L’inspiration poétique, fragment d’épître, pour la réception de M. le baron de Barante

Le 20 novembre 1828

Pierre-Antoine LEBRUN

L’INSPIRATION POÉTIQUE,

FRAGMENT D’ÉPÎTRE,

LU DANS LA SÉANCE PUBLIQUE

TENUE LE 20 NOVEMBRE 1828,

POUR LA RÉCEPTION

DE M. LE BABON DE BARANTE.

PAR M. P. LEBRUN.

 

 

Maintenant des premiers lilas
Les branches bourgeonnent à peine,
La primevère est incertaine
Et craint encor quelques frimas :
Le printemps encor ne rit pas ;
Aucune feuille ne décore
Ni le ruisseau, ni les sentiers ;
La vie enfin sommeille encore
Dans le vallon des peupliers ; •
Mais à briller l’eau recommence,
Mais les prés y sont restés verts,
Mais on y jouit du silence,
Mais on y trouve de beaux vers.

 

Souvent de ce lieu solitaire,
Où ma muse habite avec moi,
Je me la peins avec effroi
Exposée aux flots du parterre ;
Puis un ambitieux désir,
Qui tout à coup vient me saisir,
Et bientôt est une espérance,
Me la montre objet de plaisir
Et d’émotion pour la France.
J’aime à songer, de ce doux coin
Où du monde je vis si loin,
Que ces vers achevés à peine,
Près de mon écritoire épars,
Verront bientôt chez Melpomène
La foule, que la foule amène,
Empresser ses pas et ses chars ;
Que cette image mensongère,
Maintenant à tous étrangère,
Dispersée en ce vain papier,
Va bientôt devenir un être,
Un être vivant, que peut-être
Les cœurs ne pourront oublier.
Oui, je songe avec une ivresse
Qui tient encor de la jeunesse,
Que mon âme, en vers trop heureux,
Ira toucher celle des femmes,
Se mêler à de tendres âmes,
Et faire pleurer de beaux yeux.

 

Et quand cette flatteuse image,
Dont l’éclat, hélas ! me séduit,
M’échapperait, comme s’enfuit
L’ombre qui court sous un nuage,
N’est-ce donc rien que de pouvoir,
Jouissant de ma propre flamme,
Enfanter ce que dans mon âme
Une muse aime à concevoir ?
Ce bien fût-il seul mon partage,
Ah! j’en serais encore épris.
A l’heure où j’achève l’ouvrage,
J’en ai déjà reçu le prix.
Celui que la foule dispense,
Est-il le plus doux en effet ?
Le travail que le cœur a fait
A lui-même est sa récompense,
Comme à la vertu sa constance,
Comme au bienfaiteur son bienfait.
Que vers le triomphe on me voie
Pousser de trop ardents désirs ?
Mes travaux, voilà mes plaisirs ;
Mon triomphe, il est dans ta joie
O poétique enfantement !
Il est dans ce premier moment
Où la muse qu’on vient attendre,
D’abord en nous se fait entendre ;
Il est dans ce ravissement
Alors qu’encor jeune et nouvelle
La pensée au cœur se révèle
Et frémit sous l’enfantement ;
Il est dans la vertu féconde,
Dans la chaleur vive et profonde,
Au sein alors se répandant,
Qui monte et descend et l’inonde;,
Séve de feu, fluide ardent,
Semblable à ce que sent la terre,
Après la saison solitaire,
Au retour des douces chaleurs,
Lorsque son sein travaille, immense,
Lorsqu’en toutes ses profondeurs
Se meut et germe sa semence,
Pleine d’aise sous la présence
Du mois puissant qui fait les fleurs.

 

Donnez-moi ce triomphe intime,
C’est lui que je-veux; donnez-moi
De l’homme cet état sublime
Où l’homme entier jouit de soi,
Où tous les trésors sont fertiles,
Où les vertus semblent faciles,
Où Lamoignon n’étonne pas,
Où l’on pourrait aux Thermopyles
Mourir comme Léonidas !

 

Alors on brûle, on pleure, on aime,
On est amant, on est héros,
On est, qu’importe tant de mots ?
On est poëte, on est soi-même !
Puissant par ses émotions,
Le poëte est tout; passions,
Vos effets naissent de sa flamme.
Guerrier, qu’un combat le réclame,
Roi, qu’il commande aux nations :
Les beaux vers qui sont dans son âme
Seraient de belles actions.

 

Le poëte ! un dieu le domine,
Il a de soudaines lueurs
Comme d’une vertu divine
Il voit, il conçoit, il devine
Dans les plus hautes profondeurs;
Il sent en lui tout à coup naître
Ce qu’il n’a jamais pu connaître;
Dans l’inspiration pareil
A l’enfant que l’art Mesmérique
Fait parler durant son sommeil,
Qui voit, connaît, comprend, explique
Tout ce qu’il ignore au réveil.

 

Ah! si ces instants de la vie
Davantage pouvaient durer !
Mais leur clarté bientôt ravie
Dans l’ombre nous laisse rentrer :
Le poids de cette humaine argile,
Si lourde et fragile,
Loin du trône immatériel
Où l’âme régnait dans sa sphère,
L’entraîne, et des hauteurs du ciel
Nous fait retomber sur la terre.