Hommage à la mémoire du peintre David. Pièce en vers lue en séance publique

Le 2 mai 1838

Népomucène LEMERCIER

Pièce en vers, lue en séance publique

 

Le pinceau poétique est rival de la lyre :
Il colore avec feu ce que le chant inspire.

 

David, lorsque Apollon m’ouvrit ton atelier
Où mon vœu m’appelait, moi, timide écolier,
Un pédant, alarmé de scolastiques rêves,
Craignant pour moi l’essor de tes errants élèves,
M’écarta de la lice où mes faibles crayons
De mon lumineux guide empruntaient les rayons :
Mais, détourné du but de ma course incertaine,
Clio me fit chez toi rencontrer Melpomène,
Dont la voix indiquait au tragique Talma
Les vrais ajustements de l’art qu’il réforma,
L’instruisant à porter sans contrainte et sans faute
La pourpre des consuls, la tunique de Plaute.
Dès lors, prenant la plume, en quittant le pinceau
Qui m’enseigna si bien le choix heureux du beau,
Fidèle à tes leçons, et fier d’un maître illustre,
Je te dus mon Atride et quelque peu de lustre.
Reçois donc mes tributs ! ton immortalité
D’avance a pour garant notre postérité.

 

Toi seul, des demi-dieux, vivants dans tes ouvrages,
Tu nous représentas d’instructives images ;
Ta palette, instrument de sérieux projets,
Ne se profana point à de hideux objets :
Consacrant les héros, ta peinture sublime
Ainsi que la laideur a repoussé le crime.
Par de nobles douleurs tu veux plaire, émouvoir,
Non à faire frémir signaler ton savoir.
Jamais, blessant les cœurs, ta main ne les déchire
Au tableau monstrueux d’un féroce délire.
La beauté, qui du corps est l’idéalité,
La vertu, qui de l’âme est la réalité,
À tes yeux épurés semblent inséparables,
Et seules resplendir sous des formes durables.

 

Admirez ce vieillard qu’immole un Anytus
Aux lois d’un sacerdoce accusant ses vertus :
L’immortalité brille en ses yeux pleins de flamme ;
Des chaînes de l’erreur son dogme affranchit l’âme ;
Verbe de la sagesse, homme-Dieu des païens,
Précurseur de l’agneau qu’adorent les chrétiens,
Martyr, au front serein, dont le simple courage
D’un messager de mort consterne le visage,
C’est Socrate : on le voit, on plaint autour de lui
Ses apôtres en pleurs dont sa voix est l’appui,
Tandis que la ciguë à sa voix assurée
Ouvre le libre accès du céleste Empyrée.

 

Que vois-je ? entre Albe et Rome un orage élevé…
Leur sol de flots de sang fume-t-il abreuvé ?
Non, l’amour conjugal, sous les traits d’Hersilie,
Fléchit les combattants et les réconcilie :
La maternité tendre et ses enfants épars
Sont des deux rois armés les innocents remparts.
De l’empire du cœur ô lutte pathétique !
Retour des sentiments vers la paix domestique,
Qui du carnage affreux suspendant les horreurs
Ne frappe les esprits que de douces terreurs.

 

D’un système si haut nul faux pas ne l’écarte.
Il domine aux adieux des trois cents fils de Sparte,
Allant pour leur pays mourir victorieux,
Se couronnant de fleurs, en victimes des dieux,
Que leur Léonidas, roi fier d’être à leur tête,
Invite chez Pluton à leur dernière fête.
Leur palme fraternelle, en nous voilant leur mort.
Fait du seul héroïsme éclater le transport.
De l’art le plus profond tel est le grand mystère.

 

Se révéla-t-il mieux qu’en ce chef-d’œuvre austère
Où plane le serment des Horaces guerriers
Que Corneille et David nous ont peints tout entiers ?

 

Dans le port de l’aîné des fils du vieil Horace
S’exprime Je vaincrai, tant y reluit l’audace :
Et sœurs et belles-sœurs déplorent sous ses coups
La mort de citoyens, frères, amants, époux,
Que commande au combat la noble idolâtrie
Qui doit tout immoler au sort de la patrie.

