « lésineur bienfaisant » –, soucieux de livrer son nom à la postérité, confia à l’Académie le soin de distribuer deux prix annuels. À la suite de dispositions particulières, la fondation ne prit corps qu’en 1821, après la mort du donateur. Le premier prix, d’un montant de dix-neuf mille francs, devait récompenser « un Français pauvre qui aura fait dans l’année l’action la plus vertueuse ». Le second prix, de dix-huit mille francs, était destiné au Français « qui aura composé et fait paraître le livre le plus utile aux mœurs ». La fondation Montyon est à l’origine de la tradition philanthropique de notre Académie. Si l’érosion de la monnaie a réduit ses disponibilités, cette fondation distribue encore, par nos soins, trente-trois prix d’aide sociale pour un total de cent mille francs, et elle est le prétexte chaque année lors de la dernière séance publique de décembre à un discours sur la vertu, qui échoit, en général, à l’un de nos derniers élus. Largement épuisé depuis le temps, le sujet est souvent traité avec une ironique désinvolture, à moins que l’orateur choisisse de parler du langage, de l’histoire, de la poésie ou, simplement, du fil à couper le beurre, si cela lui chante. Liberté entière lui est laissée, l’important restant que le bien soit fait, que des détresses soient soulagées, que le courage et la dignité soient salués. À l’exemple de M. de Montyon, quelque deux cents fondations dont la plus importante est la Cognacq-Jay sont gérées par l’Académie, et le total des sommes réparties chaque année pour soulager les détresses les plus urgentes s’élève en 1985 à environ un million de francs. De même disposons-nous de bourses destinées à des jeunes gens de l’enseignement supérieur ou à des élèves des écoles primaires.

Ce rôle de l’Académie, je ne me permets que de l’effleurer. C’est une affaire entre nous et nous, bien qu’elle soit connue de nouveaux généreux donateurs. Ainsi, en 1981, M. Maurice Schadet, mort à Calais, nous a-t-il légué la totalité de sa fortune pour que soient réalisées les volontés de sa fille unique décédée plusieurs années auparavant. Ce fonds nouveau aide les œuvres de bienfaisance du nord de la France. Ainsi encore, en 1985, notre confrère M. le duc de Castries a-t-il, de son vivant, fait don à l’Académie de son château ancestral de Castries, avec ses dépendances, ses admirables jardins, son mobilier patiemment reconstitué par le grand historien qu’il est, son inestimable collection de tableaux. C’est avec une légitime fierté que nous nous considérons parmi les plus sûrs garants du patrimoine français.

Je serai moins pudique sur le chapitre des fondations de prix proprement littéraires. Dotées par Napoléon Ier, par Louis XVIII, Louis-Philippe et Napoléon III, puis par une quantité de généreux amis des lettres, le nombre de ces fondations s’élève actuellement à plus de cent vingt, destinées, selon les vœux des légataires, à honorer la poésie, l’histoire, le roman, les essais, la critique littéraire, les traductions, à subventionner les associations, les sociétés et les revues littéraires, tout ce qui contribue, en France et à l’étranger, à maintenir la vie et le prestige de notre langue et de notre patrimoine culturel.

Il est amusant de rappeler que l’un de nos confrères – le plus imprévisible, Chamfort pour ne pas le nommer – prêta sa plume à Mirabeau pour attaquer avec une hargne rare, devant l’Assemblée nationale de 1791, l’Académie française dont il faisait partie. La mort empêcha Mirabeau de prononcer ce discours incendiaire et Chamfort le publia l’année suivante, sous son propre nom. Cette publication fit l’effet d’une bombe à retardement. Élu depuis dix ans, après avoir brigué récompenses et honneurs, et couvert ses confrères de flatteries assez basses, Chamfort avait été un académicien des plus assidus. Rien – sinon son goût des paradoxes désabusés – ne pouvait laisser prévoir sa soudaine volte-face. J’épargnerai à cette séance les épithètes dont il accablait l’Académie, épithètes plutôt inattendues, car s’il est fréquent que, dans leur jeunesse, pas mal d’entre nous aient décoché des flèches à la vénérable institution, il est plus rare que ceux qui ont été appelés à y siéger se laissent aller à de tels coups de pied d’âne.

