Discours de réception d’Antoine Jay

Le 19 juin 1832

Antoine JAY

Réception de M. Antoine Jay

 

M. Jay ayant été élu par l’Académie Française à la place vacante par la mort de M. l’abbé de Montesquiou, y est venu prendre séance le mardi 19 juin 1832, et a prononcé le discours qui suit :

    

Messieurs,

L’éloge des membres de l’Académie que la mort fait disparaître de ses rangs, est, en général, dans les souvenirs de leur vie littéraire. Un jugement éclairé des ouvrages qui ont fondé leur renommée, la juste appréciation de l’influence qu’ils ont pu exercer sur la littérature et sur la société ; un hommage rendu à leurs qualités personnelles, à leurs vertus privées, suffisent à l’accomplissement de ce devoir. Vous n’éprouvez alors que des émotions sans amertume ; l’attente publique elle-même est satisfaite. L’estime pour le talent, l’admiration pour le génie qui n’excite plus de rivalité, ne trouvent dans le monde que des approbateurs. Si l’envie, que rien ne désarme, ose encore élever la voix, ses dernières clameurs n’ont plus de retentissement, elles se perdent dans l’expression solennelle de l’opinion, éclairée par la justice, qui prépare et annonce les arrêts souverains de l’avenir.

Je regrette de ne pouvoir offrir à votre attention une vie consacrée aux paisibles études, aux veilles laborieuses, aux inspirations de l’homme de lettres. C’est sur une scène enflammée par les passions politiques, au début d’une révolution, saluée d’abord avec enthousiasme, bientôt enveloppée d’orages, que M. l’abbé de Montesquiou se montre pour la première fois à nos regards, témoin et acteur dans ces grands débats, dont quarante années de vicissitudes, de catastrophes inouïes, d’événements prodigieux ont à peine affaibli les profonds souvenirs. Jeune encore, il avait obtenu du clergé de France une marque d’estime qui n’était pas légèrement accordée. Les importantes fonctions d’agent général de cet ordre, si influent dans l’État, lui furent confiées : garantie certaine de mérite personnel, de connaissance des affaires et de capacité. Aussi la réunion de tous les suffrages fit-elle, de sa nomination aux états-généraux, une sorte de triomphe. Il reçut, avec une satisfaction imprévoyante, ce redoutable mandat dont l’exercice devait être accompagné de tant d’agitations et de périls. Mais les symptômes qui annonçaient les prochaines convulsions de la société, se confondaient encore avec le mouvement général des esprits vers un état de choses plus conforme aux opinions, aux mœurs nouvelles, à l’espoir de la France.

Bientôt, s’éleva la tribune politique, où allaient se débattre, comme sur un champ de bataille, les bonnes et les mauvaises passions.

Les Français accueillirent avec transport un genre nouveau d’éloquence dont ils n’avaient connu jusque-là ni les séductions, ni la gloire. Ces luttes solennelles et dramatiques, où la parole, armée de la puissance du génie, soulève ou apaise les flots populaires, excitèrent la surprise et l’admiration. Nulle influence ne pouvait balancer ce nouveau pouvoir que la révolution venait de créer pour la défense, l’agression et la conquête. On a dit que l’opinion était la reine du monde. La tribune fut le trône de cette reine impérieuse, dont les erreurs mêmes sont des lois, fortes comme la nécessité, et qui, selon l’impulsion qu’elle reçoit, est pour les empires une source de calamités ou de bienfaits. Les noms des principaux orateurs de cette assemblée constituante, qui, tenant son nouveau mandat de la révolution, était, par cela même et à son insu, plus habile à détruire qu’à édifier, appartiennent à l’histoire. Ils ont pris dans l’opinion le rang que chacun d’eux a mérité par le patriotisme et le talent. Je ne rappellerai ici que M. l’abbé de Montesquiou, dont l’éloquence douce et persuasive obtint plus d’une fois le suffrage de tous les partis.

