Discours de réception de Henri de Bornier

Le 25 mai 1893

Henri de BORNIER

M. le vicomte Henri de Bornier, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. Xavier Marmier, y est venu prendre séance le jeudi 25 mai 1893, et a prononcé le discours qui suit :

    

Messieurs,

M. Xavier Marmier avait l’habitude de nous dire : « Je ne suis pas complètement heureux quand il m’arrive des bonheurs qu’un ami n’a pas obtenus encore. »

Plus tard, j’ai appris, par la confidence de ses parents les plus proches, qu’il voulait bien songer à moi en me parlant de la sorte, et que, dans ses dernières années, il me souhaitait souvent ce qui a été la grande joie et le grand honneur de sa vie.

L’Académie française a sans doute deviné ce secret désir, puisque, grâce à votre bienveillance, je succède à l’excellent confrère, à l’écrivain si distingué qu’elle regrette.

Le seul espoir dont j’ose me flatter, c’est de parler de lui avec cette sympathie de l’esprit et du cœur qu’il inspirait à tous ceux qui furent accueillis dans son intimité ; c’est de lui rendre pleine justice en résumant les impressions que la conformité des goûts, des pensées et de la carrière peut donner à un homme sur un autre homme. J’ai eu l’honneur de bien connaître M. Xavier Marmier : ce n’était pas difficile : personne n’avait plus de franchise et d’abandon ; je ne veux pas dire que ce fût en lui un mérite, car il n’avait qu’à y gagner.

M. X. Marmier a aimé surtout trois choses : les voyages, les livres…, je tâcherai d’expliquer tout à l’heure quelle était la troisième.

Les voyages d’abord. Avant la Révolution française, les grands poètes ne voyageaient guère. Corneille partait de Rouen, non pas pour admirer les paysages, il n’en avait pas besoin pour peindre

« Cette obscure clarté qui tombe des étoiles »

Non : il allait à Paris porter le Cid, Horace ou Cinna. Racine fut moins sédentaire : dans sa jeunesse, il alla jusqu’à Uzès ; mais c’était avec l’espoir d’être prieur. Regnard est allé plus loin, presque aussi loin que M. X. Marmier, jusqu’en Laponie, mais il ne songeait pas encore à écrire des comédies, et ce n’est point son esclavage à Alger et à Constantinople qui a pu lui inspirer les Folies amoureuses. La Fontaine fit un voyage en Limousin, qu’il racontait à sa femme en des lettres intéressantes et pittoresques. Ce qu’il y rencontra de plus curieux ce fut un de ses parents qui devait avoir Voltaire parmi ses descendants ; on le voit, il ne faut pas compter La Fontaine au nombre des poètes voyageurs, et Voltaire non plus. Voltaire prenait la route de Ferney, mais en seigneur qui va revoir ses domaines ; il alla aussi en Angleterre, et n’eut pas à regretter le voyage, puisqu’il y découvrit Shakspeare ; la fantaisie lui vint d’aller en Prusse, mais il y fut moins heureux.

En ces temps-là, les poètes voyageaient donc pour leur plaisir ou leurs affaires, et non pour demander à la nature des inspirations et des idées nouvelles ; ils n’allaient pas chercher la collaboration mystérieuse des océans lointains, des continents inexplorés, des montagnes inaccessibles, des vastes savanes de l’Amérique, des arides déserts de l’Arabie ou des banquises formidables du Groenland : leur pensée, toujours repliée sur elle-même, leur suffisait.

Dès les premiers jours de la Révolution il en fut autrement.

Les grands écrivains du romantisme ont dû peut-être une part de leur génie à ces courses, volontaires ou non, à travers le monde. Pour en nommer quelques-uns seulement, Chateaubriand rapportait d’Angleterre la pensée du Génie du Christianisme, d’Amérique les Natchez, Atala et René ; plus tard il revenait d’Afrique et d’Asie avec les Martyrs. Mme de Staël, qui voyagea souvent malgré elle, en voulait un peu moins, je suppose, à ceux qui lui ouvraient les chemins de l’exil quand elle y trouvait Corinne et ce livre qui est une date, l’Allemagne. Victor Hugo, longtemps après, écrivait sur les bords du Rhin ses lettres d’une originalité grandiose et il y rencontrait un soir, parmi les larges ombres tombant sur le fleuve, ce grand Chevalier d’Alsace Eviradnus, le héros d’un des plus nobles et des plus émouvants poèmes de la Légende des Siècles. Alfred de Musset fit le voyage de Venise, mais pour souffrir ; il est vrai que le cri de sa douleur s’est appelé la Nuit d’octobre. Alexandre Dumas, dont la prodigieuse imagination n’aurait pas eu besoin des impressions extérieures, voyageait cependant beaucoup, en touriste, en auteur dramatique et surtout en mousquetaire, sachant bien qu’il ferait de bonnes connaissances, que Porthos l’attendait sur la route de Picardie, Athos sur celle de Blois, d’Artagnan sur celle de Gascogne, et Aramis sur tous les chemins mystérieux.