 

C’est toujours la grandeur, c’est toujours la pitié,
Qui règne en chaque fait par David déployé.

 

Daigne-t-il aux romans prostituer sa gloire ?
Il la réserve entière à l’éternelle histoire,
Aux âges que la fable a d’un prisme couverts,
À ces graves martyrs connus de l’univers.

 

Ce secret de son âme est la raison parlante
D’un pinceau qui répugne à l’image indolente
Des noirs enfantements d’artistes vaporeux,
Créant des monstres vils, des spectres ténébreux
De difformes bourreaux, et des nymphes livides,
Êtres dénaturés sous leurs teintes morbides.
Le goût sait tempérer toute extrême douleur
Qui contracte les chairs et jaunit la couleur.
Zeuxis n’aurait osé, dégradant son génie,
Faire au lit du trépas grimacer l’agonie.

 

Tes filles, vieux Brutus, leur mère au sein du deuil,
Près des corps de tes fils qu’on rapporte au cercueil
Tremblantes Niobés l’une à l’autre enlacées,
Groupe du désespoir qui les tient oppressées,
L’affliction qui pèse à leurs souples contours,
Leurs larmes s’écoulant en perles dans leur cours,
Un charme convenable à leur sexe, à leur âge,
Du type des beautés composent l’assemblage.
Loin d’elles est leur père, à l’ombre, seul, assis ;
Ses traits, son morne front, tristement endurcis,
Disent que sa vertu vient subir le supplice
De l’arrêt que scella sa terrible justice.
Sous l’autel des foyers se concentrant en soi,
Sa main s’appuie encore au texte de la loi.
D’un sacrifice immense, ô cruel ! tu tressailles :
Ton propre sang versé consume tes entrailles.
Ton acte a fondé Rome... inhumain ! à quel prix ?
Où te réfugier ? où fuir les pleurs, les cris
D’une épouse éperdue, et de filles si chères,
Rappelant ses enfants, redemandant leurs frères ?
Sais-tu si ta sentence, imprimant la terreur,
Au monde inspirera le respect ou l’horreur ?
Déjà de ta famille évitant l’anathème,
Tu te caches ; tu hais ta rigidité même.
L’admirateur ému mesure à ton tourment
Tout l’effort qu’aux grands cœurs coûte un grand dévouement.

 

En exemple aux mortels tracer un tel spectacle
De la docte peinture est un puissant miracle.

 

Brutus, consul et juge, entre les sénateurs,
Abandonnant deux fils aux haches des licteurs,
Son courage roidi sur la chaise curule,
Peint sous l’œil de David par Lethiers son émule,
N’attendrit pas autant que ce père isolé
Que contriste au retour, son foyer désolé,
Et lui semble expier un devoir qui l’accable
Par sa souffrance égale au remords d’un coupable.

 

Du disciple de Vien le louable penchant
Tourne ainsi les sujets de leur côté touchant,
En adoucit l’angoisse et l’âpreté forcée,
Et rend présente à l’âme une auguste pensée.

 

D’où partit son essor ? d’un cœur républicain
Qui régit son pinceau toujours grec et romain.

 

L’éminente raison que son art a suivie,
Que ne l’appliquait-il aux actes de sa vie !
Devait-il engloutir les plus rares talents
Dans les fangeux conseils des niveleurs sanglants ?
Pourquoi s’asservit-il aux basses théories
De leur Fraternité qu’escortaient les Furies,
Qui, proclamant leurs lois, des têtes à la main,
Changeaient en sources d’or les flots du sang humain ?
De la liberté sainte ils outraient le système :
Leurs vices présageaient le despotisme même :
Et son zèle, égaré dans leurs fatals écarts,
Troubla ses plus beaux jours perdus pour les beaux-arts.
Eux seuls devaient servir d’égide à sa fortune.
Maître à son atelier, esclave à la tribune
L’artiste qui s’attelle au char des factions
Se lie aux Appius, bourreaux des nations.