Destiné par le privilège de la naissance, et plus encore par son mérite, aux hautes dignités de l’Église, il n’en comprenait pas moins la nécessité des réformes généralement réclamées ; il se sépara de cette partie du clergé, hostile aux prétentions des députés du tiers-état, qui, en se déclarant assemblée constituante, avaient absorbé tous les pouvoirs, excepté celui de l’anarchie.

Dans l’âge de la candeur, M. l’abbé de Montesquiou croyait au désintéressement et au patriotisme des hommes de parti. Il en donna la preuve lorsqu’il fut question de prêter le premier serment de la révolution : serment dont la sainteté devait être tant de fois profanée ! Après avoir prononcé la formule sacramentelle, il ajouta ces mots : « Je promets de plus de donner l’exemple, et de concourir, autant qu’il sera en moi, à éteindre tout sentiment de division, s’il était vrai qu’il en existât encore dans l’assemblée. »

Ces paroles furent applaudies, comme si elles avaient exprimé un sentiment unanime. Les hommes réunis ne résistent guère aux élans généreux : c’est un hommage presque irrésistible à ce qu’il y a de plus noble dans le cœur humain ; mais les intérêts et les passions reprennent bientôt leur empire et n’ont besoin d’aucun serment pour se faire obéir.

M. l’abbé de Montesquiou avait obtenu et mérité une faveur particulière. On l’écoutait avec intérêt, parce qu’on était convaincu de la sincérité de ses opinions. Élevé deux fois aux fonctions de la présidence, il s’en acquitta avec une intelligence et une impartialité qui lui valurent, par une flatteuse exception, les remercîments de l’assemblée. On le comptait au nombre des ecclésiastiques qui n’étaient ni tout-à-fait hommes d’église, ni entièrement hommes du monde, et qui participaient des deux natures : hommes du siècle par le langage, l’urbanité, l’indépendance de la pensée, la liberté du jugement ; hommes d’église par la communauté d’intérêts, l’esprit de corps, la jouissance de riches dotations en réalité ou en perspective. Ces ecclésiastiques auraient volontiers transigé avec la révolution ; ils ne s’effrayaient ni des limites qu’on voulait prescrire au pouvoir du roi et de ses ministres, ni des garanties accordées à la liberté, ni de l’égalité en matière d’impôt, ni même de la tolérance religieuse : leur patriotisme était renfermé dans ces limites. Ils n’adhérèrent point à la déclaration des autres membres du clergé qui protestèrent contre la réunion des ordres en assemblée constituante ; ils n’élevèrent aucune difficulté sur la puissance et la légalité des actes de cette même assemblée. Mais lorsque le temporel de l’Église fut compromis, lorsque la révolution étendit la main pour saisir cette riche proie si ardemment convoitée, la désunion cessa comme par enchantement ; le clergé tout entier défendit avec chaleur ses dîmes et ses propriétés territoriales. M. l’abbé Syeyes lui même, plus avancé que ses collègues sans les voies philosophiques, ne put retenir son indignation ; et il s’écria, dans l’amertume de son cœur : Ils veulent être libres, et ils ne savent pas être justes !

M. l’abbé de Montesquiou épuisa aussi, mais en vain, pour éloigner le fatal moment, toutes les ressources de son éloquence. La révolution était pressée ; il fallait rassurer les créanciers de l’État, remplacer les revenus publics taris dans leurs sources, et faire disparaître une influence suspecte au parti populaire. Un simple décret suffit pour anéantir l’œuvre laborieuse des, siècles, pour jeter dans la circulation d’immenses domaines, depuis si long-temps frappés d’immobilité, et pour multiplier, ainsi les intérêts qui devaient un jour protéger la révolution contre les attaques de ses plus ardents ennemis. Ce fut inutilement que les défenseurs du clergé invoquèrent l’intérêt de la religion. Les croyances religieuses avaient perdu leur ancien pouvoir. L’ordre de la noblesse assista, avec assez d’indifférence, à cette prise de possession nationale. Si l’aristocratie n’eut été frappée elle-même dans ses préjugés, ses honneurs et ses plus chers intérêts, elle se serait aisément consolée des afflictions et des pertes du clergé. Il n’y eut des deux parts ni sympathie, ni résignation.