Cette soif ardente de l’inconnu qui tourmente les poètes modernes, Lamartine l’a expliquée en ces vers admirables que M. X. Marmier nous récitait souvent et dont il voulait faire la préface à un Guide poétique du voyageur :

Notre âme a des instincts qu’ignore la nature,
Semblables à l’instinct de ces hardis oiseaux
Qui leur fait, pour chercher une autre nourriture,
Traverser d’un seul vol l’abîme aux grandes eaux.

Moi j’ai comme eux le pain que chaque jour demande,
J’ai comme eux la colline et le fleuve écumeux ;
De mes humbles désirs la soif n’est pas plus grande,
Et cependant je pars et je reviens comme eux.

M. X. Marmier n’eût pas permis de citer aucun des vers qu’il nous a légués après des vers de Lamartine.

Et cependant que de grâce, de variété, de charme et de mélancolie dans ses Poésies d’un Voyageur ! Elles ont sur tout un mérite plus rare qu’il ne semble : la sincérité.

Être sincère, en vers comme en prose, c’est plus qu’une qualité, c’est presque une vertu, et une vertu d’autant plus méritoire qu’elle compromet souvent celui qui la pratique ! Il ne s’en doute pas, il ne prévoit guère les inductions malignes, les fâcheux commentaires, les calomnies odieuses que l’on pourra tirer de ses aveux loyaux ; s’il s’en doutait, peut-être briserait-il sa plume.

M. X. Marmier ne songea point à briser la sienne : en lui la sincérité n’était pas seulement naturelle, mais, pour employer un mot dont on abuse un peu, inéluctable. De là le principal attrait de ses récits de voyage et de ses romans, et on n’est point tenté, par exemple, de l’accuser d’un enthousiasme factice quand il s’écrie : « O grande, noble, sublime nature, temple de Dieu, salutaire refuge des cœurs blessés, combien peu d’hommes sentent le charme suprême de ta beauté ( 1) ! »

Cet enthousiasme, qu’il ne perdit jamais, même aux heures où tant d’autres enthousiasmes s’envolent loin de nous, M. X. Marmier l’avait ressenti dès sa première jeunesse. À vingt ans, il partait pour l’Allemagne, allant à pied le plus souvent, la bourse légère et le cœur plein. Il aimait l’Allemagne, non point toutefois sans quelques mouvements d’inquiétude. Comme Victor Hugo plus tard, quand un étudiant allemand le saluait des mots accoutumés : Vivat Gallia regina ! il répondait sans doute : Vivat Germania mater ! Mais il sentait déjà vaguement que l’on doit prendre garde à la tendresse de certaines mères !

Le jeune voyageur, s’il n’était pas riche, trouva tout de suite le moyen de payer ses frais de route : ce fut de raconter ses voyages. Il a expliqué, en quelques pages d’une bonne humeur exquise, comment, à Leipzig, il apprit l’allemand assez vite et assez bien pour traduire des Contes populaires et pour faire avec plus de luxe un second voyage. Je crois que ce luxe consistait à acheter des livres pour apprendre toutes les langues depuis l’espagnol jusqu’au russe ; il aurait même appris le groenlandais, mais c’était une langue trop simple et trop facile pour lui.

C’est ainsi, avec cet argent fièrement gagné, qu’il a pu voir l’Amérique, l’Asie, la Russie, le Spitzberg, tout ce qui tentait ses aventureuses curiosités. Les récits qu’il en a faits sont aussi charmants qu’instructifs : charmants, parce qu’on y voit partout l’homme de cœur ; instructifs, parce que l’on y sent l’érudit qui a puisé aux vraies sources et dont la mémoire est aussi sûre que le jugement. M. X. Marmier sait tout sur les pays qu’il visite, les légendes, les élégies, les poèmes, les drames, l’histoire naturelle ; il nous raconte aussi bien l’existence d’un roi ou d’un grand poète que la vie du plus humble artisan ou d’une bergère de la montagne ; il admire les palais superbes, les donjons, les cathédrales, et il s’arrête pour écouter un oiseau qui chante dans la haie ou cueillir une fleur au bord du chemin ; son instinct poétique y trouve son compte, mais son érudition n’y perd rien de ses droits, et il a écrit un de ses meilleurs livres sur les oiseaux et les fleurs ; c’est, je crois, celui qu’il préférait ; peut-être avait-il raison : les fleurs et les oiseaux n’attristent jamais leur historien.

