Discours de réception d’Ernest Renan

Le 3 avril 1879

Ernest RENAN

Réception de M. Ernest Renan

 

M. Ernest Renan, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. Claude Bernard, y est venu prendre séance le jeudi 3 avril 1879, et a prononcé le discours qui suit :

    

Messieurs,

Ce grand cardinal de Richelieu, comme tous les hommes qui ont laissé dans l’histoire la marque de leur passage, se trouve avoir fondé bien des choses auxquelles il ne pensait guère, certaines même qu’il ne voulait qu’à demi. Je ne sais, par exemple, s’il se souciait beaucoup de ce que nous appelons aujourd’hui tolérance réciproque et liberté de penser. La déférence pour les idées contraires aux siennes n’était pas sa vertu dominante, et, quant à la liberté, on ne voit pas qu’elle eût sa place indiquée dans le plan de l’édifice qu’il bâtissait. Et pourtant, voici qu’à deux cent cinquante ans de distance, l’âpre fondateur de l’unité française se trouve, dans un sens très réel, avoir été le fauteur de principes qu’il eût peut-être vivement combattus, s’il les eût vus éclore de son vivant. Cette compagnie, qui est après tout la plus durable de ses créations (depuis deux siècles et demi, elle vit sans avoir modifié un seul article de son règlement !), qu’est-elle, Messieurs, si ce n’est une grande leçon de liberté, puisque ici toutes les opinions politiques, philosophiques, religieuses, littéraires, toutes les façons de comprendre la vie, tous les genres de talent, tous les mérites, s’assoient côte à côte avec un droit égal ? La règle de la maison de Mécène, vous l’observez :

… Nil mi officit unquam
Ditior hic aut est quia doctior ; est locus uni
Cuique suus…

Réunir les hommes, c’est être bien près de les réconcilier, c’est au moins rendre à l’esprit humain le plus signalé des services, puisque l’œuvre pacifique de la civilisation résulte d’éléments contradictoires, maintenus face à face, obligés de se tolérer, amenés à se comprendre et presque à s’aimer.

Que vit, en effet, Messieurs, avec une admirable sagacité, votre grand fondateur ? Une chose qu’on a exprimée depuis avec beaucoup de prétention, mais qu’il fit mieux que de proclamer en paroles, qu’il appliqua ; je veux dire ce principe qu’à un certain degré d’élévation, toutes les grandes fonctions de la vie raisonnable sont sœurs ; que, dans une société bien organisée, tous ceux qui se consacrent aux belles et bonnes choses sont collaborateurs ; que tout devient littérature quand on le fait avec talent ; en d’autres termes, que les lettres sont en quelque sorte l’Olympe où s’éteignent toutes les luttes, toutes les inégalités, où s’opèrent toutes les réconciliations. Séparées en leurs applications spéciales, souvent opposées, ennemies même, les maîtrises diverses du monde des esprits se rencontrent sur les sommets où elles aspirent. La paix n’habite que les hauteurs. C’est en montant, montant toujours, que la lutte devient harmonie, et que l’apparente incohérence des efforts de l’homme aboutit à cette grande lumière, la gloire, qui est encore, quoi que l’on dise, ce qui a le plus de chance de n’être pas tout à fait une vanité.

C’est là l’idée mère de votre Compagnie, Messieurs. Elle repose avant tout sur ce que je serais tenté d’appeler le grand dogme français, l’unité de la gloire, la communauté de l’esprit humain, l’assimilation de tous les ordres de services sociaux en une légion unique, créée, maintenue, sanctionnée, couronnée par la patrie. Le génie de la France avait déjà donné la mesure de sa largeur en créant Paris, ce centre incomparable, où se rencontrent et se croisent toutes les excitations, tous les éveils, le monde, la science, l’art, la littérature, la politique, les hautes pensées et les instincts populaires, l’héroïsme du bien, par moments la fièvre du mal. Le cardinal de Richelieu, en fondant votre Compagnie « sur des fondements assez forts (ce sont ses propres paroles) pour durer autant que la monarchie », la Convention nationale, en décrétant l’Institut, le premier Consul, en établissant la Légion d’honneur, furent conduits par la même pensée : c’est que l’État, fondé sur la raison, croit au bien et au vrai et en voit la suprême unité. Toutes les noblesses leur apparurent comme égales. La gloire est quelque chose d’homogène et d’identique. Tout ce qui vibre la produit. Il n’y a pas plusieurs espèces de gloire, pas plus qu’il n’y a plusieurs espèces de lumière. À un degré inférieur, il y a les mérites divers ; mais la gloire de Descartes, celle de Pascal, celle de Molière, sont composées des mêmes rayons.

La plupart des pays civilisés, depuis le XVIe siècle, ont eu des académies, et la science a tiré le plus grand profit de ces associations, où, de la discussion et de la confrontation des idées, naît parfois la vérité. Votre principe va plus loin et plonge plus profondément dans l’intime de l’esprit humain. Vous trouvez que le poète, l’orateur, le philosophe, le savant, le politique, l’homme qui représente éminemment la civilité d’une nation, celui qui porte dignement un de ces noms qui sont synonymes d’honneur et de patrie, que tous ces hommes-là, dis-je, sont confrères, qu’ils travaillent à une œuvre commune, à constituer une société grande et libérale. Rien ne vous est indifférent : le charme mondain, le goût, le tact, sont pour vous de la bonne littérature. Ceux qui parlent bien, ceux qui pensent bien, ceux qui sentent bien, le savant qui a fait de profondes découvertes, l’homme éloquent qui a dirigé sa patrie dans la glorieuse voie du gouvernement libre, le méditatif solitaire qui a consacré sa vie à la vérité, tout ce qui a de l’éclat, tout ce qui produit de la lumière et de la chaleur, tout ce dont l’opinion éclairée s’occupe et s’entretient, tout cela vous appartient ; car vous repoussez également et l’étroite conception de la vie qui renferme chaque homme dans sa spécialité comme dans une espèce de besogne obscure dont il ne doit pas sortir, et -la fade rhétorique où l’art de bien dire est confiné dans les écoles, séparé du monde et de la vie.