Je dois faire remarquer ici que M. l’abbé de Montesquieu se porta constamment comme médiateur entre les partis déchaînés. Si nous jugeons de ses principes par la conduite politique qu’il suivit à cette époque, nous verrons en lui un homme qui aurait voulu, en conservant l’ancienne hiérarchie sociale, fonder le nouveau gouvernement sur la toute puissance de la loi. Ses discours écrits ou improvisés dans un langage d’une correction remarquable, d’un goût pur, et d’une gracieuse simplicité annoncent un esprit modéré, et un désir, malheureusement impuissant, de concilier des intérêts désormais inconciliables. Le décret qui supprima les vœux monastiques et les ordres religieux fut rédigé sur sa proposition. Il obtint encore des applaudissements ; ce furent les derniers. Il ne parut depuis que rarement à la tribune, et se trouva bientôt si fort en arrière des opinions dominantes qu’à peine parvenait-il à se faire écouter. L’éloquence de la tribune avait pris un caractère d’exaltation qui faisait présager de sinistres événements. Toute espérance de réconciliation était perdue. Plusieurs députés qui, dans l’origine, avaient exercé quelque influence, abandonnèrent leur poste. M. l’abbé de Montesquiou ne suivit pas cet exemple ; mais il se condamna au silence, regrettant sans doute des illusions qui, dans leur fuite, emportaient arec elles tout espoir de paix pour la société, de sûreté pour les citoyens. Proscrit sous la république, frappé d’un arrêt de mort, il trouva chez l’étranger un asile que lui refusait sa patrie.

Si je vous ai entretenus des premières années de la révolution de 1789, c’est que là seulement je pouvais apprécier le caractère, les principes et les éminentes facultés de M. l’abbé de Montesquiou. Je ne veux point m’arrêter sur ces époques de terreur ou de gloire, je craindrais d’attrister vos esprits par de funestes souvenirs. Mais je ne saurais oublier un incident qui fait partie de votre propre histoire.

Au nombre des institutions que renversa le souffle populaire, on remarqua la chute de l’Académie française, qui seule aurait pu se croire à l’abri de la destruction. Depuis près d’un demi-siècle elle avait été pénétrée par cet esprit d’examen et de critique qui s’exerçait sur les plus hauts sujets de politique et de morale. La littérature des passions, quelque abondante quelle soit, paraissait épuisée ; les jeux frivoles de l’esprit remplaçaient les inspirations du génie. Tout annonçait une décadence complète, lorsque l’Académie abandonnant les lieux communs de l’école, et la stérile faconde des rhéteurs, se jeta dans le mouvement de la société. Ce fut l’époque de l’alliance, désormais indissoluble, entre la littérature, la philosophie, les sciences et les arts. L’Académie devint le foyer des doctrines philosophiques ; elle contribua puissamment à les mettre en vogue, et prépara ainsi le moment de leur triomphe.

Une considération si puissante ne put désarmer la sévérité des ministres de la révolution. Il leur semblait que l’égalité était blessée par cette réunion d’hommes voués à la culture des lettres. Mais l’aristocratie du talent était la seule qui ne pût être abattue. Il faudrait pour accomplir un tel dessein, parvenir au nivellement des esprits, et à l’égale répartition des richesses de l’intelligence. La force des révolutions ne va pas jusque-là ; aussi, lorsque la nation revint à des idées positives et à un système régulier de gouvernement, les législateurs reconnurent l’utilité de ces sociétés savantes et littéraires, qui conservent le dépôt des connaissances humaines, recueillent les découvertes utiles, les perfectionnements de la pensée, les chefs-d’œuvre du génie, et en admettant dans leur sein les savants, les hommes de lettres, les artistes distingués par d’honorables succès, représentent la plus noble et la plus précieuse des récompenses à leur émulation.