M. Cuvillier-Fleury a dit en lui souhaitant ici même la bienvenue que les romans de M. X. Marmier sont encore des voyages. Rien n’est plus juste, et l’on peut ajouter qu’il a créé un nouveau genre de romans, ce qu’on appelle aujourd’hui les Voyages extraordinaires. La poétique en est fort simple : choisir un sujet qui se puisse raconter en quelques lignes, et cependant en faire tout un volume, dont l’intérêt sera dans les descriptions, les souvenirs historiques, les peintures de mœurs et les épisodes.

Qu’est-ce que Gazida, le roman de M. X. Marmier ? Un jeune Canadien épouse une jeune Indienne après un petit nombre de péripéties ; mais l’auteur trouve moyen de nous dire en détail ce qu’il sait sur les premiers habitants du pays, sur le Canada, cette terre restée française, car une terre reste toujours française quand nos soldats ont préféré y mourir, plutôt que de la vendre.

Presque tous les romans de M. X. Marmier sont écrits dans ce système, si le mot système peut convenir aux œuvres d’un écrivain qui suivait la pente de sa nature et ne se hasardait pas aux théories.

Voilà, ce me semble, l’honneur qui doit rester attaché à son nom : il a indiqué une route nouvelle au talent de ses successeurs, et les romanciers, qui sont une race reconnaissante, se plaisent à le proclamer.

De ces voyages lointains M. X. Marmier rapportait mieux que des ouvrages remarquables. L’abbé Régnier-Desmarais, qui fut secrétaire perpétuel de l’Académie française, écrivait dans son Voyage à Munich, en 1680, les deux vers si connus :

Rarement à courir le monde,
On devient plus homme de bien !

Il aurait écrit le contraire, s’il avait connu M. X. Marmier.

Dans ses romans, les personnages qu’il préfère, ceux qui sont nés de son cœur et de ses meilleures pensées, sont courageux, probes, fidèles, mais surtout ils sont bons ; on sent que l’auteur en a trouvé le modèle en lui-même ; ils ont, comme lui, ce don de sympathie qui est le charme le plus pénétrant de toutes les œuvres d’art.

On a remarqué avec raison qu’il manquait un loup dans les bergeries de Florian : on ne saurait exiger toutefois qu’il n’y ait que des loups dans la bergerie ! Ils se mangeraient sans doute entre eux, malgré le proverbe ; mais ce spectacle, pour être rassurant, n’en serait pas plus agréable à voir.

M. X. Marmier fut toujours de cet avis. Il excelle à la peinture des braves gens ; quand il est obligé, au contraire, de peindre un méchant, un ingrat, un égoïste, un hypocrite, son talent s’y refuse par une sorte de pudeur qui sied à un écrivain comme à une femme : quelques lignes pour expliquer le caractère d’un coquin, cela lui semble du temps volé à la vertu.

Non seulement il s’ingénie à rendre ses héros meilleurs, mais il s’améliore lui-même en écrivant : dans un de ses romans, se trouve une page qui ressemble à une vengeance personnelle, et la page est d’un accent très rude, car un coup d’aile du cygne est redoutable, dit-on. Il en eut, je le sais, quelque repentir, et, en y ajoutant ce que nous apporte d’expérience, il revint pour toujours à cette bonté qui lui était naturelle, comme à d’autres la malice, l’envie et l’ironie. C’est le charme et le rare mérite de ses œuvres romanesques.

La même louange est due à ses récits de voyages. Certes, dans les nombreux pays qu’il visite, les souvenirs du passé se présentent en foule à son esprit ; il raconte avec habileté les batailles d’autrefois, les villes prises d’assaut, les couronnements de rois et d’empereurs, les gloires et les tristesses des peuples ; mais il se plaît visiblement à nous montrer dans le cœur des hommes les qualités touchantes, les émotions nobles et douces ; son style s’attendrit à reproduire un trait de bienfaisance, les choses les plus simples, une fermière qui offre du pain et du lait à un petit enfant, un humble conducteur de diligence qui donne son manteau à une jeune fille glacée par le froid, un soldat blessé recueilli par un prêtre, toutes les bonnes actions dont il est le témoin ; il n’oublie que les siennes, mais on les devine au plaisir qu’il éprouve à raconter celles des autres.

Régnier-Desmarais se trompait donc, Messieurs, et, grâce à M. X. Marmier, nous pouvons modifier un peu ses deux vers :

Très souvent à courir le monde
On devient plus homme de bien.

Homme de bien et meilleur patriote encore, meilleur Français. M. Xavier Marmier en fut la preuve vivante : plus il est loin du sol natal, plus son âme s’en rapproche, et nous n’avons qu’à prendre au hasard parmi les vers émus où il parle de la patrie absente, où il évoque par la pensée les lieux et les êtres qui lui sont chers, ses amis qui se disent peut-être : À présent que fait-il ?