Cet esprit de votre fondation, vous le conservez admirablement, Messieurs ; et m’en faut-il d’autre preuve que ce que je vois en venant occuper aujourd’hui le siège où votre indulgence a bien voulu m’appeler ? Pour ne rien dire de pertes récentes et si cruelles que seule votre Compagnie pouvait les endurer sans être amoindrie, quelle variété je trouve en cette enceinte, quels hommes, quels caractères, quels cœurs ! Vous, cher et illustre maître, dont le génie, comme le timbre des cymbales de Bivar, a sonné chaque heure de notre siècle, donné un corps à chacun de nos rêves, des ailes à chacune de nos pensées. Vous, bien-aimé confrère, qui trouvez dans une noble philosophie la conciliation du devoir et de la liberté. Ici je vois la poésie souveraine, qui nous impose le monde qu’elle crée, nous entraîne, nous dompte sous le coup impérieux de son archet magique ; là (ces contrastes sont votre gloire) le sens droit et ferme de la vie, l’art charmant du romancier, l’esprit du moraliste, et, ce que notre pays seul connaît encore, le rire aimable, l’ironie légère. Ici la foi sincère, l’art excellent de tirer d’un culte bien entendu pour le passé la dignité de toute une vie, le repos dans des doctrines qu’il n’est pas permis de qualifier d’étroites, puisque de grands génies s’y sont trouvés à l’aise ; là une négation réfléchie, calme, sûre d’elle-même, et donnant à l’âme forte qui s’y complaît le même repos, au caractère d’acier qui s’y plie la même grandeur que la foi. Ici la politique sincère, qui, dans nos jours troublés, a cru, pour sauver le pays, devoir revenir aux maximes qui l’ont fondé ; là une politique non moins sincère, qui s’est tournée résolument vers l’avenir et a conçu la possibilité d’une société vivante et forte sans les conditions qui autrefois paraissaient pour cela de nécessité absolue. Et dans l’appréciation du plus grand évènement de l’histoire moderne, de cette Révolution qui est devenue comme la croix de chemin où l’on se divise, le symbole sur lequel on se compte, que de pacifiques dissentiments ! Ici la foi dans le signe qui une fois a vaincu, l’enthousiasme des jours sublimes où un souffle étrange courut dans cette foule et la fit penser et parler pour l’humanité, la hardie assurance de cœurs virils, disant à leurs aînés, comme les jeunes gens de Sparte : « Nous serons ce que vous fûtes » ; là un loyal effort pour peindre dans toute leur vérité des scènes funestes et dont on voudrait dire, comme L’Hôpital de la Saint-Barthélemy : Nocte tegi nostræ patiamur crimina gentis.

Où est donc votre unité, Messieurs ? Elle est dans l’amour de la vérité, dans le génie qui la trouve, dans l’art savant qui la fait valoir. Vous ne couronnez pas telle ou telle opinion ; vous couronnez la sincérité et le talent. Vous admettez pleinement que, dans toutes les écoles, dans tous les systèmes, dans tous les partis, il y a place pour l’éloquence et la droiture du cœur. Tout ce qui peut s’exprimer en bon français, tout ce qui fait le grand homme ou l’homme aimable, a chez vous ses entrées. Il y a une source commune d’où dérivent le bon style et la bonne vie, le bien-dire et le noble caractère. Vous enseignez la chose dont l’humanité a le plus besoin, la concorde, l’union des contrastes. Ah ! si le monde pouvait vous imiter ! L’homme vit quatre jours ici-bas ; quoi de plus fou que de les passer à haïr, quand il est clair que l’avenir nous jugera comme nous jugeons le passé et que, dans cinquante ans, on traitera d’enfantillage les batailles où nous sacrifions le meilleur de notre vie !

Voilà le secret de votre éternelle jeunesse ; voilà pourquoi votre institution verdoie, quand le monde vieillit. Tout s’embrasse dans votre sein. Ailleurs la littérature et la société sont choses distinctes, profondément divisées. Dans notre pays, grâce à vous, elles se pénètrent. Vous vous inquiétez peu d’entendre annoncer pompeusement l’avènement de ce qu’on appelle une autre culture, qui saura se passer du talent. Vous vous défiez d’une culture qui ne rend l’homme ni plus aimable ni meilleur. Je crains fort que des races, bien sérieuses sans doute, puisqu’elles nous reprochent notre légèreté, n’éprouvent quelque mécompte dans l’espérance qu’elles ont de gagner la faveur du monde par de tout autres procédés que ceux qui ont réussi jusqu’ici. Une science pédantesque en sa solitude, une littérature sans gaieté, une politique maussade, une haute société sans éclat, une noblesse sans esprit, des gentilshommes sans politesse, de grands capitaines sans mots sonores, ne détrôneront pas, je crois, de sitôt le souvenir de cette vieille société française, si brillante, si polie, si jalouse de plaire. Quand une nation, par ce qu’elle appelle son sérieux et son application, aura produit ce que nous avons fait avec notre frivolité, des écrivains supérieurs à Pascal et à Voltaire, de meilleures têtes scientifiques que d’Alembert et Lavoisier, une noblesse mieux élevée que la nôtre au XVIIe et au XVIIIe siècle, des femmes plus charmantes que celles qui ont souri à notre philosophie, un élan plus extraordinaire que celui de notre Révolution, plus de facilité à embrasser les nobles chimères, plus de courage, plus de savoir-vivre, plus de bonne humeur pour affronter la mort, une société, en un mot, plus sympathique et plus spirituelle que celle de nos pères, alors nous serons vaincus. Nous ne le sommes pas encore. Nous n’avons pas perdu l’audience du monde. Créer un grand homme, frapper des médaillons pour la postérité, n’est pas donné à tous. Il y faut votre collaboration. Ce qui se fait sans les Athéniens est perdu pour la gloire ; longtemps encore vous saurez seuls décerner une louange qui fasse vivre éternellement.

Ainsi, en conservant votre vieil esprit, vous conservez la meilleure des choses. Vous admettez tous les changements, tous les progrès dans les idées ; les cadres, vous les maintenez, et, de tous les cadres, le plus essentiel, c’est la langue. Une langue bien faite n’a plus besoin de changer. Le français, tel que l’a créé le XVIIe siècle, peut servir à l’expression d’idées que n’avait pas le XVIIe siècle. Assurément, quelques modifications de nuances sont nécessaires. Même le cardinal de Retz aurait besoin d’un moment de réflexion pour comprendre certaines phrases de Turgot et de Condorcet. Turgot et Condorcet remarqueraient, s’ils pouvaient nous lire, que, chez les meilleurs écrivains de notre temps, le sens de quelques mots, tels que révolution, agitation, développement, mouvement, apparition, a pris une extension répondant à certaines idées philosophiques. Mais la langue est bien la même ; on ne la trouve pauvre, cette vieille et admirable langue, que quand on ne la sait pas ; on ne prétend l’enrichir que quand on ne veut pas se donner la peine de connaître sa richesse. Toutes les hardiesses sont permises, excepté les hardiesses contre vous, Messieurs. On ne vous brave jamais impunément. J’ai remarqué que cela portait malheur. Dans mes plus grandes libertés, la crainte de l’Académie a toujours été au fond de mon cœur, et je m’en suis bien trouvé.

Merci donc, Messieurs, de m’avoir associé à votre Compagnie et à votre œuvre. Comptez sur moi pour vous aider à étonner les personnes qui n’ont pas le secret de vos choix et n’en comprennent pas toute la philosophie. Vous n’êtes pas une distribution de prix. L’hérésie la plus dangereuse en ce monde est de réclamer en tout une justice rigoureuse, que la nature n’a pas voulue. Justes, vous l’êtes jusque dans vos délais. On arrive à votre cénacle à l’âge de l’Ecclésiaste, âge charmant, le plus propre à la sereine gaieté, où l’on commence à voir, après une jeunesse laborieuse, que tout est vanité, mais aussi qu’une foule de choses vaines sont dignes d’être longuement savourées. Mes confrères de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui me connaissent depuis vingt-deux ans, vous rendront ce témoignage que je suis bon académicien, bien exact dans l’accomplissement de mes devoirs. Comptez sur mon assiduité et mon application ; moi, je compte sur de charmantes heures à passer parmi vous.