 

Que devint Topineau, lui, l’amant idolâtre
D’une liberté folle et cruelle marâtre ?
Il maudit un consul s’armant pour l’étouffer,
Et va sur l’échafaud porter son cœur de fer.
Aux poudres d’un grenier périt ensevelie
Sa toile où respiraient les fils de Cornélie :
À la France, à sa gloire, un vain zèle a coûté
Et sa vie, et son œuvre, et sa célébrité.
Sur l’État, sur les temps, nos muses n’ont d’empire
Qu’en n’abdiquant jamais les pinceaux ni la lyre.
Poussin fut des humains le plus sage instructeur :
Milton serait obscur sans son luth créateur :
Et la leçon morale en leurs œuvres semée
Dans notre souvenir grandit leur renommée.
Malheur à qui s’éprend des succès vains et courts
Que promettent les bruits du Forum et des cours !
Du sens impartial trahissant l’équilibre,
Son cœur n’enfantera rien de grand, rien de libre.
Par l’erreur, le mensonge et l’intrigue assailli,
Il oubliera les traits du vertueux Bailly,
Qui, du pouvoir armé dissipant le fantôme,
Éternisant le cirque ouvert au jeu de paume,
Debout, tel qu’un dieu Terme, entre un peuple et ses rois,
Marquait aux nations la limite des droits.
Mirabeau, l’appuyant par le feu des tonnerres
Que ses lèvres lançaient sur des camps mercenaires,
Y foudroyait l’orgueil de huit siècles d’abus.
Un art faible eût terni leurs dignes attributs,
N’osant montrer leur gloire aux ignobles génies
Qui de l’un ont voué la cendre aux Gémonies,
Et qui de l’autre, en proie à leurs Dantons hurlants,
Ont au tranchant couteau jeté les, cheveux blancs.

 

Si David, cultivant sa fertile carrière,
Eût fui des décemvirs l’arène meurtrière,
Près de Marat tombant, sa toile eût exposé
De Charlotte Corday le front divinisé.
Cette sœur de Judith, plus chaste en son courage,
D’un atroce Holopherne eût rehaussé l’image.
Il n’osa, m’a-t-il dit, regrettant en secret
Le contraste animé de ce double portrait.
Ainsi lui-même, hélas ! dans sa force infinie,
Du joug des faux Gracchus subit l’ignominie !
Innocent ! qui te pousse en leur piège infernal ?
Leur sénat proscripteur, se créant tribunal,
Siège d’accusateurs, chacun juge et partie,
Saisit, comme Cromwell, une royale hostie,
Forge loi pour le crime, et crime pour l’arrêt,
Et récuse le peuple hostile à son décret.
Le masque de Thémis au front de l’injustice
T’aveugle ; et des tyrans ton vote est le complice.

 

Ton Brutus, ne dictant que l’exil de Tarquin,
Donnait un autre exemple à tout républicain.

 

Crut-on, d’un meurtre inique ensanglantant la terre,
Absoudre, en l’imitant, la punique Angleterre ?
Son régicide orgueil, son parlement fiscal,
Fit naître un fanatisme armé du fer légal :
Par lui, la France en deuil vit mourir en silence
Le savoir, la beauté, l’honneur et l’innocence !

 

Par un nœud politique une fois enchaîné,
Tribun, tu dépendras du soldat couronné.
La liberté n’est plus : la gloire à ses prodiges
Veut qu’alors tes couleurs ajoutent leurs prestiges.

 

Là, l’Église, en tremblant, d’un César corrupteur,
Bénit sur les autels le sacre usurpateur.
Voyez, dans cet accord de scènes hypocrites,
Près d’un enfant de chœur un chef de satellites,
À l’écart, signalant de l’absolu pouvoir
Les deux ressorts unis : le sabre et l’encensoir.
Dessinateur hardi des nudités attiques,
Ta main trace aisément les costumes gothiques,
Les mitres, les camails rayonnant au soleil,
L’or des casques luisants, militaire appareil,
Les colliers, les harnais des seigneurs subalternes,
Les chapeaux emplumés des sénateurs modernes,
Qui tous, du Bas-Empire humbles rénovateurs,
En restauraient le luxe et les statuts flatteurs.
Tu peins à larges traits ce fantasque étalage ;
Non en fol apprenti, barbu du moyen âge,
Dont l’orgueil romantique acclame en inventeurs
Des vitraux colorés les froids imitateurs.

