HOMMAGE
À
M. Angelo RINALDI
PRONONCÉ PAR
M. Jean-Christophe RUFIN
en l’église Saint-Germain-des-Prés
le vendredi 16 mai 2025
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Angelo,
Je n’ai partagé avec toi que des moments d’amitié.
Quand je t’ai rencontré, tu étais déjà entré dans l’âge. Je t’ai vu souffrir et t’affaiblir. Peut-être parce que je n’ai connu de toi que ces ultimes années de ta vie, il m’est impossible de t’imaginer autrement que bon, drôle, fraternel, d’une sensibilité qui te faisait réagir à la moindre laideur morale par des cris d’indignation. Je les entends encore, ces cris, ces révoltes bruyantes contre la bêtise, l’égoïsme, l’injustice. Tu ne calculais jamais. Tu étais entier, dans tes affections comme dans tes détestations.
Tu as été longtemps heureux à l’Académie française. Tu avais un attachement profond pour Hélène Carrère d’Encausse et elle te le rendait bien. Elle s’enquérait de ton moral, tenait la Compagnie au courant de tes accidents de santé. Ta visite au quai Conti chaque jeudi au bras d’Habiba était pour toi un moment rare de pur bonheur.
Certes, avec le temps, tu t’es senti moins à l’aise dans cette enceinte. Ta nature n’était pas à la tolérance des ambitieux et des calomniateurs. Mais tes amitiés étaient à la mesure de tes antipathies. Ceux que tu as aimés, et ils étaient nombreux, savaient qu’ils pouvaient compter sur toi et que, pour eux, tu prendrais tous les risques.
Je t’ai vu chez toi, peu avant la fin. Tu avais refusé de rester à l’hôpital et tu étais revenu chez toi pour un dernier séjour dans le décor que tu aimais. Tu semblais tout petit dans ton énorme lit-bateau en bois, encombré de gros oreillers. Le médecin que je suis voyait déjà tout : les complications inévitables de l’alitement, l’issue fatale qui approchait. En même temps, sur ton visage se lisait cette vérité que la mort révèle et qui semble plonger le mourant dans un bain de jouvence. Les rides s’effacent, les traits se détendent, comme si celui qui s’éloigne à jamais voulait présenter à ceux qui lui survivront l’image de l’enfant qu’il s’est efforcé de protéger sa vie durant contre les corruptions de l’existence.
Angelo, tu as pu être craint, jugé, raillé, admiré, jalousé, trahi, peu importe. Tout cela est oublié. Désormais, ce qui compte, c’est que tu as aimé et que nous t’avons aimé.