Ces maximes fondamentales que j’essayais d’esquisser tout à l’heure, vous les avez admirablement appliquées, Messieurs, le jour où vous choisissiez pour confrère l’homme illustre auquel vous m’avez appelé à succéder parmi vous. Claude Bernard fut le plus grand physiologiste de notre siècle. L’Académie des Sciences fera son éloge ; elle exposera ces découvertes surprenantes qui ont porté la lumière sur les opérations les plus intimes des êtres organisés. Ce n’est pas le physiologiste que vous avez nommé, Messieurs ; dans les élections de savants illustres, c’est l’homme même, ou, en d’autres termes, l’écrivain que vous prenez. L’intelligence humaine est un ensemble si bien lié dans toutes ses parties qu’un grand esprit est toujours un bon écrivain. La vraie méthode d’investigation, supposant un jugement ferme et sain, entraîne les solides qualités du style. Tel mémoire de Letronne et d’Eugène Burnouf, en apparence étranger à tout souci de la forme, est un chef-d’œuvre à sa manière. La règle du bon style scientifique, c’est la clarté, la parfaite adaptation au sujet, le complet oubli de soi-même, l’abnégation absolue. Mais c’est là aussi la règle pour bien écrire en quelque matière que ce soit. Le meilleur écrivain est celui qui traite un grand sujet, et s’oublie lui-même, pour laisser parler son sujet. « Il se sert de la parole, écrivait M. de Cambrai à votre secrétaire perpétuel, comme un homme modeste de son habit pour se couvrir. Il pense, il sent, la parole suit. » Principe admirablement vrai ! Le beau est hors de nous, notre tâche est de nous mettre à son service et d’en être les dignes interprètes. Avoir quelque chose à dire, ne pas gâter la beauté naturelle d’un sujet noble, d’une pensée vraie, par le désordre, l’obscurité, l’incorrection, le faux goût, telle est la condition essentielle de cet art du bon langage, que certaines personnes, bien à tort, se figurent distinct de l’art même de penser et de trouver le vrai.

C’est en vous souvenant de ces principes que votre attention se porta sur un homme voué aux travaux en apparence les plus éloignés de ce qu’on peut appeler la littérature. Il passait sa vie dans un laboratoire obscur au Collège de France ; et là, au milieu des spectacles les plus repoussants, respirant l’atmosphère de la mort, la main dans le sang, il trouvait les plus intimes secrets de la vie, et les vérités qui sortaient de ce triste réduit éblouissaient tous ceux qui savaient les voir. Écrivain, certes il l’était, et écrivain excellent ; car il ne pensa jamais à l’être. Il eut la première qualité de l’écrivain, qui est de ne pas songer à écrire. Son style, c’est sa pensée elle-même ; et, comme cette pensée est toujours grande et forte, son style aussi est toujours grand, solide et fort. Rhétorique excellente que celle du savant ! Car elle repose sur la justesse d’un style vrai, sobre, proportionné à ce qu’il s’agit d’exprimer, ou plutôt sur la logique, base unique, base éternelle du bon style. Rhétorique au fond identique à celle de l’orateur, « qui ne se sert de la parole que pour la pensée et de la pensée que pour la vérité ! » Rhétorique au fond identique à celle du grand poète ! Car il y a une logique dans une tragédie en cinq actes comme dans un mémoire de physiologie, et la règle des ouvrages de l’esprit est toujours la même : être égal à la vérité, ne pas l’affaiblir en s’y mêlant, se mettre tout entier à son service, s’immoler à elle pour la montrer seule, dans sa haute et sereine beauté.

Telle est la raison qui fait que, depuis votre fondation, vous avez eu pour confrères Mairan, Buffon, d’Alembert, Vicq d’Azyr, Cuvier, Claude Bernard et le chimiste illustre qui continue à l’heure qu’il est dans votre sein cette glorieuse tradition. Vous représentez l’esprit humain. Comment le plus beau fleuron de l’esprit humain, la science, vous serait-elle étrangère ? Vous ne voyez, il est vrai, que le résultat ; l’œuvre pénible du laboratoire n’est pas votre domaine. De même que, le soir, en admirant l’éclairage de nos grandes cités, nous jouissons de l’éblouissante lumière sans songer au récipient obscur où elle se prépare, de même vous assistez à ces éclosions merveilleuses sans vous préoccuper du travail matériel qui les amène. Vous acceptez les conquêtes définitives ; vous constatez les transformations que ces merveilleuses découvertes introduisent dans toute la discipline de l’esprit. Qui ne voit que Galilée, Descartes, Newton, Lavoisier, Laplace ont changé la base de la pensée humaine, en modifiant totalement l’idée de l’univers et de ses lois, en substituant aux enfantines imaginations des âges non scientifiques la notion d’un ordre éternel, où le caprice, la volonté particulière, n’ont plus de part ? Ont-ils diminué l’univers, comme le pensent quelques personnes ? Pour moi, j’estime tout le contraire. Le ciel, tel qu’on le voit avec les données de l’astronomie moderne, est bien supérieur à cette voûte solide, constellée de points brillants, portée sur des piliers, à quelques lieues de distance en l’air, dont les siècles naïfs se contentèrent. Je ne regrette pas beaucoup les petits génies qui autrefois dirigeaient les planètes dans leur orbite ; la gravitation s’acquitte beaucoup mieux de cette besogne, et, si par moments j’ai quelques mélancoliques souvenirs pour les neuf chœurs d’anges qui embrassaient les orbes des sept planètes, et pour cette mer cristalline qui se déroulait aux pieds de l’Éternel, je me console en songeant que l’infini où notre œil plonge est un infini réel, mille fois plus sublime aux yeux du vrai contemplateur que tous les cercles d’azur des paradis d’Angelico de Fiésole. L’homme d’État illustre dont la mort a produit un si grand vide dans votre Compagnie laissait rarement passer une belle nuit sans jeter un regard sur cet océan sans limites. « C’est là ma messe, » disait-il. Combien les vues profondes du chimiste et du cristallographe sur l’atome dépassent la vague notion de la matière dont vivait la philosophie scolastique ! Et quant à l’âme, qui venait, à un moment donné avant la naissance, s’adjoindre à une masse qui jusque-là ne méritait aucun nom, mon Dieu ! parfois je la regrette, je l’avoue ; car il était facile de démontrer qu’une telle âme, créée tout exprès, se détachait sans peine du corps qu’elle avait cessé d’animer ; mais, en y réfléchissant, je retrouve plus d’âme encore dans ce mystère sans fond de la vie, où nous voyons la conscience émerger de l’abîme, comme un rameau d’or prédestiné, et l’œuvre divine se poursuivre par un effort sans fin, où la personne de chacun de nous laissera une trace éternelle. Le triomphe de la science est en réalité le triomphe de l’idéalisme. Heureuse génération que la nôtre ! Combien de martyrs de la science ont voulu voir ces merveilles et n’en ont eu que l’incomplète divination ! Jouissons de ces connaissances que tant d’hommes illustres n’ont fait qu’entrevoir, et, quand l’horizon se charge de nuages passagers, quand nous serions tentés de médire de notre siècle, songeons que ces héros du passé, un Jordano Bruno, un Galilée, donneraient dix fois encore leur vie pour savoir le dixième de ce que nous savons, et qu’ils estimeraient de telles conquêtes trop peu achetées de leurs larmes, de leurs angoisses et de leur sang.