 

Ce que ne copieront ces faux enthousiastes,
C’est sa juste Clio déroulant ses grands fastes,
Son soin à modeler leur admirable aspect,
Son beau choix de nature et son dessin correct.
Voilà les rudiments de sa suprême école,
Qu’attaquait sans l’atteindre un vague essaim frivole,

Et qui, sur son tombeau triomphante aujourd’hui,
En ses élèves morts s’enorgueillit de lui.

 

Le génie, éclairé par des lumières sûres,
Immuable à la vogue, inflexible aux censures,
Du bon vers le meilleur marchant sans hésiter,
Doute de soi longtemps, mais pour n’en plus douter.
Il se rit des conseils qu’un vain caprice donne :
Et comme Polyclète aux murs de Sicyone
Il confond le vulgaire, énigmatique Sphinx
Qui, démon louche et faux, se croit des yeux de linx.
« Ma statue est debout : s’il faut qu’on la corrige,
Dit-il, du peuple entier que le goût me dirige. »
Chaque avis des censeurs jette un blâme nouveau :
Aux critiques de tous obéit son ciseau.
Mais à la juste image une image pareille
Du talent méconnu reproduit la merveille :
Le public les compare, et, détrompé soudain,
Voit l’une avec amour et l’autre avec dédain.
« Eh bien ! de l’ignorance épargnez-nous l’outrage :
La Vénus déformée est votre abject ouvrage ;
La plus belle est de moi, » dit le noble sculpteur.

 

Tel en juge affermi parle un régulateur.
Tel des routes du vrai, malgré l’erreur, l’envie,

David ne permet pas que sa marche dévie.

 

Élèves favoris d’un talent souverain,
Vos titres immortels sont transmis au burin.

 

Vous, qui de sa science eûtes le privilège,
Vous tous, ses héritiers, formez son grand cortège.

 

Amour ouvre un bocage, où dort Endymion,
Que Diane, en passant, baise d’un doux rayon :
Suave Girodet ! ta grâce enchanteresse
De l’espoir de ton maître accomplit la promesse.
La mort tranche à Drouais son avenir brillant.
Toi, Gérard ! dont l’esprit affinait le talent,
De Psyché, qu’en ses bras Cupidon reçoit nue,
Tu lui dois le maintien de pudeur ingénue.
Toi, qui de nos Laïs fais un croquis léger,
Ton crayon est folâtre et n’est point passager.
Sous sa fluidité la gaze les décore,
Et semble autour des fleurs le voile de l’aurore ;
Isabey ! qui t’apprit, dans tes riants portraits,
À fixer ce qui fuit, nos modes et nos traits
Ce fut le tact exquis de ce guide sévère
Qui, des divers instincts suivant le caractère,
De Gros, qu’il pressentit, libre et vaste en ses plans,
Élargissait la touche et poussait les élans.
De l’astre oriental sa toile est enflammée :
Jaffa d’une hydre infecte y brûle envenimée :
Le soleil d’Aboukir sur nos rangs pleins d’ardeur
Des prismes de Rubens éclipse la splendeur :
Ce temple, illuminé des gloires du royaume,
Dont Geneviève aux cieux ouvre le riche dôme,
Aux grands hommes voué, s’élève sous sa main
En digne Panthéon d’un peuple souverain.

 

C’était peu que David inspirât nos Apelles,
Il guide, en Phidias, nos futurs Praxitelles ;
Et son jeune homonyme, et Cortot, et Pradier,
Sur sa trace affermis, ont ceint plus d’un laurier.

 

Il t’aimait, Espercieux ! tes quatre-vingts années
Par de récents travaux sont encor couronnées :
Ton pur ciseau l’imite ; et d’un marbre souffrant
Sort Philoctète en proie à son mal dévorant.
L’Hélène de David et son Pâris classique
Prêtèrent à Chaudet son élégance antique.
Guérin., à ses sentiers rattachant son renom,
Reproduit sur mes pas la mort d’Agamemnon :
On doute si sa Phèdre est la fille divine
Des souffles de David ou des vers de Racine :
Et le lit du veuvage où soupire Sextus
Reflète en ce proscrit tout le deuil de Brutus.
Le même art à Drolling inspire Polyxène,
Pâlissant de la mort où le vainqueur la traîne,
Et l’esprit enflammé du jeune Emmanuel
Éclairant aux docteurs la loi de l’Éternel.
Il donne un tour naïf aux pinceaux monastiques
De Granet aux nonnains ouvrant les basiliques ;
Et dévoile avec grâce au délicat Hersent
Des enfants de Longus l’amour adolescent.

