HOMMAGE
À
Mme Florence DELAY
PRONONCÉ PAR
M. Amin MAALOUF
Secrétaire perpétuel
en l’église Saint-Germain-des-Prés
le lundi 7 juillet 2025
_________
C’est en l’an 2000, à la mi-décembre, que Florence Delay fut élue à l’Académie française. Michel Déon avait écrit alors à un ami, qui vient de publier leur correspondance : « C’est la grâce, la poésie, un certain mystère qui entrent à l’Académie. »
« Grâce » est le mot qui vient spontanément à l’esprit, s’agissant d’elle. C’était déjà la grâce quand, à vingt ans, elle incarnait Jeanne d’Arc ; et ce fut la grâce jusqu’au bout.
Je l’ai vue pour la dernière fois le 20 juin. Je me suis rendu, à sa demande, à l’institution où elle avait été admise. Je m’attendais à la trouver étendue, entre les draps blancs et les tubes en plastique, mais elle ne l’était pas. Dès que je suis entré dans sa chambre, elle m’a lancé, d’un ton enjoué : « On va se promener ? » Et nous sommes allés déambuler dans le jardin, puis nous nous sommes assis à l’ombre d’un vieux platane. « Je sais qu’on n’est pas censé sortir vivant de cette maison, me dit-elle, mais c’est déjà arrivé et je n’exclus rien. »
Si son sourire espiègle laissait entendre qu’elle n’y croyait pas vraiment, le visiteur que j’étais avait envie d’y croire, envie de la voir ressusciter, comme elle l’avait fait quarante jours plus tôt, lors de la remise de l’épée d’académicien à notre confrère Raphaël Gaillard. Elle avait promis de venir, mais sa santé s’était détériorée, et elle avait été, entre-temps, profondément affectée par la disparition de Maurice, son mari, son meilleur ami, dont elle aurait voulu tenir la main.
Jusqu’au dernier moment, on a cru qu’elle allait renoncer, mais elle a voulu honorer sa promesse. Elle est venue à la cérémonie, et elle paraissait transfigurée.
J’étais assis à côté d’elle, m’apprêtant à la secourir si elle défaillait, à ramasser ses papiers si elle les laissait tomber, et à lire son texte si elle perdait son souffle. Mais elle n’a pas eu besoin de moi. Elle s’est exprimée d’une voix claire, avec aisance, s’écartant fréquemment de son texte, maniant l’humour et multipliant les clins d’œil. Comme ressuscitée. Sans doute savait-elle que l’exercice allait l’épuiser, mais elle s’y est prêtée jusqu’au bout, avec le sourire.
Oui, avec ce même sourire, qui fut, tout au long de sa vie, son empreinte, sa lumière, sa signature. Le délicat, l’inoubliable, l’immortel sourire de Florence.