Et quant à la noblesse des caractères, comment reprocher à la science d’y porter atteinte, quand on voit les âmes qu’elle forme, ce désintéressement, ce dévouement absolu à l’œuvre, cet oubli de soi-même, qu’elle inspire et entretient ? Ici encore, nous n’avons rien à envier au passé. Aux saints, aux héros, aux grands hommes de tous les âges, nous comparerons sans crainte ces caractères scientifiques, attachés uniquement à la recherche de la vérité, indifférents à la fortune, souvent fiers de leur pauvreté, souriant des honneurs qu’on leur offre, aussi indifférents à la louange qu’au dénigrement, sûrs de la valeur de ce qu’ils font, et heureux, car ils ont la vérité. Grandes assurément sont les joies que donne une croyance assurée sur les choses divines ; mais le bonheur intime du savant les égale ; car il sent qu’il travaille à une œuvre d’éternité, et qu’il appartient à la phalange de ceux dont on peut dire : Opera eorum sequuntur illos.

Claude Bernard, Messieurs, fut de ceux-là. Sa vie, toute consacrée au vrai, est le modèle que nous pouvons opposer à ceux qui prétendent que, de notre temps, la source des grandes vertus est tarie. Il naquit au petit village de Saint-Julien, près Villefranche, dans une maison de vignerons, qui lui resta toujours chère, et où il passa, jusqu’aux derniers temps, ses moments les plus doux. « J’habite, écrivait-il, sur les coteaux du Beaujolais, qui font face à la Dombe. J’ai pour horizon les Alpes, dont j’aperçois les cimes blanches, quand le ciel est clair. En tout temps, je vois se dérouler à deux lieues devant moi les prairies de la vallée de la Saône. Sur les coteaux où je demeure, je suis noyé à la lettre dans des étendues sans bornes de vignes, qui donneraient au pays un aspect monotone, s’il n’était coupé par des vallées ombragées et par des ruisseaux qui descendent des montagnes vers la Saône. Ma maison, quoique située sur une hauteur, est comme un nid de verdure, grâce à un petit bois qui l’ombrage sur la droite et à un verger qui s’y appuie sur la gauche : haute rareté dans un pays où l’on défriche même les buissons pour planter de la vigne ! »

Bernard perdit son père de bonne heure ; dans ses premières années, comme au début de la vie de presque tous les grands hommes, se plaça l’amour d’une mère, qu’il adorait et dont il était adoré. Comme il apprenait bien à l’école, le curé le choisit pour enfant de chœur et lui fit commencer le latin. Il continua ses études au collège de Villefranche, tenu par des ecclésiastiques ; et, la situation de sa famille ne lui permettant pas les années de loisirs, il vint le plus tôt qu’il put à Lyon, où il trouva, chez un pharmacien du faubourg de Vaise, un emploi qui lui donnait la nourriture et le logement. Cette pharmacie desservait l’école vétérinaire située près de là, et c’était Bernard qui portait les médicaments aux bêtes malades. Déjà il jetait plus d’un regard curieux sur ce qu’il voyait, et il y avait dans « Monsieur Claude », comme l’appelait son patron, bien des choses qui étonnaient ce dernier. C’était surtout à propos de la thériaque qu’ils ne se comprenaient pas. Toutes les fois que Bernard apportait à l’apothicaire des produits gâtés : « Gardez cela pour la thériaque, lui répondait ce digne homme ; ce sera bon pour faire de la thériaque. » Telle fut l’origine première des doutes de notre confrère sur l’efficacité de l’art de guérir. Cette drogue infecte, fabriquée avec toutes les substances avariées de l’officine, quelle que fût leur nature, et qui guérissait tout de même, lui causait de profonds étonnements.

Il était jeune, et sa voie était encore obscure devant lui. Il essayait toute chose, eut un petit succès sur un théâtre de Lyon avec un vaudeville, dont il ne voulait jamais dire le titre, vint à Paris, ayant dans sa valise une tragédie en cinq actes et une lettre. Il tenait naturellement plus à la tragédie qu’à la lettre ; mais le fait est que la lettre valut pour lui mille fois plus que la tragédie. Elle était adressée à notre regretté confrère M. Saint-Marc Girardin. L’honnête homme que nous avons connu se montra bien dans cette circonstance. Il lut la tragédie, fut très-net et conseilla au jeune homme d’apprendre un métier pour vivre, quitte à faire ensuite de la poésie à ses heures. Claude Bernard suivit cette précieuse indication, et combien cela fut heureux, Messieurs ! Auteur dramatique, il eût ajouté quelques tragédies de plus au tas énorme de celles qui attendent à l’Odéon les réparations de la postérité ; il est douteux qu’il fût devenu votre confrère. Ainsi, en tournant le dos à la littérature, il prit le droit chemin qui devait le mener parmi vous. En réalité, sa vocation était scientifique. La médecine, qui est à la fois le plus honorable des états et la plus passionnante des sciences, fut l’occupation de son choix.

Les facilités qu’on a créées depuis aux abords des carrières scientifiques n’existaient point alors. La société humaine a été jusqu’ici ainsi faite que la recherche pure de la vérité ne rapporte rien à celui qui s’y livre. Le nombre de ceux qui s’intéressent à la vérité étant imperceptible, le savant vit, non de la science, mais des applications de la science ; or, de toutes les applications de la science, la plus indispensable a toujours été la médecine. Aux siècles barbares, la science n’en connut guère d’autre ; presque tous les savants du moyen âge, musulmans ou chrétiens, ont trouvé l’appui nécessaire à la vie en se disant médecins ; car l’homme le plus brutal et le plus fanatique, quand il est malade, veut être guéri. On peut dire que, si l’humanité s’était toujours bien portée, la science et la philosophie seraient vingt fois mortes de faim. Claude Bernard, déjà invinciblement attiré par les problèmes de la nature vivante, embrassa la profession qui se trouvait en quelque sorte à sa portée ; mais, des deux grandes parties de la médecine, l’art de guérir et la connaissance du sujet à guérir, la seconde eut toutes ses préférences. Disons-le, Bernard était aussi peu médecin que possible. Il était sceptique à l’égard de l’autel qu’il desservait. Le médecin, comme le magistrat, applique des règles qu’il sait n’être pas parfaites, et, de même que le meilleur magistrat fait souvent faire peu de progrès à la législation, de même le meilleur praticien n’est pas toujours un savant. Sa tâche est presque aussi difficile que celle de l’horloger à qui on demanderait de corriger les irrégularités d’une montre qu’il lui serait défendu d’ouvrir. Or, ce que cherchait Bernard, c’était le secret même des rouages intérieurs ; cette montre, il la brisait, l’ouvrait violemment, plutôt que d’admettre qu’il fût permis de la manier à l’aveugle et sans savoir clairement ce que l’on fait.