Ce qu’il fait ? N’en doutez pas, il songe au retour. C’est lui qui a écrit ce mot si juste : « L’absence est une mort temporaire. » Il a raison : le retour au pays natal est comme une résurrection du cœur. Un Français — et qui a été plus Français que M. X. Marmier ? — est sans doute le modèle des voyageurs : il ne se moque presque de rien, s’étonne encore moins, regarde les hommes et les choses avec le même sourire joyeux, car il a fait, avant de partir, sa provision d’indulgence, de verve et de gaîté. Cependant, peu à peu, la provision s’épuise, une lente tristesse s’empare de lui. Le Parisien voyageur — il n’y a plus guère que des Parisiens en France — s’aperçoit que bien des choses lui manquent à présent : la flânerie sur les boulevards, son cercle, son journal dont il n’était jamais content, les séances de la Chambre où il n’est jamais allé, les premières représentations, les soirées mondaines pour lesquelles il s’habillait en maugréant, et le voilà triste ! Les longues tristesses lui seraient intolérables : il prend le premier train qui le rapprochera de la France ; lui qui, à l’exemple de M. Thiers, regrettait les diligences, il comprend et admire les chemins de fer, il se confie sans crainte à la locomotive, à ce rude aveugle dont parle Alfred de Vigny. Plus vite ! plus vite encore ! Voici la France ! il le sent bien à un je ne sais quoi qui est dans l’air et qui dilate le cœur. C’est elle ! c’est la frontière ! c’est la première gare ! Il descend en hâte, achète d’abord tous les journaux, et il trouve, ce jour-là, que tous ont raison ! Quelquefois il lui arrive mieux encore : des soldats en marche passent devant lui ; il peut voir, comme un poète que vous aimiez, Joseph Autran,

Le jeune colonel et le vieux régiment,

et il trouve que c’est bien. Si c’est le colonel qui est vieux, si c’est le régiment qui est jeune, il trouve que c’est bien encore, car ce sont nos soldats qui passent, alertes, prêts pour ce que Dieu prépare, graves par les souvenirs, gais par les espérances et marquant déjà le pas de la victoire ! Alors le voyageur sent des larmes monter à ses yeux en regardant le drapeau qu’il n’a pas vu depuis si longtemps, et il se console d’en avoir vu d’autres !

Personne n’a plus profondément ressenti ni mieux exprimé que votre éminent confrère ces allégresses du retour, et ce patriotisme de son esprit et de son cœur lui sera compté autant qu’un beau livre.

Quand il avait bien couru ainsi du pôle Nord au pôle Sud, M. Xavier Marmier venait se reposer dans cette riche bibliothèque de Sainte-Geneviève dont il était conservateur. Se reposer ? Je me trompe : un bibliothécaire ne se repose jamais, quoi qu’en disent les malins ; un bibliothécaire est une espèce particulière de voyageur.

Dresser le plan d’un bon catalogue, décrire un incunable, résumer en peu de mots le titre compliqué d’un livre, déterminer l’âge d’un manuscrit, c’est une affaire de métier ; des érudits illustres, à la Bibliothèque Nationale et dans les autres bibliothèques, en ont fait une science, un art véritable ; cependant un bibliothécaire a bien le droit, j’ajoute le devoir, de poétiser ses graves fonctions. Rien de plus simple : il lui suffira de passer une heure ou deux, chaque jour, à parcourir les vastes salles, à se promener lentement entre les rayons chargés d’in-folio et d’in-octavo. C’est un voyage de découvertes, un des plus intéressants que l’on puisse faire, et des plus pittoresques.

M. de Sacy, qui ne fut pas seulement un grand lettré mais un bibliothécaire et un bibliophile de premier ordre, a écrit ces lignes pleines d’une sorte de passion touchante : « Je deviendrais aveugle que j’aurais encore, je le crois, du plaisir à tenir dans mes mains un beau livre. Je sentirais du moins le velouté de sa reliure, et je m’imaginerais le voir. » Si un bibliothécaire aveugle peut goûter de telles joies, combien doit être heureux celui qui, comme M. X. Marmier, a gardé la vue perçante et le pied ferme !

En marche donc pour le pays des livres ! Voici la Bible de 1462, voici les Constitutions de Clément V, un chef-d’œuvre de Schoeffer ; le Cicéron de 1469 ; voici un Saint Augustin aux armes de Letellier, l’archevêque de Reims : l’écusson aux trois lézards, chargé des trois étoiles d’or ; voici un rarissime volume, une admirable reliure portant l’exergue de Grolier : Grollerii et amicorum ! Mais ce sont là les aristocrates de la bibliophilie ; un Grolier se vend aujourd’hui jusqu’à 15 000 francs !

