Hommage prononcé en séance lors du décès de M. Alain Decaux

Le 7 avril 2016

Yves POULIQUEN

HOMMAGE

à

M. Alain DECAUX

prononcé par

M. Yves POULIQUEN

Directeur en exercice

dans la séance du jeudi 7 avril 2016

 

Mes chers confrères,

Notre ami Alain Decaux nous a quittés à l’aube, le 27 mars, en ce dimanche de Pâques dont il aimait tant partager l’heureux message. Sachant la force de sa foi, eût-il pu imaginer qu’une telle grâce auréolât son dernier souffle ? Pour nous qui connaissions la force et la constance de son espérance ne verrions nous pas dans cette troublante coïncidence la manière dont il eût aimé clore le roman de sa propre histoire ? Nous n’échapperons pas cependant à l’immense tristesse de ce moment où, tous debout, nous saluons son départ comme cela lui fut annoncé le 8 février 1979, avant qu’il ne s’installe dans ce 9e fauteuil qu’il occupera pendant trente-sept ans. Ce fauteuil vide vers lequel se dirigent nos regards, émus de n’y pas retrouver sa chaleureuse présence. Comment oublier les instants que nous avons partagés avec lui, la douce façon de formuler la joie qu’il avait de nous retrouver, la bonté qu’exprimait si naturellement son visage, la finesse de son humour, le sentiment qu’il était heureux parmi nous et l’attachement passionné qu’il avait pour notre langue ; celle qu’avaient partagée ceux dont il avait conté l’histoire et celle dont il sut vanter si éloquemment la beauté devant le peuple de France. Qui ne se souvient de l’attention qu’il portait à nos débats, de sa courtoise manière de défendre, voire avec passion, la définition d’un mot, la justesse d’un exemple. Qui ne fut sensible à la tonalité de sa voix, à ce délicat chuintement sourd et mouillé des propos qu’il émettait, avec métier et talent, et dont on ne pouvait oublier que dans notre jeunesse nous en avions été les auditeurs passionnés. Une réminiscence obligée de ce que fut celui qui avait su conter aux Français leur Histoire. Et sans doute, en la leur écrivant ou en la leur racontant dès la fin d’une guerre malheureuse, il leur redonnait ainsi en puisant dans leurs archives ce goût d’eux-mêmes et de la France. Grâce à lui les bibliothèques virent s’aligner sur leurs rayons les couvertures des livres de la librairie Perrin en lesquels les Français renouèrent avec les grandes heures de la Révolution, les gloires de l’Empire, les énigmes de l’Histoire, les hauts lieux de France, mais aussi ses grands hommes, Hugo, Dumas. Qui ne serait impressionné par la rédaction entre 1947 et 2015 de plus de quarante de ces livres largement inspirés par les héros de la Révolution et de l’Empire, dont son Letitia, Napoléon et sa mère qui fut couronné par notre Académie alors qu’il n’avait que vingt-cinq ans. Ses derniers ouvrages traduisent plus volontiers le souci d’exprimer la force de sa foi chrétienne en mettant ses pas dans ceux de saint Paul ou en contant Jésus ou la Bible aux enfants. Mais sa voix ou son image furent sans doute pour l’ensemble des Français encore plus favorables à la diffusion de l’histoire. Qui ne se souvient de La Tribune de l’Histoire, conçue et réalisée avec ses amis pour la radio, qui de 1951 à 1997 raconta leur histoire aux Français, de La caméra explore le temps, émission que la première chaîne de télévision diffusa en 1957, mais qui ne se souvient surtout du lancement en 1969 de Alain Decaux raconte, devenu plus tard Alain Decaux face à l’histoire, qui firent de notre confrère, pendant dix-neuf ans, le professeur d’histoire préféré des Français. Œuvre considérable – d’autant plus que si nous ajoutons à ces activités télévisuelles la production théâtrale qu’engagea Alain Decaux auprès de Robert Hossein, et qui fut à l’origine de huit grands spectacles, nous restons confondus par cette incroyable activité dont on aurait pu craindre qu’elle éloignât notre confrère de l’Académie.

Tout démontre au contraire que nul davantage que lui-même n’a fait de cette présence parmi nous la plus belle justification de notre rôle académique. Nul davantage que lui-même n’assortit au grand privilège d’une élection en notre Académie le devoir d’en traduire avec constance ce qu’elle signifie au travers de ses vénérables traditions. Du grand Hugo qu’il admirait il fut en assiduité son précieux disciple. Qui d’entre nous, ses cadets en élection, ne fut troublé par l’opiniâtre volonté qui le portait, chaque jeudi, à nous rejoindre jusqu’à ce que, épuisé, il dut y renoncer ? Ses Discours et travaux académiques démontrent par le nombre de ses interventions l’ampleur de son action: Réceptions de Bertrand Poirot-Delpech, de Max Gallo, hommages à l’occasion du décès d’Étienne Wolff, de Georges Duby, de Jean-François Deniau, célébrations des centenaires de Hugo, de Pasteur, discours des prix, des cinq Académies, de la vertu, etc. forment une liste parmi les plus longues de notre annuaire et traduisent au sein de notre Compagnie la part capitale qu’Alain Decaux consacra à la vie de celle-ci, à celle de ses commissions et jusqu’à une date récente à celle de son conseil d’administration. Il fut de surcroît, dans le cadre des activités de l’Institut, président du collège des conservateurs du domaine de Chantilly et l’on sait le rôle prépondérant qu’il eût dans l’élaboration d’une politique utile à la préservation de ce grand patrimoine.

Nous devons par ailleurs, mes chers confrères, saluer en Alain Decaux l’un des plus brillants représentants de notre Académie au sein de la société civile. Défenseur de la langue française, il le fut en notre Compagnie, ô combien ! mais plus significativement encore en qualité de ministre délégué chargé de la Francophonie, selon le choix du Premier ministre Michel Rocard qui le maintint dans cette fonction pendant trois ans. Il eut l’honneur de prononcer en novembre 2002 le discours saluant l’entrée au Panthéon d’Alexandre Dumas celui auquel, depuis l’enfance, il vouait une admiration sans borne et auquel il nous disait lui devoir le goût de l’histoire. Ne se permit-il pas d’ouvrir ce discours par : « Enfin te voilà Alexandre. Il m’est impossible de ne pas tutoyer un ami d’enfance. » Comment ne pas évoquer aussi ce premier mars 2009 où notre confrère ouvrit le carême en la cathédrale Notre-Dame sur le thème : « Paul, fondateur du christianisme » ? Alain Decaux, le déjà frêle et souffrant ami que nous assistions, tint à dire sa conférence debout, ce que je déconseillai, car, me dit-il, c’était plus digne ainsi ; conférence pendant laquelle j’admirais, tout en la craignant, l’épreuve qu’il s’imposait, car sachant tout ce qu’elle supposait de volontaire offrande à celui qu’il servait.

Notre famille académique est en deuil. Ce fauteuil désormais délaissé par notre cher confrère Alain Decaux retiendra longtemps notre triste regard, celui qu’illuminera cependant son image, celle qu’il nous offrait si bienveillante, si attentive, si chaleureusement confraternelle et dont je suis certain qu’il la voudrait en cet instant consolatrice.