L’établissement de l’Institut national fut l’exécution d’une belle et grande idée. La littérature, la philosophie, les sciences, la théorie des arts, n’ayant plus aujourd’hui qu’un seul but, les progrès de l’esprit humain et le charme de la société, ne pourraient se séparer sans s’affaiblir ; ils se prêtent de mutuels secours.

C’est à la littérature que les sciences et la philosophie doivent une faveur populaire, dont l’éclat rejaillit sur ceux qui les cultivent avec succès. L’Institut, dans sa première organisation, comptait une classe de plus, celle des sciences morales et politiques ; cette classe fût supprimée sous le consulat.

Napoléon, qui concentrait en lui tous les pouvoirs de la république, avait puisé, dans la discipline militaire et dans les habitudes du commandement, une aversion prononcée contre les discussions politiques. Il avait une prédilection marquée pour les savants qui travaillent sur la nature inerte ou vivante, et ajoutent de nouvelles découvertes à celles qui ont illustré les Descartes, les Newton, les Linné. Il aimait aussi à encourager les artistes de tous les genres, dont les chef-d’œuvres excitaient l’admiration de l’Europe. En littérature, la poésie lyrique et dramatique lui inspirèrent seules quelque intérêt ; mais il se serait passé volontiers des écrivains raisonneurs qui s’étaient formés à l’école de Voltaire, de Montesquieu, de Condillac. Il les nommait des idéologues, et ce terme était dans sa bouche une expression de dédain.

Alors commença, contre la philosophie et la littérature du XVIIIe siècle, cette agression passionnée qui avait les formes âpres et le langage amer d’une réaction de parti. La renommée et l’influence de Voltaire, le moins idéologue des écrivains, importunaient surtout le dictateur, qui a laissé dans ses souvenirs, si puissants d’intérêt, les traces de cette antipathie ; elle était connue, et encourageait les ennemis des grands écrivains dont les ouvrages ont préparé l’émancipation des peuples, relevé la dignité de l’homme, et flétri la fausse gloire des conquêtes. C’était chaque jour une nouvelle attaque. On aurait pu craindre, d’après ces efforts redoublés sur l’opinion, que la mémoire de tant d’hommes illustres ne fût condamnée à l’oubli. Mais comment réussir dans une entreprise aussi insensée ? quelle puissance pourrait se flatter d’enlever au génie ses titres à une éternelle durée ?

Et ici on doit rendre justice à l’Académie : loin de s’associer aux détracteurs des hommes de génie du dernier siècle, elle employa tous ses moyens d’influence pour honorer leur mémoire, et justifier la nation et le gouvernement lui-même du reproche d’ingratitude et de barbarie. C’était la seule opposition qui fût alors possible. Cette opposition n’a jamais manqué à la gloire nationale lorsque l’imprudence du pouvoir l’a menacée. La culture des lettres n’est plus compatible avec l’esprit de servitude.

Un événement imprévu vint donner tout à coup une nouvelle secousse à la société. L’empire de Napoléon s’appuyait sur les merveilleuses ressources de son génie, sur la puissance si long-temps irrésistible de ses armes ; car la liberté absente lui avait enlevé son plus énergique soutien. Ces ressources une fois épuisées, cette puissance abattue, l’empire s’écroula ; mais les efforts réunis des rois et des peuples suffirent à peine à cette grande destruction. Napoléon, à la tête d’une armée décimée par la victoire, força la destinée à hésiter pendant trois mois entre lui et l’Europe conjurée ; il ne posa le glaive que pour prévenir le fléau de la guerre civile, qu’il avait éteinte, et qu’il n’a jamais voulu rallumer.

