Fragment d’une épopée de Jeanne d’Arc, chant du siége d’Orléans, lu dans la séance publique

Le 2 mai 1843

Alexandre SOUMET

FRAGMENT D’UNE ÉPOPÉE DE JEANNE D’ARC,

CHANT DU SIÉGE D’ORLÉANS,

LU DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 2 MAI 1843

PAR M. ALEXANDRE SOUMET.

 

L’ENFANT RESSUSCITÉ.

 

Partout enveloppé des tours de l’insulaire,
Pourquoi ces sombres feux dont Orléans s’éclaire ?
Ce grand bûcher construit de restes d’étendards,
De boucliers brisés et de monceaux de dards ?
Et tout ce peuple en deuil qui de ses basiliques,
Autour du bûcher noir, vient ranger les reliques ?
Pourquoi sous les remparts ce salpêtre amassé ?
Pourquoi ?... C’est que le joug dont il est menacé

Importune Orléans il veut finir sa tâche.
A ce volcan muet son honneur se rattache.
Orléans !! on dirait que, plus grand que son sort,
Du bonheur d’être libre il embellit sa mort;
Car Dunois est partout. Pour se couvrir de flamme
Ce grand bûcher n’attend qu’un rayon de son âme,
Et lui seul peut donner par delà son devoir
Des échos immortels au cri du désespoir.
« Français, dit-il, Talbot du haut des tours prochaines
« Par ses ambassadeurs nous propose des chaînes :
« Lui-même, transformant nos dangers en affronts,
« Des fanges du mépris il veut souiller nos fronts ;
« Et tout enorgueilli de ses palmes douteuses,
« Invite des Français à des choses honteuses !
« Mais la tombe nous reste, osons la conquérir.
« Dis la messe des morts à ceux qui vont mourir,
« Prêtre du Dieu vivant, et viens dans ces murailles
« Célébrer à genoux tes propres funérailles.
« Par les feux de la guerre à moitié dévorés,
« Livrons à d’autres feux nos corps défigurés.
« Que les mères priant la très-sainte Marie,
« Un enfant dans les bras, s’offrent à la patrie ;
« Et que les fils pieux, vers le lieu du trépas
« De leur vieux père aveugle accompagnent les pas.
« Qu’avant d’être captifs ces murs croulent en cendre ;
« Dans un tombeau français sachons du moins descendre !
« Qui meurt pour son pays monte plus vite à Dieu.
« La mort, nous emportant entre ses bras de feu,
« Couronnera nos fronts de revers magnanimes
« La gloire a des autels, faisons-lui des abîmes.
« Du salpêtre allumé les longs déchirements,
« Nos palais engloutis dans des gouffres fumants,
« Renverseront ces tours, monuments d’esclavage,
« Dont l’Anglais écrasait notre double rivage.
« Et la Loire aujourd’hui, du fond de ses roseaux,
« Verra plus d’un vainqueur se perdre sous ses eaux.
« Que nos tyrans, témoins de nos fureurs sublimes,
« Voient passer les lauriers du côté des victimes
« Que ce sol déchiré se refuse à leurs pas ;
« Qu’ils remportent des fers dont nous ne voulons pas ;
« Et gardant, grâce à nous, le nom qui la décore,
« La France, sans cités, sera la France encore !!!
« Notre monarque fuit, il ose se cacher ;
« Donnons au trône en deuil l’appui de ce bûcher.
« D’Orléans à Paris, de la Seine à la Loire,
« Faisons de nos tombeaux l’école de la gloire.
« Afin de la remplir d’un courageux remord,
« Au cœur de la patrie installons notre mort.
« De ce beau dévouement jetons partout l’ivresse ;
« Un empire tombait, que la mort le redresse !
« Souvent pour relever tout un peuple abattu,
« Il suffit qu’à la terre on montre une vertu.
« Il suffit qu’une fois un grand courage brille ;
« Les fortes actions ont toujours leur famille !
« Nous redonnons la vie à ce qui périssait ;

« Nous laissons, en mourant, notre âme à Charles Sept ;
« Et l’honneur belliqueux aux portes de son temple,
« Comme un phare sauveur, suspendra notre exemple.
« Pour effrayer l’Anglais et dévorer son camp,
« Où des remparts montaient nous laissons un volcan.
« On verra nos brandons combattant l’égoïsme,
« Jaillir de toutes parts en gerbes d’héroïsme.
« Des peuples endormis éclairons le réveil,

« Au beau ciel de la France allumons ce soleil,
« Et remplaçons la nuit par un jour salutaire ;
« Jamais plus grand trépas n’aura lui sur la terre.
« L’Anglais croit triompher d’Orléans asservi,
« Portons à son orgueil ce funèbre défi.