Allons vers les démocrates. Voyez-vous, dans ce coin plein d’ombre, ce modeste in-12 relié simplement en parchemin ? Ouvrons-le, et tâchons d’en établir l’histoire, la généalogie, de savoir, d’après certains signes, certains points de repère, par quelles mains il a passé. Ah ! grand Dieu ! Voyez, là, sur la première page, cette signature : Corneille ! Est-ce le grand Corneille qui a écrit son nom sur ce volume oublié ? Nous le saurons ! Et si c’est bien le grand Corneille... la main qui tenait la plume du Cid et d’Horace a donc feuilleté ce livre inconnu, son regard s’est fixé sur ces pages, il y a trouvé peut-être une inspiration ou une consolation ? Mais, alors, ce livre est sacré ; ce bouquin, qui se vendrait dix sous sur les quais, devient illustre et vénérable, et, s’il m’appartenait, je ne l’échangerais pas contre un Grolier de 15 000 francs !

Ce désintéressement, vous l’auriez tous, Messieurs : je suis sûr, par exemple, que votre Secrétaire perpétuel ne donnerait pas pour tous les Groliers du monde son exemplaire de la Pharsale de Lucain. Ce n’est pas, je suppose, parce que ce joli volume a été imprimé à Amsterdam, en 1643, avec les notes de Grotius, mais parce qu’il porte deux fois la signature de Racine. Tout au plus votre Secrétaire perpétuel préférerait-il, par piété filiale, la signature de Molière.

Vous vous représentez également, Messieurs, quel fut le bonheur du bibliothécaire de l’Arsenal qui le premier mit la main sur les Poésies de Desportes avec les notes manuscrites de Malherbe. Malherbe n’est plus à la mode, à ce que l’on prétend ; mais il a fait quelques strophes qui sont restées classiques : je conviens qu’elles datent seulement de deux siècles et demi. On dure ce que l’on peut.

M. X. Marmier avait de ces rencontres heureuses dans ses promenades au milieu de la bibliothèque des Génovéfains, et il continuait ainsi ses voyages, cette fois à travers l’histoire, la géographie, la théologie, les sciences et les lettres.

J’ai dit en commençant que M. X. Marmier a aimé surtout trois choses : les voyages, les livres... Lui-même va nous dire quelle fut la troisième :

« Nul homme, écrit-il dans son volume Prose et Vers, nul homme ne saura comme la femme se consacrer à ses affections, poursuivre sans se lasser son œuvre de dévouement, courber sans se plaindre son front sous un nuage... Nul homme ne saura comme la femme s’associer au bonheur d’un ami ou à son deuil, compléter la joie de ceux qui lui sont chers par la joie qu’elle en ressentira. »

Ce ne sont point là de vaines paroles, c’est l’expression d’un sentiment très raisonné. M. X. Marmier avait trop de pénétration pour trouver toutes les femmes parfaites, mais il souffrait de voir démasquer dans un livre ou étaler sur la scène leurs défauts, leurs vices et leurs ridicules ; il en voulait à Boileau pour son injuste satire ; il en aurait même voulu à Molière à cause d’Arsinoé, de Bélise et de Philaminte ; mais il aimait tant Elmire, Éliante et Henriette qu’il pardonnait volontiers à Célimène. M. Marmier sentait cela très vivement et nous partageons tous, à notre insu quelquefois, cette délicatesse de son esprit. Nous pouvons apprécier, comme il convient, les romans et les comédies où le caractère des femmes est analysé avec ingéniosité, avec finesse ou avec puissance ; mais il ne faut pas que les fictions littéraires soient prises au pied de la lettre et fassent loi dans la vie réelle, il ne faut pas que l’on nous donne l’exception pour la règle. Quand des jeunes gens — pour ne pas nous en prendre aux autres — disent avec une certaine fatuité : Nous connaissons les femmes ! il est permis de leur répondre humblement : Prenez garde ! à force de croire que l’on connaît les femmes, on ne connaît pas la femme !

Certaines femmes peuvent être coquettes par exception, perfides par hasard, méchantes par miracle ; mais la femme dont parle M. X. Marmier, la vraie femme, est bonne, loyale, vaillante et fidèle ; c’est la mère, la sœur, la fille, l’épouse : celle-là est à Dieu ; les autres... ; les autres lui reviendront !