Il expia comme il convient sa supériorité et ses dons exceptionnels. La physiologie, quand il débuta, n’avait guère de place dans l’enseignement. Lors de la division des sections dans le sein de l’Académie des Sciences, en 1795, division qui, par un privilège singulier, est venue jusqu’à nos jours presque sans modifications, on ne conçut la science de la vie que sous le nom de médecine. Claude Bernard paya cher sa gloire d’être créateur. Il n’y avait pas de cadre pour lui. Le temps était plus favorable à une littérature souvent de médiocre aloi qu’à des recherches qui ne prêtaient pas à de jolies phrases. De son entre-sol de la cour du Commerce, Bernard lutta seul. Il y avait dans la vie pauvre, ardente, du quartier Latin d’alors, tant de foi, d’espérance, de loyale et généreuse fraternité. Nulle épreuve ne l’arrêta. Avec son ami le Dr Lasègue, il essaya, vers 1845, d’établir un laboratoire de physiologie. Cela se passait rue Saint-Jacques, près du Panthéon, avant que des trouées, désolantes pour ceux dont elles dérangent les souvenirs, eussent fait pénétrer l’air et le jour dans ces sombres ruelles qui n’avaient point changé depuis le XIVe siècle. Le laboratoire n’eut pas plus de cinq ou six élèves, et l’établissement ne fit jamais les frais du hangar qui l’abritait ni des lapins qu’on y sacrifiait. Mais Claude Bernard y conçut l’idée de ses expériences sur la corde du tympan, sur le suc gastrique. Il essaya les concours, et y échoua complètement ; il n’avait pas les qualités superficielles qui font réussir en des épreuves où c’est un défaut d’avoir des idées, et où l’on est perdu si un moment on se laisse aller à suivre sa propre pensée. Son air était gauche et embarrassé, et les brillants sujets qui croyaient se partager l’avenir ne lui prédisaient qu’une carrière médicale des plus modestes.

Quelqu’un qui ne s’y laissa point tromper, ce fut M. Magendie. Le sort, on serait tenté de dire une harmonie préétablie, avait attaché Claude Bernard au service de cet homme éminent, à l’Hôtel-Dieu. Jamais le hasard n’opéra un rapprochement plus judicieux. Bernard et Magendie étaient en quelque sorte créés pour se joindre, se compléter et se continuer. Si Magendie n’eût pas eu Bernard pour élève, sa gloire ne serait pas le quart de ce qu’elle est. Si Bernard n’eût pas trouvé la direction de Magendie, il est douteux qu’il eût pu surmonter les énormes difficultés matérielles que la fortune, par un jeu malin, semblait avoir semées devant lui, comme pour lui rendre méritoires les brillantes faveurs qu’elle lui réservait.

Chose singulière ! Le premier abord de l’homme qui devait être son initiateur à la vie scientifique lui fut désagréable, presque pénible. Magendie, avec ses rares qualités, était peu aimable. Son accueil rude déconcerta le jeune interne, et un moment Bernard méconnut la rare chance qui lui était échue. Magendie, lui, n’hésita pas longtemps. Au bout de quelques jours, sachant à peine le nom de son jeune élève, ayant remarqué ses yeux et sa main pendant une dissection : « Dites donc, lui cria-t-il d’un bout de la table à l’autre, je vous prends pour mon préparateur au Collège de France. » À partir de ce jour, la carrière de Claude Bernard était tracée. Il avait trouvé l’établissement qui seul pouvait convenir au développement de son génie.

Grâce, en effet, à la complète liberté dont jouit le professeur dans cette école unique, Magendie, suivant les traces de Laënnec, faisait sous le titre de « Médecine » un cours de recherches originales sur les phénomènes physiques de la vie. Magendie n’était pas l’idéal du médecin ; il était trop critique envers lui-même pour pratiquer un art qui consiste aussi souvent à consoler le malade qu’à le guérir. Mais c’était l’idéal du professeur au Collège de France, toujours cherchant le nouveau, ne visant en rien au cours complet, uniquement attentif à éveiller chez ses auditeurs l’esprit d’investigation. Comme le vrai professeur au Collège de France, il ne préparait pas son cours et donnait à ses élèves le spectacle de ses doutes, de ses perplexités. Bien différent de ceux qui prennent d’avance leurs précautions pour éviter l’embarras que leur causerait un entretien trop immédiat avec une réalité qui leur est peu familière, il interrogeait directement la nature, souvent sans savoir ce qu’elle répondrait. Quelquefois, quand il se hasardait à prédire le résultat, l’expérience disait juste le contraire. Magendie alors s’associait à l’hilarité de son auditoire. Il était enchanté ; car, si son système-, auquel il ne tenait pas, sortait ébréché de l’expérience, son scepticisme, auquel il tenait, en était confirmé. Avec ce caractère, il devait laisser à son préparateur une part considérable dans la direction du cours. Claude Bernard faisait l’expérience de chaque leçon avec sa prodigieuse habileté d’opérateur, et, à la troisième ou quatrième séance, Magendie sortait de la salle en disant du ton bourru qui lui était habituel : « Eh bien, tu es plus fort que moi. »

Ce que Magendie, en effet, avait voulu, prêché, désiré durant quarante ans, Claude Bernard le faisait. L’expérience en physiologie n’était assurément pas une chose absolument neuve. Descartes, dans les heures fécondes qu’il consacra à la science de la vie, en eut l’idée la plus claire. Harvey avait vérifié la circulation du sang sur les daims des parcs royaux, que lui livrait Charles Ier. Haller, Réaumur, Spallanzani avaient imaginé les moyens les plus ingénieux pour prendre la nature sur le fait. De graves objections s’élevaient pourtant contre l’application de la méthode expérimentale à la vie. Le grand Cuvier s’en fit l’interprète. La vie est une, disait-on ; l’attaquer dans sa simplicité est impossible ; attaquer chaque partie, la séparer de la masse, c’est la reporter dans l’ordre des substances inertes. On opposait trop la nature inorganique à la nature organisée. On se figurait que la vie résulte de forces à part, que les faits qui se passent dans l’être vivant sont assujettis à des lois toutes particulières, qu’un principe secret préside en chaque individu à la naissance, à la maladie, à la mort. Lavoisier et Laplace rompirent le charme et créèrent la physique animale en prouvant que la respiration est une combustion, source de la chaleur qui nous anime. Bichat secoua le joug de l’ancien vitalisme, sans pourtant réussir à s’en dégager complètement. Il restait un principe mystérieux, en vertu duquel les phénomènes vitaux, contrairement aux lois des corps bruts, semblaient n’être pas identiques dans des circonstances identiques. Voilà ce que Magendie nia tout à fait ; voilà ce que Claude Bernard réfuta par des expériences sans nombre. En s’appliquant à produire les faits mêmes de la vie, en s’ingéniant à les gêner, à les contrarier, il réussit à les soumettre à des lois précises. La physiologie ainsi conçue devint la sœur de la physique et de la chimie. Dans les corps vivants, comme dans les corps bruts, les lois sont immuables. Le mot d’exception est antiscientifique. Ce qu’on appelle exception est un phénomène dont une ou plusieurs conditions sont inconnues.

