Les Prépondérants, de M. Hédi Kaddour

Le 29 octobre 2015

Frédéric VITOUX

Les Prépondérants

de M. Hédi Kaddour

Par M. Frédéric VITOUX

 

Il s’agit d’un grand roman, d’un vaste roman symphonique où s’entrecroisent des destins individuels qui s’enracinent dans une géographie et une histoire singulières que l’auteur nous aide à comprendre.

Ce pays ? Le Maghreb au début des années 1920, un protectorat français, où déjà semblent en germe toutes les tensions, toutes les aspirations qui s’épanouiront et éclateront quelques décennies plus tard. Cependant, Hédi Kaddour ne nous tient pas ici un discours, il se contente de regarder vivre et s’affronter des personnages très singuliers et, par là même, très attachants.

Parmi ceux-ci, Rania, la jeune veuve arabe, fille d’un ancien ministre du Souverain, et qui dirige seule une vaste propriété agricole. Elle est belle, elle refuse de se remarier, elle est émancipée, elle se heurte à toutes les pesanteurs de son milieu, de sa religion.

Raouf, son jeune neveu, entreprend de brillantes études tout en nourrissant un fort ressentiment contre la France puissance coloniale. Ses contacts le rapprocheraient-ils de la tentation révolutionnaire, voire communiste ?

Il faudrait évoquer le clan des Français, des coloniaux, administrateurs, médecins, militaires, responsables de la police ou propriétaires de vastes domaines agricoles comme Ganthier, qui convoite précisément une partie des terres de Rania. Ces colons se réunissent dans un café de cette ville imaginaire de Nahbès autour de laquelle se déroule l’essentiel de l’action, et forment un cercle qu’ils ont appelé eux-mêmes « Les Prépondérants ».

Les observe avec une lucidité critique un très beau personnage de femme, Gabrielle, une journaliste grand reporter, une femme libre et volontiers critique sur les erreurs ou les abus de ce que l’on pourrait appeler l’exploitation coloniale.

L’action débute en 1922, avec l’arrivée dans la petite ville d’une troupe d’Américains d’Hollywood venue y tourner un film historique d’aventures exotiques, muet bien entendu. Ces Américains émancipés, au premier rang desquels Kathryn, la star aussi belle que libre et déjà au crépuscule de sa beauté, si je puis dire, vont affoler aussi bien les colons français par leur liberté de parole et de mœurs que les Arabes les plus évolués et curieux. Je pense à Raouf, fasciné par l’éclat de Kathryn et qui s’approchera très près d’elle. Je n’insiste pas…

Mais j’arrête là la description de ce roman aux mille intrigues politiques, économiques, sentimentales qui se nouent entre tous ces personnages et bien d’autres encore. Dans la littérature française contemporaine, et particulièrement cette année, peu de romans nous semblent, encore une fois, manifester un tel souffle, une telle ambition, un tel bonheur romanesque et une telle qualité d’écriture que Les Prépondérants d’Hédi Kaddour.