Cette femme-là, M. X. Marmier la comprenait avec ce que l’on pourrait appeler la tendresse de l’admiration. Je crois le voir encore, dans son cabinet de travail, qu’il préférait à son salon, le dimanche, à l’heure où il attendait ses amis. De sa place il pouvait apercevoir, par les tapisseries entr’ouvertes, les visiteurs qui traversaient l’antichambre. Si c’était un homme, on le devinait à la politesse grave du maître de la maison ; si c’était une femme, on le devinait mieux encore à l’éclair de joie qui passait dans ses yeux. Il allait vers elle avec cette grâce des vieillards qui font oublier leur âge parce qu’il ne l’oublient pas ; son regard avait la même attention voilée et le même respect, que la visiteuse fût jeune ou ennoblie par des cheveux blancs ; c’était de sa part une manière exquise de s’intéresser à toutes les choses qui préoccupent une femme, aux mille petits riens de son existence ; une sollicitude délicate en demandant des nouvelles des vieux parents, des enfants, et même des maris ! Si les nouvelles étaient bonnes, le voilà tout heureux ; moins bonnes, il trouvait bientôt pour ce cœur affligé des consolations et des espérances. Il s’ingéniait à ramener le sourire sur ce visage inquiet ; tout lui servait pour cela, même ses autres visiteurs : il faisait leur éloge ou leur cherchait de douces querelles, vantait leurs ouvrages, ou les critiquait agréablement, les embarrassait d’une façon ou d’autre, ce qui amuse toujours une femme !

Quelquefois il employait un moyen qui lui coûtait plus cher : il allait chercher un volume dans sa bibliothèque. « Madame, vous voyez ce livre ? c’est une merveille, une rareté ; je l’ai eu pour rien, chez un bouquiniste ; c’est l’histoire de votre pays, voyez ! » La visiteuse prenait dans ses mains le livre précieux, le regardait avec admiration, et puis le rendait au propriétaire. Mais il y a une finesse dans la manière de rendre un livre ; le propriétaire, très fin aussi, faisait semblant d’hésiter et de prendre une résolution subite : « Décidément, Madame, ce livre ne m’appartient pas ; il est à vous puisqu’il semble vous plaire. Gardez-le donc, je vous en supplie ! » Elle refusait, il insistait, et elle se résignait à emporter le livre. Alors, ce qui n’est pas la coutume des propriétaires, le propriétaire dépouillé devenait rayonnant ! Oui, mais dès qu’elle était partie, il devenait triste tout à coup. Pourquoi ? Nous le savions, mais nous ne lui en parlions jamais ; c’est à peine s’il faisait quelquefois allusion à cette grande douleur de sa vie. Dans les Souvenirs manuscrits de son père, qui m’ont été confiés, je relève ces quelques lignes : « En 1843, Xavier avait épousé une jeune fille de Pontarlier qui mourut après dix mois de mariage ; l’enfant était mort en naissant. Xavier, depuis lors, a eu de belles occasions pour se marier de nouveau et très avantageusement, mais il n’a pu encore s’y décider. » Il ne s’y décida jamais. Il se rappelait sans doute ses vers écrits le jour de son mariage :

Sol paternel, pays que j’aime,
Dans vos vallons recevez-nous ;
Vous qui sonniez pour mon baptême,
Cloches, sonnez pour les époux.

Elles sonnèrent bientôt les funérailles, et il ne voulut pas les entendre sonner de nouveau pour le bonheur ; ses larmes lui étaient chères, et elles redoutaient les témoins :

Pleure ta joie et ton orgueil
Au sein discret de la nature ;
Laisse en silence dans ton deuil
Saigner le sang de ta blessure !

La blessure ne devait jamais se fermer. C’est pour cela qu’il était triste quand une femme quittait sa maison !

Sa tristesse voilée, mais d’autant plus profonde, ne trouvait d’apaisement que dans l’espoir du dernier repos, du calme suprême auquel la résignation nous prépare, et il en goûta la mystérieuse douceur dans les longs jours qui lui restaient à vivre.

Cette attente mélancolique et sereine fut troublée pourtant vers les dernières années de sa vie : ses amis le pressèrent d’accepter une candidature politique dans son pays, à Pontarlier. Il était de sang légitimiste et catholique, appartenant à une de ces anciennes familles de la bourgeoisie qui valent la noblesse ; mais il avait peu de penchant pour la politique active, et un voyage à la Chambre des Députés était le seul qui ne fût pas de son goût. Avait-il si grand tort ? Il avait observé de près les abîmes, les beautés et les horreurs de la nature ; et il ne tenait pas à en connaître d’un autre genre !

Cependant ses amis insistèrent ; on lui dit : C’est le devoir ! Il courba donc la tête, mais ses électeurs comprirent sa secrète frayeur, et ils lui épargnèrent leurs suffrages. M. X. Marmier ne fut pas ingrat envers eux : il leur a légué sa bibliothèque. C’est un cadeau de prince.

Cette bibliothèque, il l’avait composée jour à jour, avec un soin jaloux et une compétence spéciale ; il s’en allait le long des quais voisins de l’Institut, fouillant d’un œil expert les boites des bouquinistes, ne dédaignant pas les livres rares, préférant les livres utiles ; il se disait : Après moi, mes compatriotes jouiront du trésor que j’amasse pour eux ; un jeune montagnard du Jura ouvrira un de ces volumes et y trouvera quelque pensée fortifiante et saine ; son esprit et son cœur lui devront une direction meilleure ; il deviendra un philosophe, un poète, un soldat, un homme de foi sincère et de patriotisme ardent. J’aurai rendu un service au pays, et je peux déjà dire comme le fabuliste :

Mes arrière-neveux me devront cet ombrage !