Non content de stigmatiser avec violence l’Académie, Chamfort lui contestait tout, y compris de couronner la vertu : « Il paraît difficile, écrivait-il, qu’elle veuille perpétuer les prix de vertu dans un pays où la constitution va créer enfin une morale publique. » La vertu serait révolutionnaire, ou ne serait pas. À quoi bon récompenser le dévouement et le courage quand il suffisait d’une loi pour changer la nature des hommes et effacer les inégalités du sort ?

Quant aux récompenses littéraires, elles étaient, selon lui, aussi inutiles, au moment où la poésie s’épanouissait d’elle-même, en toute liberté, au sein de l’Assemblée nationale. C’était à la tribune, assurait Chamfort, qu’elle porterait ses fruits, transcendée par l’éloquence des envoyés du peuple... La mort empêcha la belle voix de bronze de Mirabeau de prononcer ce réquisitoire enflammé dont les rêveuses absurdités auraient, n’en doutons pas, enthousiasmé Girondins et Jacobins. D’autres orateurs prirent moins de gants encore et, devant la Convention, l’abbé Grégoire, prêtre jureur, emporté par la logorrhée révolutionnaire, affirma sans rire, mais non sans équivoque : « Je le dirai crûment, presque toujours le véritable génie est sans-culotte. » Paix à Chamfort à qui il ne fallut pas un an et un tragique suicide pour comprendre que nulle idéologie ne saurait s’approprier la culture sans aussitôt sombrer dans l’odieux et le ridicule. Au-delà de ses contradictions, Chamfort reste un des plus grands et des plus douloureux moralistes français, le champion incontesté de la misogynie. Cela dit, refuser à l’Académie le droit et le devoir d’encourager les lettres, c’était la condamner à mort, ce qui fut fait officiellement le 8 août 1793.

À la condamnation chamfortienne, il est permis de préférer l’amusant paradoxe de notre regretté Roger Caillois qui affirmait, imperturbable, que la meilleure récompense que l’on peut asséner à un écrivain est de le mettre en prison. Si l’écrivain se décourage, c’est qu’il n’avait pas la vocation. S’il persiste, alors c’est que sa vocation – j’allais, comme Tchekhov, dire son « prurit » – est inguérissable, et, dans sa misère, il découvrira, selon le vers d’Alfred de Musset, que « les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Nos statuts ne nous ayant pas donné le pouvoir d’emprisonner les écrivains, nous avons choisi la voie la plus banale : honorer, récompenser, aider de notre mieux la littérature.

Dois-je rappeler, en cette année d’un centenaire largement célébré, qu’en 1816, l’Académie avait ouvert un concours sur le thème suivant : « Le bonheur que procure l’étude dans toutes les situations de la vie ». Vingt ans après, les altières déclarations de l’abbé Grégoire n’ayant pas apporté les fruits espérés, on en revenait aux bons sentiments. Toujours est-il que le sujet n’intimida pas les candidats et, le 12 mai 1817, un manuscrit sous pli cacheté fut déposé à l’Académie. Le poème commençait par ces deux vers :

« Mon Virgile à la main, bocages verts et sombres,
Que j’aime à m’égarer sous vos paisibles ombres ».

La rime était riche. L’auteur fut aussitôt primé. On découvrit alors qu’il avait quinze ans et s’appelait Victor Hugo. Après le génie sans-culotte, c’était le génie en culottes courtes.

La poésie n’a pas cessé de retenir notre attention. Chaque année l’Académie répartit, avec le plus grand soin, une somme de 25 000 francs entre de jeunes ou de moins jeunes poètes qui ont souvent édité des plaquettes à leurs frais, et attendent un écho à leur cri du cœur.

En 1957, a été créé un grand prix de Poésie de 30 000 francs dont le palmarès est impressionnant, de Patrice de La Tour du Pin à Francis Ponge, en passant par Pierre-Jean Jouve, Jean Follain, Jean Tardieu, Robert Sabatier, André Pieyre de Mandiargues, Maurice Fombeure, Yves Bonnefoy, sans oublier ce doux anarchiste de Georges Brassens dont les chansons étaient de France. Nous savons être éclectiques.