L’expérimentateur chez Claude Bernard était admirable, et jamais on ne fit parler la nature avec une si merveilleuse sagacité. Difficile envers lui-même, il était pour ses systèmes le pire des adversaires. Il critiquait ses propres idées aussi âprement que si elles eussent été celles d’un rival ; il s’acharnait à se démolir comme l’eût fait son pire ennemi. Aucune preuve ne lui paraissait solide que quand une contre-épreuve venait la confirmer. « Le grand principe expérimental, disait-il, est le doute, ce doute philosophique, qui laisse à l’esprit sa liberté et son initiative... Le raisonnement expérimental est précisément l’inverse du raisonnement scolastique. La scolastique veut toujours un point de départ fixe et indubitable, et, ne pouvant le trouver ni dans les choses extérieures ni dans la raison, elle l’emprunte à une source irrationnelle quelconque, telle qu’une révélation, une tradition, une autorité conventionnelle ou arbitraire... Le scolastique ou le systématique, ce qui est la même chose, ne doute jamais de son point de départ, auquel il veut tout ramener ; il a l’esprit orgueilleux et intolérant et n’accepte pas la contradiction... Au contraire, l’expérimentateur, qui doute toujours et qui ne croit posséder la certitude absolue sur rien, arrive à maîtriser les phénomènes qui l’entourent et à étendre sa puissance sur la nature. »

Le courage que Bernard montra dans ces luttes terribles contre un Protée qui semble vouloir défendre ses secrets fut quelque chose d’admirable. Ses ressources étaient chétives. Ces merveilleuses expériences, qui frappaient d’admiration l’Europe savante, se faisaient dans une sorte de cave humide, malsaine, où notre confrère contracta probablement le germe de la maladie qui l’enleva ; d’autres se faisaient à Alfort ou dans les abattoirs. Ces expériences sur des chevaux furieux, sur des êtres imprégnés de tous les virus, étaient quelquefois effroyables. Le docteur Rayer venait de découvrir que la plus terrible maladie du cheval se transmet à l’homme qui le soigne. Bernard voulut étudier la nature de ce mal hideux. Dans une convulsion suprême, le cheval lui déchire le dessus de la main, la couvre de sa bave. « Lavez-vous vite, lui dit Rayer, qui était à côté de lui. — Non, ne vous lavez pas, lui dit Magendie, vous hâteriez l’absorption du virus. » Il y eut une seconde d’hésitation. « Je me lave, dit Bernard, en mettant la main sous la fontaine, c’est plus propre. »

C’était un spectacle frappant de le voir dans son laboratoire, pensif, triste, absorbé, ne se permettant pas une distraction, pas un sourire. Il sentait qu’il faisait œuvre de prêtre, qu’il célébrait une sorte de sacrifice. Ses longs doigts plongés dans les plaies semblaient ceux de l’augure antique, poursuivant dans les entrailles des victimes de mystérieux secrets. « Le physiologiste n’est pas un homme du monde, disait-il ; c’est un savant, c’est un homme absorbé par une idée scientifique qu’il poursuit ; il n’entend plus les cris des animaux, il ne voit plus le sang qui coule, il ne voit que son idée et n’aperçoit que des organismes qui lui cachent des problèmes qu’il veut découvrir. De même le chirurgien n’est pas arrêté par les cris et les sanglots, parce qu’il ne voit que son idée et le but de son opération. De même encore l’anatomiste ne sent pas qu’il est dans un charnier horrible ; sous l’influence d’une idée scientifique, il poursuit avec délices un filet nerveux dans des chairs puantes et livides, qui seraient pour tout autre homme un objet de dégoût et d’horreur. »

La fécondité dans l’invention des moyens de recherche répondait chez notre confrère à la profondeur des intuitions. Ce fut un vrai coup de génie d’avoir su faire du poison son grand agent expérimentateur. Le poison, en effet, va où ni la main ni l’œil ne peuvent aller. Il atteint les éléments mêmes de l’organisme, s’introduit dans la circulation, devient un réactif d’une délicatesse extrême pour disséquer les éléments vitaux, désassocier les nerfs sans les lacérer, pénétrer les derniers mystères du système nerveux. C’est par le poison, ainsi qu’on l’a très-bien dit, que Bernard « installa son laboratoire au sein de l’économie animale ; il eut son réseau de communications instantanées, sa police secrète, si l’on peut s’exprimer ainsi, qui l’avertissait du trouble le plus furtif ». Miracle ! Il rendit la mort locale et passagère, locale par les empoisonnements partiels, passagère par les anesthésiques ; et de la sorte, au scalpel qui mutile la vie, au microscope qui en fausse les proportions, il substitua ce qu’on a très-bien appelé l’autopsie vivante, sans mutilation ni effusion de sang.

Ainsi se produisirent ces étonnants travaux sur la formation du sucre chez les animaux, sur le grand sympathique, sur les mouvements réflexes, sur la respiration des tissus. L’unité de la vie fut, de la part de Claude Bernard, l’objet des plus fines observations. À côté du système central il trouva en quelque sorte des autonomies provinciales, des circulations locales. Le cœur ne fut plus le point unique d’émission de vie. À côté de cette principale source de mouvement, Bernard trouva des réseaux de circulation capillaire ayant leur vie propre, leurs accidents, leurs maladies, leurs anémies, leurs congestions en dehors du grand courant de la circulation générale.

Comme tous les esprits complets, Claude Bernard a donné l’exemple et le précepte. En dehors de ses mémoires spéciaux, il a tracé à deux ou trois reprises son Discours de la méthode, le secret même de sa pensée philosophique. C’est à Saint-Julien, loin de son laboratoire, pendant ses mois de repos ou de maladie, qu’il écrivit ces belles pages, et notamment cette Introduction à la médecine expérimentale, qui le désigna surtout à votre choix. Il faut remonter à nos maîtres de Port-Royal pour trouver une telle sobriété, une telle absence de tout souci de briller, un tel dédain des procédés d’une littérature mesquine, cherchant à relever par de fades agréments l’austérité des sujets. Le style scientifique ne doit faire aucun sacrifice au désir de plaire. On n’égaye ces graves matières qu’en les rapetissant. C’est surtout quand il s’agit du style de la science que le grand principe évangélique « Qui perd son âme la sauve », est aussi un grand principe littéraire. C’est en pareil cas qu’il est vrai de dire : « Soyez aussi peu littérateur que possible, si vous voulez être bon littérateur. »

La parole de Claude Bernard était comme son style, pleine de bonne foi, d’honnêteté. « Il n’essayait jamais, dit un de ses meilleurs élèves, de produire aucun effet, et, se figurant les autres à son image, il pensait que la recherche de ce qui est devait suffire à les passionner, comme elle le passionnait lui-même. » À l’exemple de son maître Magendie, il faisait de son cours le spectacle vivant de ses recherches, initiant le public à tous ses secrets. On assistait au travail de sa pensée. La science ne veut pas être crue sur parole, et les cours du Collège de France ont pour objet de montrer aux yeux de tous ce qui d’ordinaire se cache dans les laboratoires. Bernard pensait en parlant ; il pouvait en résulter par moments un peu de confusion. L’objection lui venait, le troublait. Les pensées se heurtaient dans sa tête ; au milieu d’une exposition, l’idée d’une expérience lui traversait l’esprit, l’arrêtait court, le rendait distrait. Mais tout à coup la lumière éclatait. Dans sa conversation avec ses élèves, dans ces causeries où « il faisait, selon l’expression de l’un d’eux, l’apprentissage de son génie », il était admirable. « Il y a dans tout ce que j’écris, avouait-il, certaines parties qui ne sauraient être comprises par d’autres que moi. Ce sont des germes d’idées que je dépose en quelque sorte pour les reprendre plus tard. » Dans la conversation, ces flots de vérités pressées débordaient en toute liberté.