Ce travail quotidien fut la dernière joie de M. X. Marmier. Elle lui avait été si douce qu’il voulut en témoigner sa reconnaissance posthume à ces modestes bouquinistes qui furent en quelque sorte ses collaborateurs : selon son désir un banquet les réunit et ils remplirent un verre en souvenir de leur vieil ami.

Sa robuste vieillesse n’avait rien diminué de sa rare intelligence : il en profita pour rassembler ses souvenirs et se juger lui-même. Joubert a dit, enveloppant une pensée juste dans une image poétique : « Le soir de la vie apporte avec soi sa lampe ! » M. Xavier Marmier voulut examiner son passé à cette lumière qui ne trompe pas. Sans oublier le plus cruel chagrin de sa vie, il se rappelait aussi les hommes de haut rang et de grande renommée qui furent les protecteurs de sa jeunesse, le duc Victor de Broglie le comte d’Haussonville, le duc Pasquier, dernier chancelier de France, dont il ne parlait qu’avec une reconnaissance attendrie, et il convenait qu’il avait eu sa part des bonheurs humains. L’orgueil de s’être montré digne de ces amitiés illustres lui était bien permis, car les jalousies, les animosités, les faiblesses de la vie littéraire lui furent inconnues. À peine pouvait-il s’accuser d’une légère rancune, dont je ne crains pas de rappeler ici le souvenir.

Quand M. Marmier sollicita pour la première fois vos suffrages, un de ses amis les meilleurs, étranger du reste à votre Compagnie, témoigna peu d’ardeur pour sa candidature. M. Marmier en éprouva plus que du chagrin, et même quand il eut pris place parmi vous, son dépit ne cessa point, tout au contraire : quand il nous racontait, le dimanche, vos séances du jeudi, on sentait qu’il goûtait avec passion le charme de vos entretiens et leur utilité pour son talent ; ce qu’il gagnait, ce que l’on gagne dans votre intimité lui faisait regretter davantage le temps perdu ; sa petite rancune contre son ami n’était donc que de la reconnaissance pour vous ! Je n’osais certes point lui rappeler qu’une fois élus, votre règle est de croire que tout le monde a voté pour vous au dedans, et au dehors que tout le monde a désiré votre succès. Mais je me permis, un jour, de lui faire observer que nous ne devons rien reprocher à la vie quand elle espace nos bonheurs : il convint que j’avais raison.

M. X. Marmier s’adressait un second blâme, celui-là bien plus immérité. Il s’accusait volontiers d’avoir été trop sensible au succès de ses livres, aux éloges qui lui furent prodigués, aux critiques qui ne lui furent pas ménagées non plus. Nous lui répondions que l’on est assez modeste quand on craint de ne pas l’être ! Sur un autre point sa modestie inquiète s’alarmait davantage. Depuis qu’il avait pris son rang parmi vous, il craignait d’attribuer son seul mérite ce qu’il attribua d’abord à votre seule bienveillance. À cela notre réponse était facile encore ; il nous suffisait de lui rappeler les fières paroles de M. Guizot, le jour où il répondit au discours de réception d’un de ses adversaires politiques : « À mesure que je me détache de moi-même et que le temps m’emporte loin de nos combats, j’entre sans effort dans une appréciation sereine et douce des idées et des sentiments qui ne sont pas les miens. » Ce qui est vrai pour un homme politique ne saurait être moins vrai pour un homme de lettres.

Il est impossible, dans notre temps surtout, qu’un écrivain n’ait pas la notion exacte de sa gloire ou du moins de sa renommée ; à aucune autre époque la gloire littéraire n’a été plus visible, plus palpable en quelque sorte. Pour ignorer le bruit qui se fait autour de ses œuvres il lui faudrait fermer l’oreille, et il n’est point fâché de l’ouvrir ! chaque matin il écoute le retentissement sonore de son nom dans le clairon de mille et mille journaux ; il se sent le roi d’un peuple de lecteurs, et ne songe pas aux révolutions ; le soir, au théâtre, il goûte de plus près encore à la coupe enivrante du succès ; son drame ou sa comédie saisit la foule et la pétrit pour ainsi dire ; un autre jour, son roman, son poème, son livre de critique ou d’histoire, éclate en longs éclats, comme une mine chargée par des mains habiles et fortes ; on épuise pour lui toutes les formules de l’admiration ; tout y ajoute, car tout la constate, même l’envie, la rage sombre de ses détracteurs, ce que Victor Hugo appelle les applaudissements farouches des huées. Comment cet homme échappera-t-il à l’orgueil qui semble inséparable de pareils triomphes ? Où donc, lui qui n’a connu que des admirateurs, trouvera-t-il des juges ? Ici, Messieurs.