L’histoire n’est pas moins favorisée : quarante-cinq prix dont le montant total s’élève à plus de 200 000 francs encouragent la recherche et la publication d’ouvrages les plus divers, allant de l’histoire régionale à l’histoire générale. Quant aux deux prix Gobert d’un montant de 30 000 francs et 15 000 francs, ils consacrent, depuis 1896, des historiens comme Paul Bastid, Philippe Erlanger, Claude Dulong, Jean Tulard, Raoul Girardet, Pierre Chaunu, Georges Duby, Jean-François Chiappe, Pierre Miquel.

Dans le domaine purement littéraire, 200 000 francs sont répartis chaque année entre des romanciers et des essayistes. Notre discernement ne doit pas être si mauvais à en juger d’après le palmarès. Avant qu’ils soient distingués par les jurys de fin d’année, nous avons salué Marguerite Duras, Patrick Besson, Hector Bianciotti, Annie Ernaux, Michel Braudeau. Beaucoup se souviendront qu’avant la consécration, l’Académie leur a adressé un signe de reconnaissance. Dois-je rappeler également, pour la petite histoire, qu’en 1939, l’Académie couronnait du prix Marcelin Guérin l’essai d’un militaire inconnu qui allait se faire un certain nom dans la politique : La France et son armée, par Charles de Gaulle. Nous n’avons pas couru après le succès, nous l’avons toujours précédé.

Les prix de l’Essai et de la Critique, chacun d’un montant de 15 000 francs, priment tous les ans des œuvres que nous signalons à un large public. Je note au hasard pour le prix de l’Essai : Roger Judrin, Marthe Robert, René Étiemble, Jules Monnerot, André Glucksmann, Alain de Benoist, Alain Besançon, Pierre Andreu, François George. De même pour le prix de la critique : Kléber Haedens, Georges Poulet, Robert Kanters, Pierre Sipriot, Ginette Guitard-Auviste, René Pommier – celui-ci pour un ouvrage sur le titre duquel je ne commets pas un lapsus : Assez décodé, qui prouve que nous aimons aussi les à-peu-près – ; enfin, parmi les plus récents, Bernard Pivot : clin d’œil à une nouvelle forme de la critique, la critique télévisuelle.

La nouvelle est, pour des raisons difficiles à déceler, un genre peu prisé du lecteur français. Afin d’attirer son attention, nous avons créé, en 1971, un prix de la Nouvelle doté de 15 000 francs. Au palmarès, je relève les noms de Daniel Boulanger, Jean Fougère, Marcel Schneider, Roger Grenier, Jean Cau, Pierre-Jean Rémy, Maurice Pons.

Un de nos prix les plus significatifs est le prix du Rayonnement de la langue française. Il est attribué tous les ans à un écrivain français ou étranger, ou à une institution qui a aidé à la défense et au rayonnement de notre langue à l’étranger. Parmi les institutions, je remarque l’Académie canadienne française, l’université de Middlesbury, l’association Guillaume Budé, l’Institut catholique de Paris, l’Alliance française, et, cette année même, nous avons offert au prince Heinrick de Danemark une médaille pour le remercier de son action constante en faveur du français dans son pays d’adoption. Parmi les noms, il faut retenir ceux de Christian Melchior-Bonnet, Victoria Ocampo dont la revue Sud fit tant pour la connaissance de la littérature française en Argentine, Jacques Chenevières, Franz Hellens, Marcel Thiry, Jean Starobinski, Philippe Roberts-Jones, Carlo Coccioli, Pol Vandromme, Jacques Chessex, et peut-être du plus remarquable d’entre tous, Jorge Luis Borges que nous honorâmes d’une médaille d’or en 1979, lors de sa mémorable visite à Paris.

Créé en 1980, le prix du Théâtre est doté de 30 000 francs. Il couronne l’ensemble d’une œuvre : Jean Anouilh, Gabriel Arout, Georges Neveux, Marguerite Duras, Jean Vauthier, René de Obaldia. Et, comme pour montrer que nous n’avançons pas seulement en terrain sûr, en 1983, nous avons donné un prix exceptionnel du Théâtre à la première pièce d’un auteur de vingt-quatre ans : L’Astronome, de Didier Van Cauwelaert.