La nation, surprise dans un état d’accablement et de lassitude, causé par ses triomphes autant que par ses revers, vit reparaître, sous les auspices de l’Europe en armes, une famille royale généralement oubliée, et des couleurs qu’elle avait rencontrées dans les rangs de ses ennemis. Elle allait assister au spectacle, toujours fécond en leçons instructives, d’une restauration. Celle-ci chercha d’abord à vaincre les répugnances, à rassurer les esprits, en faisant entendre des paroles de réconciliation et de paix. On se rappelait que le chef de cette famille long-temps proscrite avait manifesté, aux premières époques de la révolution, des sentiments de patriotisme, et avoué le besoin d’une réforme dans l’État ; on espéra qu’appelé fortuitement au trône il ne démentirait ni ses sentiments, ni ses principes. Cette espérance ne fut point trompée. Louis XVIII jugea sainement sa position. Il eut alors la force de résister aux exigences de ces vieux courtisans, de ces hommes des anciens jours, qui ne concevaient d’autre système de gouvernement que celui de la monarchie absolue, et qui, étant restés immobiles au milieu des progrès de la société, s’indignaient d’entendre parler encore de liberté et de constitution.

D’autres conseillers plus prudents et plus habiles furent consultés. On n’a d’abord connu qu’imparfaitement les noms des hommes qui remportèrent cette victoire sur les préjugés et l’ignorance ; nous savons aujourd’hui que M. l’abbé de Montesquiou fut du nombre de ceux dont les avis déterminèrent Louis XVIII à proclamer, comme loi fondamentale du pays, comme pacte social, cette charte où se trouvent le résumé et l’application des principes d’une sage liberté, où les bienfaits de la révolution sont consacrés, et qui, malgré le vice de son origine, eût sauvé la restauration, si une restauration pouvait être sauvée.

Deux mémorables expériences ont prouvé qu’une restauration ne s’enracinait jamais dans un pays sillonné par les révolutions. L’exemple des Stuarts a été perdu pour la branche aînée des Bourbons ; celui des Bourbons ne profitera pas davantage aux princes rejetés par les peuples, et rappelés par quelque caprice de la fortune.

Voilà ce que M. l’abbé de Montesquiou et ses amis n’avaient pas compris lorsqu’ils se flattèrent de consolider la restauration. Arrivés au pouvoir, ils ne contentèrent ni le parti national ni celui de la contre-révolution. Ils donnèrent au premier plus d’une occasion de douter de leur bonne foi ; et l’autre ne leur épargna ni les reproches, ni les injures. Ne pouvant ni accorder, ni refuser entièrement les lois organiques promises par la charte, impuissants surtout à modérer les passions d’une minorité accidentellement victorieuse, ils n’eurent d’autre parti à prendre que de rentrer dans la vie privée ; toujours attachés à une dynastie qui accomplissait sa destinée.

Toutefois, la catastrophe de 1815 ne fut pas une leçon entièrement perdue. Louis XVIII, au retour de son exil de trois mois, reconnut quelques-unes des fautes qu’on pouvait reprocher à son gouvernement ; l’ordonnance du 5 septembre prouva q’il voulait mourir aux Tuileries.

Les illusions dont le prestige égara jusqu’à la fin les conseils secrets de la dynastie, les fautes qui l’ont perdue sont encore dans tous les souvenirs. Je ne citerai qu’un fait d’une importance secondaire, mais qui nous ramène à M. l’abbé de Montesquiou alors privé de toute influence. Je veux parler de la mesure qui priva l’Académie d’hommes d’un vrai mérite, et depuis long-temps en possession de l’estime publique. Le pouvoir, livré à des passions haineuses, nomma des successeurs à ces membres de l’Académie injustement persécutés. M. l’abbé de Montesquiou devint, à son insu, l’un de ces élus de l’autorité. Il n’accepta ni ne refusa ce présent d’une volonté arbitraire. Comme il n’a jamais rempli un seul des devoirs attachés au titre d’académicien, on peut raisonnablement admettre qu’une nomination d’office ne lui semblait conférer aucun droit. On se rappelle l’anecdote de ce candidat, qui, dans le cours de ses visites alla solliciter son suffrage, et n’obtint pour toute réponse que ce mot plein de finesse : « Est-ce que je suis de l’Académie ? »