Le jour où un écrivain, si grand qu’il puisse être, franchit le seuil que vous lui avez ouvert, il éprouve déjà je ne sais quelle timidité qu’il ignorait ailleurs ; vos suffrages l’ont fait votre égal, mais il sait bien que vous avez été ses juges et que vous le resterez ; il gardera la fierté de son talent, mais déjà il le compare, le pèse et l’estime au vrai prix. Ce n’est pas en vain qu’il verra de plus près les maîtres de l’éloquence et de la poésie, ceux qui ont lutté, qui luttent encore pour les nobles causes, la science, l’art, la liberté, la justice : il a fait ou il fera comme eux ; mais il sent désormais que la gloire ne peut pas être l’apanage d’un seul homme. Et puis... il y a ici, comme on l’a dit du foyer de la Comédie-Française, il y a ici les statues et les bustes ! Il y a les marbres des penseurs et des sages qui semblent vivants encore, selon le mot de Virgile : vivos de marmore vultus ! Ils vivent, en effet, de cette vie auguste qui ne connaîtra pas la mort ; l’éclair de leur génie s’est fixé sur leur visage ; on y lit ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont rêvé, le dédain des succès frivoles, le jugement supérieur qui, dans leurs propres œuvres, n’admet que les beautés incontestables ; et leur sévérité pour eux-mêmes nous enseigne à ne pas être plus indulgents pour nous. À leur seule présence, nous sentons aussi que le meilleur de nos pensées vient d’eux et leur appartient ; qu’il y a, ainsi que l’atavisme du sang, l’atavisme du génie et de la gloire, et que, si nous voulons justifier notre orgueil, il faut le faire remonter aux aïeux vénérés et redoutables.

M. X. Marmier ne transigeait pas avec lui-même, vous le voyez, Messieurs, dans cet examen de conscience littéraire ; son inquiétude, sans cesse en éveil, faisait ainsi le tour des choses passées. Il se demandait, par exemple, de bonne foi, si, parmi ses très nombreux ouvrages, rien ne s’était glissé dont puisse s’alarmer une morale sévère.

Loin de s’en étonner, il n’est pas d’écrivain, ce me semble, qui ne doive ressentir la même inquiétude. Homme, il a cédé souvent aux entraînements, aux faiblesses et aux passions ; heureux du moins si on a pu dire de lui : Sa morale vaut mieux que sa moralité !

Vous connaissez tous le vers de Dante, au ve chant de l’Enfer, le plus terrible anathème qui ait été lancé, contre les ouvrages corrupteurs, un de ces cris de génie qui retentissent dans un poème comme un cri de lion dans la montagne. Ce vers fait allusion à un roman célèbre, Lancelot du Lac, dans lequel Gallehaut (Galeotto) sert de vil entremetteur aux amours coupables du héros et de l’héroïne. Lorsque Dante interroge Francesca emportée avec Paolo à travers la géhenne de l’adultère, elle raconte comment la lecture de ce roman les a conduits à la faute irréparable, et elle termine par ce vers dont aucune traduction ne peut rendre l’énergie :

Galeotto fù il libro e chi lo scrisse

« Pour nous, Galeotto, ce fut ce livre et celui qui l’a écrit. »

Galeotto... voilà l’éternel corrupteur, qui peut changer de nom, mais qui est le même dans tous les pays et tous les temps, le voilà flétri par le justicier inflexible ! Fut-il jamais de leçon plus cruelle et plus utile toujours ? Hélas ! Quel homme peut répondre de la pureté absolue de ses ouvrages ? Celui qui a voulu absoudre quelque grand crime de l’histoire... Galeotto ! Celui qui, pour forcer les applaudissements, a jeté au public un de ces vers, une de ces maximes dont les âmes sont longtemps troublées... Galeotto ! Celui qui a calomnié l’honneur, insulté le génie, découragé la vertu, préparé pour le vice et la haine des triomphes infâmes... Galeotto ! Et même celui qui, par crainte du ridicule et du rire des méchants, par une de ces lâchetés intérieures aussi coupables que les lâchetés notoires, n’a pas dit ce qu’il sentait utile et bon de dire... Galeotto !

M. Xavier Marmier ne trouva rien, malgré sa sévérité pour lui-même, et nous ne trouvons rien à condamner dans ses livres ; il pouvait aller sans crainte vers le juge invisible. Depuis longtemps il était en règle avec Dieu ; sûr de finir en chrétien, il pouvait frapper aux portes de lumière avec des mains purifiées. Aussi, quand il sentit l’heure venir, le calme monta de son cœur à son visage, et, comme il souriait d’habitude aux visiteurs qu’il aimait, il sourit doucement à la mort.

1 Voyage en Suisse, ch. VII.