La plus haute philosophie, en effet, résultait de cet ensemble de faits constatés avec une inflexible rigueur. Comme loi suprême de l’univers, Bernard reconnaît ce qu’il appelle le déterminisme, c’est-à-dire la liaison inflexible des phénomènes, sans que nul agent extra-naturel intervienne jamais pour en modifier la résultante. Il n’y a pas, comme on l’avait dit souvent, deux ordres de sciences : celles-ci d’une précision absolue, celles-là toujours en crainte d’être dérangées par des forces mystérieuses. Cette grande inconnue de la physiologie, que Bichat admettait encore, cette puissance capricieuse qui, prétendait-on, résistait aux lois de la matière et faisait de la vie une sorte de miracle, Bernard l’exclut absolument. « L’obscure notion de cause, disait-il, doit être reportée à l’origine des choses ;... elle doit faire place dans la science à la notion du rapport et des conditions. Le déterminisme fixe les conditions des phénomènes ; il permet d’en prévoir l’apparition et de la provoquer... Il ne nous rend pas compte de la nature, il nous en rend maîtres... Que si, après cela, nous laissons notre esprit se bercer au vent de l’inconnu et dans les sublimités de l’ignorance, nous aurons au moins fait la part de ce qui est la science et de ce qui ne l’est pas. »

Être maître de la nature, tel est, en effet, selon Claude Bernard, le but de la science de la vie. Il pensait, après Descartes, que les espérances les plus hardies sont dans cet ordre permises, et que la science des êtres vivants doit apprendre à subjuguer la nature vivante, comme la physique et la chimie subjuguent la nature morte. « Dans toute manifestation vitale, écrivait-il, la nature répète une leçon qu’elle a apprise et dont elle se souvient plus ou moins bien. Pourrait-on apprendre à la nature une nouvelle leçon, et sa mémoire la reproduirait-elle dans une série d’êtres nouveaux ? Je le crois ; c’est toujours ma vieille idée de refaire des êtres, non par génération spontanée, comme on l’a rêvé, mais par la répétition de phénomènes organiques dont la nature garderait souvenir. »

Quoiqu’il parlât peu des questions sociales, il avait l’esprit trop grand pour n’y pas appliquer ses principes généraux. Ce caractère conquérant de la science, il l’admettait jusque dans le domaine des sciences de l’humanité. « Le rôle actif des sciences expérimentales, disait-il, ne s’arrête pas aux sciences physico-chimiques et physiologiques ; il s’étend jusqu’aux sciences historiques et morales. On a compris qu’il ne suffit pas de rester spectateur inerte du bien et du mal, en jouissant de l’un et en se préservant de l’autre. La morale moderne aspire à un rôle plus grand : elle recherche les causes, veut les expliquer et agir sur elles ; elle veut en un mot dominer le bien et le mal, faire naître l’un et le développer, lutter avec l’autre pour l’extirper et le détruire. »

Les récompenses vinrent lentement à cette grande carrière, qui, à vrai dire, pouvait s’en passer, car elle était à elle-même sa propre récompense. Notre confrère avait eu les rudes commencements de la vie du savant, il en eut les tardives douceurs. L’Académie des Sciences, la Sorbonne, le Collège de France, le Muséum tinrent à honneur de le posséder. Votre Compagnie mit le comble à ces faveurs en lui conférant le premier des titres auquel puisse aspirer l’homme voué aux travaux de l’esprit. Une volonté personnelle de l’empereur Napoléon III l’appela au Sénat. D’illustres et douces amitiés le consolèrent, des mains affectueuses furent de tous côtés attentives à lui diminuer les difficultés de la vie ; des élèves tels que Paul Bert, Armand Moreau, ses amis de la Société de biologie, recueillaient toutes ses paroles et l’assuraient que sa pensée était garantie contre la mort. Sa tête magistrale, toujours méditative, était devenue extrêmement belle à soixante ans. Il travaillait sans cesse et pourtant il ne savait pas ce que c’était que la fatigue, car il ne poursuivait jamais l’impossible ; il laissait la pensée venir, sans la solliciter. Sa sérénité était absolue ; il savait bien que l’emploi qu’il faisait de sa vie était le meilleur. Sa fête de tous les ans, les vendanges de Saint-Julien, suffisait pour réparer ses forces. « J’ai dans l’esprit des choses que je veux absolument finir, » écrivait-il en 1876. Une maladie grave, qu’il avait traversée victorieusement, semblait n’avoir fait que redoubler l’activité de son esprit. Entouré de sa famille scientifique, il s’avançait vers la vieillesse sans paraître en ressentir les atteintes. Les projets qu’il roulait dans son esprit étaient plus grands que ceux qu’il avait jusque-là réalisés.

Dans sa marche hardie vers les derniers secrets de la nature animée, il arrivait, en effet, aux confins de la vie, aux sources obscures de l’organisme. Peu à peu la différence entre la physiologie animale et la physiologie végétale s’évanouissait à ses yeux. Le germe de la vie, des deux côtés, lui paraissait le même. La plante, comme l’animal, est susceptible d’être anesthésiée. Même certains ferments peuvent être atteints par les agents insensibilisateurs, et, pour une moitié au moins de leur être, ils semblent s’endormir. Claude Bernard touchait ainsi au problème par excellence, au problème de la fermentation, impliquant la question même des origines de la cellule. Il y consacra toutes ses réflexions de l’été de 1877 ; il annonçait à ses disciples qu’il croyait avoir trouvé la voie pour arriver à ce sanctuaire impénétrable. O fragilité de la vie humaine ! O jeu cruel d’une nature marâtre qui se plaît à briser stupidement une tête formée par quarante ans de méditations et où va éclore la plus belle combinaison du génie ! La terrible maladie à laquelle il avait échappé dix ans auparavant n’avait pardonné qu’en apparence. Elle revint plus implacable que jamais. Il mourut sans avoir pu réaliser son rêve ; il mourut triste, pensant à l’idée destinée à périr avec lui, et disant : « C’eût été pourtant bien beau de finir par là ! »

Il a fait assez pour sa gloire, et sa trace sera éternelle. Sa religion était la vérité ; il n’eut jamais ni mécompte ni faiblesse ; car il ne douta pas un moment de la science ; or la science donne le bonheur, quand on se contente d’elle et qu’on.ne lui demande que ce qu’elle peut donner. Si elle ne répond pas à toutes les questions que lui adressent les avides ou les empressés, au moins ce qu’elle apprend est sûr. Pour être acquis par des oscillations successives, les résultats de la science moderne n’en sont pas moins précieux. Ces délicates approximations, cet affinage successif qui nous amène à des manières de voir de plus en plus rapprochées de la vérité, sont la condition même de l’esprit humain. La science donnait ainsi à notre confrère tout le calme que procure la certitude d’avoir raison. Il ne portait envie à personne ; il croyait avoir la meilleure part.