Vous avez sans doute regretté que cette délicatesse de sentiment, cette espèce de protestation tacite contre un acte de violence qui portait atteinte à l’indépendance de l’Académie et à la dignité des lettres, éloignât de vos réunions un homme de mœurs aussi douces, d’un esprit aussi cultivé. Il avait conservé cet atticisme de langage, cette pureté de goût, cet art aimable de la conversation, dont les modèles sont aujourd’hui peu nombreux. Juge impartial et éclairé des productions littéraires, il n’accordait d’estime ni à l’exagération du style, ni à cette recherche de trivialités qu’on prend pour du naturel et de la force. Il était resté fidèle à l’école de Bossuet et de Fénelon.

M. l’abbé de Montesquiou avait assisté à la naissance de la restauration, il en a vu le dernier soupir ; il vivait dans la retraite, désabusé de toutes ses espérances, n’ayant plus d’autre ambition que celle du repos, d’autres jouissances que les charmes de l’amitié. Acteur retiré de la scène du monde, sa mort n’a produit qu’une médiocre sensation ; mais ceux qui l’ont connu dans l’intimité, qui ont pu apprécier ses vertus privées et l’élévation de son caractère, chériront toujours sa mémoire.

Il a commencé sa carrière dans les premiers temps de deux révolutions fondées sur les mêmes principes, mais qui n’auront pas la même destinée. La première, poursuivant la liberté avec trop d’ardeur, manqua son but, et ne put se sauver qu’en tombant épuisée, dans les bras d’un dictateur nécessaire et plein de génie. Ce fut sous sa tente, aimée de la victoire, qu’elle brava long-temps les efforts des rois conjurés ; et lorsque la fortune lui enleva cet appui, elle en retrouva un autre plus puissant encore dans les progrès de la civilisation, dans les innombrables intérêts qu’elle avait créés, et que nulle force humaine ne pouvait détruire. La mission de la révolution nouvelle est d’établir sur des bases solides les institutions que la première avait préparées : mais les institutions ne se fondent que dans le calme des passions et au sein de la paix. Heureusement, Napoléon a fermé l’ère des conquêtes. Les peuples de l’Europe ont assez souffert des malheurs de la guerre pour avoir appris à la craindre et à la détester. Il ne sera plus permis aux chefs des nations qui ne sont pas réduites à l’état de servitude, de les conduire sur les champs de bataille sans leur libre concours. La paix comme la liberté est la pensée du siècle ; cette pensée sera plus forte qu’une insidieuse politique, et que les tentatives désespérées des factions.

Cette révolution a sans doute des ennemis intérieurs et extérieurs ; mais quelles que soient leurs espérances, ils plieront sous la nécessité. Nos divisions intestines pourraient seules leur offrir quelque chance de succès ; mais ces divisions cessent à l’instant où sont menacés la révolution, et le trône qu’elle a élevé de ses mains triomphantes. Ce trône, où siégent avec le patriotisme et le courage, les vertus de famille qui sont aussi des garanties pour les peuples, la nation le défendra contre toutes les attaques, parce qu’il protége tous les intérêts. Il sera le point de ralliement d’un peuple généreux que l’anarchie et le pouvoir arbitraire ont également fatigué, et qui pressé de développer son génie, d’atteindre à tous les perfectionnements de l’état social, n’aspire qu’au repos sous l’empire des lois, et sous les auspices de la liberté.

Et qui pourrait retarder cette union si désirée ? Les illusions des partis seront bientôt dissipées ; ils apprendront, par expérience, qu’on ne peut ébranler les peuples et les jeter dans les hasards des révolutions, lorsque leurs droits et leurs libertés ne sont point en péril. Ayons confiance dans l’avenir. La France est l’institutrice des nations. Après leur avoir montré par quelle énergie, par quels efforts on peut conquérir la liberté, elle leur enseignera par quelles vertus on la conserve. C’est la seule gloire qui lui manque ; gloire la plus pure, la plus durable de toutes, et qui ne coûte point de larmes à l’humanité.