Funérailles de M. Victor Hugo

Le 1 juin 1885

Émile AUGIER

FUNÉRAILLES DE M. VICTOR HUGO

Le lundi 1er juin 1885.

DISCOURS

DE

M. ÉMILE AUGIER

MEMBRE DE L’ACADÉMIE.

 

MESSIEURS,

Le grand poète que la France vient de perdre voulait bien m’accorder une place dans son amitié ; c’est à quoi j’ai dû l’honneur d’être choisi par l’Académie française pour apporter ici l’expression d’une douleur partagée par l’Institut tout entier.

Mais qu’est-ce que notre deuil de famille au milieu du deuil national qui fait cortège à notre illustre confrère ? Toute la France est là, cette France dont Victor Hugo restait, après nos désastres, le plus légitime orgueil et la plus fière consolation, car, il l’a dit lui-même,

Rien de ces noirs débris ne sort — que toi, pensée, Poésie immortelle à tous les vents bercée.

et la sienne est immortelle en effet !

Faut-il vous parler de l’éclat incomparable de son œuvre, de cette imagination merveilleuse, de cette magnificence de style, de cette hauteur de pensée qui font de lui un maître sans pareil ? Ses droits à l’admiration des siècles sont proclamés plus éloquemment que je ne saurais le faire par cette cérémonie sans précédent, par cette affluence de populations accourues des quatre points cardinaux à ce pèlerinage du génie.

Grand et salutaire spectacle, Messieurs ! Il est juste, il est beau qu’une patrie rende en honneurs à ces fils ce qu’elle reçoit d’eux en illustration.

Au souverain poète, la France rend aujourd’hui les honneurs souverains. Elle dresse son catafalque sous cet arc de triomphe qu’il a chanté et sous lequel jusqu’ici elle n’avait encore fait passer qu’un triomphateur, celui qu’elle a entre tous surnommé le Grand.

Elle n’est pas prodigue de ce beau surnom, elle en fait presque l’apanage exclusif des conquérants. Il n’y avait qu’un poète couronné par elle de cette auréole : il y en aura deux désormais, et comme on dit le Grand Corneille, on dira le Grand Hugo.

Il y a dans la plus haute renommée une partie caduque dont elle se dégage par la mort. Il semble alors qu’elle s’élance avec l’âme du mourant, secouant aussi une sorte de dépouille mortelle pour planer radieuse au-dessus de la dispute humaine.

La renommée ce jour-là s’appelle la Gloire, et la postérité commence.

Elle a commencé pour Victor Hugo.

Ce n’est pas à des funérailles que nous assistons, c’est à un sacre, et on est tenté d’appliquer au poète ces beaux vers qu’il adressait à son glorieux prédécesseur sous l’arche triomphale :

Maître, en ce moment-là vous aurez pour royaume
Tous les fronts, tous les cœurs qui battront sous le ciel ;
Les nations feront asseoir votre fantôme
Au trône universel.

Les nuages auront passé dans votre gloire ;
Rien ne troublera plus son rayonnement pur ;
Elle se posera sur toute notre histoire

Comme un dôme d’azur !