 

Moi-même, je soumis à sa règle profonde
Charlemagne, Clovis, la sombre Frédégonde,
Richard-Trois, monstre anglais, l’Égyptien Ophis
Dont le bruit a frappé nos échos dans Memphis,
Charles-Six dont ma muse ennoblit la démence.
Ce fut en respectant la classique ordonnance,
Qu’instruit par ses tableaux à grouper les acteurs,
D’un théâtre escarpé j’ai gravi les hauteurs.

 

La grave tragédie et la grande peinture,
Sœurs que Clio soutient dans leur unité pure,
S’affaiblissent ensemble et meurent à la fois,
Si l’école et la scène abandonnent leurs lois.
Les pinceaux sans noblesse et le drame sans style,
Blessant l’art de Timanthe, abattent l’art d’Eschyle.
O triste décadence où le siècle est enclin !...
Chefs-d’œuvre du passé, reculez ce déclin ;
Des modèles parfaits rendez-nous l’habitude,
Dont, en peignant Homère, Ingres fit son étude :
Montrez-nous le vrai maître et ses fiers successeurs,
Et l’envie expirant sous les pieds des deux sœurs.

 

Hélas ! de cinq amis, artistes si célèbres,
J’ai vu passer la cendre aux retraites funèbres,
Où les aveuglements d’ingrats contemporains
Les ont précipités sous le poids des chagrins !
Sur leur urne, à mes yeux de jour en jour ouverte,
Me fallût-il gémir du regret de leur perte,
Pour que, de ce séjour d’où je les pleure exclus,
Ma soupirante voix, que leur cœur n’entend plus,

D’une équité tardive attestât les suffrages ;
Tribut toujours croissant d’unanimes hommages,
Tribut que désormais l’infaillible avenir
Assure à leurs talents que rien ne peut ternir !

 

Tes disciples, David, me comptent dans leur nombre ;
Ah ! quand sous leurs cyprès les rejoindra mon ombre,
Ne pourrai-je, en égal de compagnons fameux,
Par quelques monuments me survivre comme eux,
Et comme eux, en triomphe, escorter ta mémoire,
Qui de Raphaël même a reflété la gloire,
Et joint à nos exploits l’éclat de tes succès
Qu’enviera l’Italie au Muséum français....

 

Que dis-je ! de ton nom plus fière qu’envieuse,
Elle se vantera, justement orgueilleuse,
D’avoir pu t’inspirer dans ses doctes cités
L’amour de ses héros par toi ressuscités ;
D’avoir à ton étude, en ta vive jeunesse,
Ouvert son Vatican, révélé sa richesse,
Et transmis dans ton sein à ses souffles brûlants
La mâle liberté, mère des hauts talents.
Il lui plaît de revoir ta peinture applaudie
Ravir les cœurs charmés, comme sa mélodie.
La musique autrefois dut un sistre à Vinci
Et ses enchantements te séduisaient aussi.
Accord harmonieux des arts, dont la puissance
De l’un à l’autre exerce une heureuse influence !
Tu manias l’archet : et Méhul et Grétry
À tes sons modulés souvent même ont souri.

 

Viennent donc concourir à ton apothéose
Euterpe à ton Horace alliant Cimarose,
Pergolèse, Mozart, et Gluck, et Rossini,
Et le roi des concerts, notre Chérubini.
De leurs hymnes divins les sonores justesses
Enivrent notre joie, ou charment nos tristesses ;
Et la mélancolie aime leur double accord,
Lorsqu’ils chantent la gloire et qu’ils pleurent la mort.
À l’éternel sommeil que ces cygnes lyriques
T’enlèvent radieux sur leurs ailes magiques,
Et que la poésie, allumant notre encens,
Te porte dans l’Olympe où montent leurs accents.