De fondation plus ancienne puisqu’il date de 1918, le grand prix du Roman, de 50 000 francs, longtemps décerné en mai, est désormais attribué au mois de novembre, quelques jours avant le. Goncourt. À considérer avec un peu de recul son tableau d’honneur, nous pouvons dire que nous ne nous sommes pas plus trompés que les autres jurys, et même probablement beaucoup moins, si j’ose croire, en toute modestie. Parmi les écrivains couronnés, quatre ont eu ou ont leur couvert Place Gaillon et onze sont devenus académiciens français. Nous n’avons pas non plus regardé à l’âge : si Albert Cohen, pour, Belle du Seigneur, avait soixante-treize ans en 1968, Patrick Modiano, en 1972, n’avait que vingt-quatre ans quand nous avons reconnu son talent dans Les Boulevards de ceinture, et Patrick Besson vingt-huit ans cette année pour son roman : Dara. Et pour affirmer une fois de plus que nous ne sommes pas des mâles chauvins, après avoir décerné, en 1918, le premier grand prix du Roman à Mme Camille Mayran, nous avons, depuis, encore couronné quatre autres ouvrages de dames.

Le grand prix de Littérature est le plus ancien de nos grands prix. Il remonte à 1911. Il est biennal depuis la création en 1980 du prix Paul Morand, avec lequel il alterne, et son montant est de 100 000 francs. Son importance est telle que, par trois fois, nous avons décidé de ne pas l’attribuer. En revanche, dix-huit de ses lauréats ont ensuite rejoint notre Compagnie, le dernier de ceux-ci étant M. Michel Mohrt.

J’ai gardé pour la soif le prix Paul Morand. En nous léguant sa fortune, le romancier de L’Homme pressé a permis à l’Académie de décerner tous les deux ans la plus haute récompense littéraire française : 300 000 francs. Dans son testament, Paul Morand souhaitait que le prix qui porterait son nom fût destiné à « l’auteur d’un ou plusieurs ouvrages écrits en langue française, remarquables par des qualités de pensée, de style, d’esprit d’indépendance et de liberté... » Cet auteur, ajoutait-il, pouvait être aussi bien âgé que jeune. Les trois écrivains consacrés à ce jour sont J.M.G. Le Clézio, Henri Pollès, Christine de Rivoyre. Là, j’ouvre une parenthèse, mais sans baisser la voix : depuis presque deux lustres, nous demandons aux gouvernements qui se sont succédé d’exonérer d’impôts nos principaux grands prix comme le sont deux prix étrangers, le Nobel et le Lénine, ex-prix Staline. Nous n’avons été ni entendus ni compris. Si bien qu’à la longue liste des lauréats que je viens de citer, il faudrait ajouter la liste de leurs percepteurs qui s’arrogent la part du lion. Je n’ai pas les noms de ces bénéficiaires involontaires qui, sans doute, n’éprouveraient aucun plaisir à être nommés sous notre coupole et ne prennent d’ailleurs pas la peine de nous remercier. Nous ne leur en voulons pas. Ils appliquent, dans la rigueur de leur conscience, un règlement qu’un simple décret suffirait à modifier. Encore faudrait-il y penser. Encore faudrait-il reconnaître les créations de l’esprit pour ce qu’elles sont : la part la plus vivante du patrimoine français. Elles ne sauraient se mesurer à l’aune des autres activités. Elles sont la preuve que notre pays a conservé, malgré ses trébuchements, une rare vitalité intellectuelle que nous nous devons de protéger, de favoriser dans la mesure de nos moyens. Le monde, souvent, se tourne vers la France, reconnaissant en elle la patrie des Arts et des Lettres, et nous envie ce destin qui fait de nous un peuple singulier dont la seule et vraie grande force a été, avant tout, spirituelle.

En exerçant son mécénat depuis trois siècles dans une totale indépendance, avec les possibilités que lui ont offertes de généreux donateurs, l’Académie française, et l’Institut dans son ensemble, sauvent, aident et honorent ce que la France a de plus durable : sa langue, sa pensée toujours si novatrice, ses écrivains, ses artistes, en somme ce qu’elle a de moins fragile dans un monde incertain, où l’image menace l’intégrité et l’intégralité des œuvres, où la technologie fabrique plus de têtes bien pleines que de têtes bien faites, où l’esprit doctrinaire sclérose l’intelligence de la vie, où la célébrité se prend pour la gloire qui n’est, comme disait Balzac, que le soleil des morts. La défense et l’illustration du rayonnement de la pensée créatrice est peut-être notre meilleure contribution à la paix entre les hommes.