« Rien qu’à nous voir tomber que l’insulaire parte ;
« Unissons Orléans au souvenir de Sparte,
« Et donnons en ce jour, libres et frémissants,
« A dix mille guerriers la palme des trois cents !
« Notre nom, réveillant le tocsin des batailles,
« Ira faire rougir, sous leurs lâches murailles,
« Tous ceux qui, de l’honneur étouffant les leçons,
«  S’enivrent dans Paris du vin des trahisons.

« Venez, illustres morts, vrais sujets du roi Charles,
« Combattants du cercueil, spectres à qui je parle,
« Venez, en renversant nos tours et nos palais,
« Voiler de vos débris la gloire des Anglais !!!»

 

Ainsi parle Dunois, et son bras ne réclame

Que l’héroïque honneur d’aller lancer la flamme ;
Il mesure pensif, et sans s’enorgueillir,
L’espace que sa tombe ici-bas doit remplir.
Ce héros, qui guidait la course d’une armée,
Saisit, au lieu de glaive, une torche allumée,
Et tandis que sa main, avant l’embrasement,
Sur son front belliqueux la balance un moment !
Le peuple s’agenouille, et le pontife austère

Vient bénir le volcan endormi sous la terre.
Déjà se prolongeait, par l’écho répété,
Le psaume d’agonie en triomphe chanté ;
Et déjà la patrie, en deuil près d’une tombe,
Acceptait saintement cette grande hécatombe !...
Dieu ne l’accepta point. Deux guerriers, envoyés
Vers ces remparts tout prêts à périr foudroyés,
Sont venus de la part du sauveur de la France
Aux pâles habitants commander l’espérance ;
Et des mains de Dunois arrachant le flambeau,
D’Orléans secouru refermer le tombeau.

 

Lorsque d’un long combat la lionne lassée,
Sans force et haletante, et de dards hérissée,
Au milieu des chasseurs se couche pour mourir ;
Si le cri du lion qui vient la secourir
Gronde au loin, sa fureur soudain ressuscitée,
Désertant d’un seul bond sa tombe ensanglantée,
De sa rouge crinière agite les lambeaux :
Tel Orléans se lève agitant ses drapeaux.
Dunois vole au-devant de la jeune inspirée.

 

De ses guerriers alors l’héroïne entourée
Montait, avec le jour, sur ce coteau riant
Qui borde le Loiret du côté d’Orient.
C’est de là qu’elle a vu s’étendre non loin d’elle
L’héroïque débris de la cité fidèle,
Ces remparts mutilés, ces palais démolis,
Sous les feux du vainqueur six mois ensevelis.
On prépare une flotte à son brillant cortège ;

Le vent soufflait contraire, il change et la protège.
Le fleuve coulait pauvre, il l’emporte grossi
Du beau vallon de Loire au hameau de Chessy.

 

A l’heure où sous le chaume à sa table frugale
S’assied le laboureur au chant de la cigale,
Jeanne d’Arc, au milieu de cinq cents palefrois,
Sur un des coursiers blancs qu’on réservait aux rois,
Par la porte de l’Est, de ses armes couverte
Entra dans Orléans, cité de sainte Euverte.
« Guidez-moi, dit la vierge, à son autel aimé. »

 

Dans un cercueil où brûle un cierge parfumé,
On y portait alors la dépouille récente
D’un petit enfant mort depuis l’aube naissante.
Humble était le cortège ; il ne se composait
Que d’une femme en deuil qu’un prêtre conduisait.
Des mauves d’un bleu pâle et des fleurs de murailles
D’une guirlande triste ornaient ces funérailles ;
Car le printemps, si fier au loin de ses couleurs,
Dans des murs assiégés n’avait pas d’autres fleurs.

 

Or cette femme était la mère désolée
De l’enfant qu’on allait porter au mausolée.

