Harangue faite à M. d'Aligre sur sa promotion

Le 28 janvier 1674

François-Séraphin RÉGNIER-DESMARAIS

HARANGUE faite le 18 Janvier 1674, par Mr. l’Abbé REGNIER, à Mr. d’ALIGRE sur sa promotion de la Charge de Garde des Sceaux à celle de Chancelier.

 

MONSEIGNEUR,

SI dans la nouvelle dignité dont vous êtes revêtu, l’Académie Française ne considérait que ce que l’on a accoutumé d’y considérer le plus, si elle ne regardait que la grandeur et l’importance d’une Charge qui vous rend l’arbitre suprême de la Justice et l’Oracle vivant du Prince, ce ne serait point à vous à qui elle croirait en devoir marquer principalement sa joie. Elle chercherait à la faire éclater dans tous les souverains Tribunaux de la France, à qui le nom d’Aligre est saint et vénérable depuis longtemps : et elle s’efforcerait de la faire paraître à tous les Ordres de l’État, qui vous voient avec plaisir occuper la même place qui a été autrefois si dignement remplie par celui dont vous tenez la naissance. Mais, MONSEIGNEUR, nous envisageons, dans l’honneur que Sa Majesté vous a fait, quelque chose qui est encore bien plus glorieux pour vous, que l’élévation où elle vous a mis. C’est le témoignage public que le Prince du monde le plus éclairé et le plus sage vient de rendre par-là, à votre capacité et à votre mérite. Il avait déjà fait voir la haute opinion qu’il en avait lorsque vous confiant les marques les plus sacrées de son autorité, il n’avait laissé dans tout son Royaume qu’un seul titre au-dessus de vous : et maintenant qu’il en récompense votre vertu, ne déclare-t-il pas publiquement qu’il la reconnaît au-dessus de toutes choses. Tous les autres avantages de la Charge dont le Roi vous a honoré sont désormais plutôt les avantages de toute la France, que les vôtres particuliers, et l’on ne doit s’en réjouir avec vous, MONSEIGNEUR, que parce que vous faites votre félicité, du bonheur public. Mais la gloire qui vous revient du témoignage éclatant que Sa Majesté vous donne par-là de son estime, est une chose qui vous est toute particulière, et c’est aussi de cet avantage plus que de tous les autres que l’Académie Française vient ici vous témoigner sa joie. Jouissez longtemps, MONSEIGNEUR, d’un bien si précieux et si solide, d’un bien qui est au-dessus de toutes les dignités, et au-dessus de tout ce que le Roi peut jamais donner, quand il aurait des sceptres et des couronnes à distribuer. Ce sont les souhaits que fait pour vous, MONSEIGNEUR, l’Académie Française, et elle les fait avec d’autant plus d’ardeur qu’outre qu’elle y obligée par l’intérêt général de l’État, elle s’y trouve encore particulièrement engagée par les grâces[1] qu’elle a reçues nouvellement de vous et dont elle conservera éternellement la reconnaissance.

 

[1] Il avait scellé les Lettres du rétablissement de l’Académie dans son droit de Committimus.