Claude Bernard n’ignorait pas que les problèmes qu’il soulevait touchaient aux plus graves questions de l’ordre philosophique. Il n’en fut jamais ému. Il ne croyait pas qu’il fût permis au savant de s’occuper des conséquences qui peuvent sortir de ses recherches. Il était, à cet égard, d’une impassibilité absolue. Peu lui importait qu’on l’appelât de tel ou tel nom de secte. Il n’était d’aucune secte. Il cherchait la vérité, et voilà tout. Les héros de l’esprit humain sont ceux qui savent ainsi ignorer pour que l’avenir sache. Tous n’ont pas ce courage. Il est difficile de s’abstenir dans des questions où c’est éminemment de nous qu’il s’agit. Ignorer si l’univers a un but idéal, ou si, fils du hasard, il va au hasard, sans qu’une conscience aimante le suive dans son évolution ; ignorer si, à l’origine, quelque chose de divin fut mis en lui, et si, à la fin, un sort plus consolant lui est réservé ; ignorer si nos instincts profonds de justice sont un leurre ou la dictée impérieuse d’une vérité qui s’impose, on est excusable de ne pas s’y résigner. Il est des sujets où l’on aime mieux déraisonner que de se taire. Vérité ou chimère, le rêve de l’infini nous attirera toujours, et, comme ce héros d’un conte celtique qui, ayant vu en songe une beauté ravissante, court le monde toute sa vie pour la trouver, l’homme qui un moment s’est assis pour réfléchir sur sa destinée porte au cœur une flèche qu’il ne s’arrache plus. En pareille matière, la puérilité même des efforts est touchante. Il ne faut pas demander de logique aux solutions que l’homme imagine pour se rendre quelque raison du sort étrange qui lui est échu. Invinciblement porté à croire à la justice et jeté dans un monde qui est et sera toujours l’injustice même, ayant besoin de l’éternité pour ses revendications et brusquement arrêté par le fossé de la mort, que voulez-vous qu’il fasse ? Il se révolte contre le cercueil, il rend la chair à l’os décharné, la vie au cerveau plein de pourriture, la lumière à l’œil éteint ; il imagine des sophismes dont il rirait chez un enfant, pour ne pas avouer que la nature a pu pousser l’ironie jusqu’à lui imposer le fardeau du devoir sans compensation.

Si parfois, à ces confins extrêmes où toutes nos pensées tournent à l’éblouissement, la philosophie de notre illustre confrère parut un peu contradictoire, ce n’est pas moi qui l’en blâmerai. J’estime qu’il est des sujets sur les quels il est bon de se contredire ; car aucune vue partielle n’en saurait épuiser les intimes replis. Les vérités de la conscience sont des phares à feux changeants. À certaines heures, ces vérités paraissent évidentes ; puis, on s’étonne qu’on ait pu y croire. Ce sont choses que l’on aperçoit furtivement, et qu’on ne peut plus revoir telles qu’on les a entrevues. Vingt fois l’humanité les a niées et affirmées ; vingt fois l’humanité les niera et les affirmera encore. La vraie religion de l’âme est-elle ébranlée par ces alternatives ? Non, Messieurs. Elle réside dans un empyrée où le mouvement de tous les autres cercles ne sauraient l’atteindre. Le monde roulera durant l’éternité sans que la sphère du réel et la sphère de l’idéal se touchent. La plus grande faute que puissent commettre la philosophie et la religion est de faire dépendre leurs vérités de telle ou telle théorie scientifique et historique ; car les théories passent, et les vérités nécessaires doivent rester. L’objet de la religion n’est pas de nous donner des leçons de physiologie, de géologie, de chronologie ; qu’elle n’affirme rien en ces matières, et elle ne sera pas blessée. Qu’elle n’attache pas son sort à ce qui peut périr. La réalité dépasse toujours les idées qu’on s’en fait ; toutes nos imaginations sont basses auprès de ce qui est. De même que la science, en détruisant un monde matériel enfantin, nous a rendu un monde mille fois plus beau, de même la disparition de quelques rêves ne fera que donner au monde idéal plus de sublimité. Pour moi, j’ai une confiance invincible en la bonté de la pensée qui a fait l’univers. « Enfants ! disons-nous des hommes antiques, enfants ! qui n’avaient point d’yeux pour voir ce que nous voyons ! » — « Enfants ! dira de nous l’avenir, qui pleuraient sur la ruine d’un millenium chimérique et ne voyaient pas le soleil de la vérité nouvelle blanchir déjà derrière eux les sommets de l’horizon ! »

Vous résolvez ces graves problèmes, Messieurs, par la tolérance, par votre bonne confraternité, en vous aimant, en vous estimant. Vous ne vous effrayez pas de luttes qui sont aussi vieilles que le monde, de contradictions qui dureront autant que l’esprit humain, d’erreurs même qui sont la condition de la vérité. Votre philosophie est indulgente et optimiste, parce qu’elle est fondée sur une connaissance étendue de l’esprit humain. Ce désintéressement qu’un observateur superficiel se croit en droit de nier dans les choses humaines, vous savez le voir, vous à qui l’étude de la société apprend la justice et la modération. Ne trouvez-vous pas, Messieurs, que les hommes sont trop sévères les uns pour les autres ? On s’anathématise, on se traite de haut en bas, quand souvent, de part et d’autre, c’est l’honnêteté qui insulte l’honnêteté, la vérité qui injurie la vérité. Oh ! le bon être que l’homme ! Comme il a travaillé ! Quelle somme de dévouement il a dépensée pour le vrai, pour le bien ! Et quand on pense que, ces sacrifices à un Dieu inconnu, il les a faits, pauvre, souffrant, jeté sur la terre comme un orphelin, à peine sûr du lendemain, ah ! je ne peux souffrir qu’on l’insulte, cet être de douleur, qui, entre le gémissement de la naissance et celui de l’agonie, trouve moyen de créer l’art, la science, la vertu. Qu’importent les malentendus aux yeux de la vérité éternelle ? Le culte le plus pur de la Divinité se cache parfois derrière d’apparentes négations ; le plus parfait idéaliste est souvent celui qui croit devoir à une certaine franchise de se dire matérialiste. Combien de saints sous l’apparence de l’irréligion ! Combien, parmi ceux qui nient l’immortalité, mériteraient une belle déception ! La raison triomphe de la mort, et travailler pour elle, c’est travailler pour l’éternité. Toute perdue qu’elle est dans le chœur des millions d’êtres qui chantent l’hymne éternel, chaque voix a compté et comptera toujours. La joie, la gaieté que donnent ces pensées est un signe qu’elles ne sont pas vaines. Elles ont l’éclat ; elles rajeunissent ; elles prêtent au talent, le créent et l’appellent. Vous qui jugez des choses par l’étincelle qui en jaillit, par le talent qu’elles provoquent, vous avez après tout un bon moyen de discernement. Le talent qu’inspire une doctrine est, à beaucoup d’égards, la mesure de sa vérité. Ce n’est pas sans raison qu’on ne peut être grand poète qu’avec l’idéalisme, grand artiste qu’avec la foi et l’amour, bon écrivain qu’avec la logique, éloquent orateur qu’avec la passion du bien et de la liberté.