On voyait qu’elle avait dans son chagrin croissant
Passé beaucoup de nuits près de l’agonisant,
Et qu’il ne lui restait, pauvre mère en prière,
Que la force d’aller jusques au cimetière.
Avant de pénétrer dans le funèbre enclos,
On entra dans l’église, et là d’autres sanglots,
De ces sanglots profonds que les mères qui pleurent
Arrachent de leur sein lorsque leurs enfants meurent,
S’entendirent de loin, et les saints de granit
En furent attristés sur leur socle bénit.
La femme en se traînant, tremblante de la fièvre,
Sur le drap mortuaire alla coller sa lèvre ;
Et puis s’agenouillant sur le marbre glacé,
Fit entendre en ces mots sa plainte au trépassé :

 

Il a trouvé la vie amère :
Il s’en est détourné presque au premier instant.
Mon fils n’avait connu pourtant
Que le sourire de sa mère.
Le prêtre me l’avait béni.
Pour qu’il ne mourût pas encore.
Pauvre petit oiseau qui tombe de son nid
A peine au lever de l’aurore.
Oh ! pourquoi s’éloigner de nous,
Pourquoi me précéder où je devais l’attendre ?
Trouvera-t-il au ciel une mère plus tendre
Pour le bercer sur ses genoux.
J’ai vu mon fils, couvert d’une pâleur subite,
Défaillir sur le sein qui l’avait allaité ;
Le lis se fane ainsi malgré sa pureté,
Malgré la douce paix du vallon qu’il habite,
O mon Dieu, vous étiez jaloux
Qu’une mère fût tant heureuse ;
Trop de félicité nous éloigne de vous,
Et sous mon paradis une fosse se creuse !

Mon cœur est mis dans le linceul
De mon premier-né qu’on enterre ;
O mon fils ! tu n’es pas mort seul,
Quoique je reste sur la terre ;
Car je vivais pour t’adorer.
L’ange qui t’avait sous sa garde
De tous les dons du ciel aimait à te parer ;
Les enfants que la mort regarde
Ont un charme qui fait pleurer.
Tout mon bonheur a pris la route de ton âme ;
J’avais supplié Notre-Dame
De veiller longtemps sur ton sort :
Tu viens d’expirer dans ma couche ;
Le baiser du départ est resté sur ma bouche,
Froid comme le doigt de la mort.
Durant cette vie éphémère,
Je me ressouviendrai de ton dernier adieu.
Oh ! que les baisers de ta mère
T’arrivent dans le sein de Dieu.
Je passerai des nuits entières
A dire pour toi des prières.
Sous les ifs penchés du coteau.
Comme une fleur des champs, ton front s’incline et tombe :
Ma vie était près d’un berceau,
Elle sera près d’une tombe.
Et puisque ta jeune âme erre au sein des élus,
Mes yeux levés au ciel ne se baisseront plus.
Je n’avais qu’un espoir, le cercueil le dévore.
Mes songes seront tout mon bien.
Ils me rendront mon fils. Mais non… à chaque aurore,

Il faudrait dans mon cœur qu’il expirât encore.
Plus de sommeil pour moi, s’il ne ressemble au sien !!!

 

Tous les cœurs sont émus de cette plainte amère.
La vierge aborde en pleurs l’inconsolable mère.
« Ce jour de délivrance a du bonheur pour tous,
« Pauvre mère, dit-elle, il en aura pour vous ! »
Vers l’autel, à ces mots, la vierge, agenouillée,
Touche le front du mort, la guirlande effeuillée,
Et promenant trois fois sur le cercueil glacé
Le romarin bénit dans sa main balancé :
« L’enfant que vous pleurez n’est pas mort… il sommeille.
« Cherchez son cœur, il bat ; sa bouche, elle est vermeille.
« Ses yeux... sous vos baisers ils s’ouvrent à demi ;
« Reprenez votre enfant qui n’était qu’endormi.
« Moi, je viens, annonçant l’heure de délivrance,
« Ainsi que cet enfant ressusciter la France,
« La France déchirée à son dernier lambeau ;
« L’esclavage est plus lourd que le poids du tombeau ! »
Elle dit, et l’enfant, que le peuple environne,
Encor dans le cercueil joue avec sa couronne.