Harangue au Roi sur la Mort de Madame la Dauphine

Le 12 mai 1690

Louis IRLAND de LAVAU

HARANGUE AU ROI

sur la Mort de Madame la DAUPHINE, prononcée le 12 Mai 1690.

par Mr. l’Abbé DE LAVAU.

 

SIRE,

Le zèle qui nous fait nous dévouer à VOTRE MAJESTÉ, et consacrer nos veilles à cette gloire où il n’a été permis qu’à vous d’arriver, nous fait regarder la perte des personnes que la mort vous arrache, et tout ce qui peut troubler ou altérer votre repos, avec autant de peine que nous avons eu de joie quand nous avons appris vos victoires ; ces victoires que vous avez deux fois sacrifiées à la paix du monde Chrétien, pour jouir d’une gloire et plus grande et plus pure où la fortune ne peut prétendre aucune part. Un sentiment si extraordinaire et si digne de celui qui est au-dessus de tous les Héros nous remplissait d’admiration au moment que vous rétablissiez par-là les affaires de tant d’Ennemis toujours ligués contre vous, et toujours accoutumés par la multitude de vos conquêtes à souhaiter la fin des guerres qu’ils s’étaient attirées, où il était aisé de voir à tant de prodiges, que vous êtes véritablement ce Roi qui est selon le cœur de Dieu, et par un si précieux avantage supérieur à tous les Monarques de la terre ; aussi n’avez-vous pu avoir d’émulation que pour vous-même, parce qu’il n’y avait que vous au-dessus de qui vous pussiez vous élever : mais quand nul des hommes ne peut arriver à l’immense grandeur de VOTRE MAJESTÉ, nous sommes affurés qu’il n’y en peut avoir qui ne cède au fils de LOUIS LE GRAND. Qu’il a déjà donné de la matière à ceux qui doivent occuper nos places dans l’Académie Française, et que n’en doit-on point attendre puisque vous lui remettez entre les mains la foudre que le Ciel a déposé dans les vôtres pour arrêter l’audace et réprimer la fureur de tant de Potentats qui violent les droits les plus sacrés. Il part, et vous l’avez instruit. Nous le verrons vainqueur de ces Nations qui ont sitôt oublié vos bienfaits, ses conquêtes, qui ne peuvent être douteuses puisque vous les guidez, et que par-là vous engagez la fortune à les suivre, feront tarir les pleurs que nous versons pour la perte qu’il vient de faire, et après qu’il aura exécuté les ordres du Ciel par les vôtres, nous retournerons aux pieds, de VOTRE MAJESTÉ, vous entretenir de ses triomphes.

______________

 

HARANGUE à Monseigneur le Dauphin sur la Mort de Madame la Dauphine, prononcée le même jour par Mr. l’Abbé DE LAVAU.

 

MONSEIGNEUR,

L’ACADÉMIE qui ne croyait devoir être occupée que des actions prodigieuses de son auguste Protecteur, ou pour les admirer sans cesse, ou pour faire passer son admiration aux siècles à venir, pénétrée de la perte que vous venez de faire, n’a pas une médiocre douleur de se voir obligée pour vous marquer son profond respect, de venir vous rendre le témoin de ses larmes. Qu’il nous eût été agréable, MONSEIGNEUR, de venir vous dire les glorieuses espérances où nous a confirmé la prise de Philisbourg avec tant de fameuses circonstances ! Ce Roi invincible à qui vous devez votre naissance, et à qui les Peuples doivent cette longue félicité dont ils ont joui, avait porté la gloire de la France si haut, qu’à l’avenir, on aurait craint pour elle dès qu’on l’aurait perdu de vue, si vous ne nous aviez entièrement rassurez ! On n’attend rien que de grand de vous, MONSEIGNEUR, et nous espérons que vous ressouvenant des soins qu’on a eus de votre enfance, vous aurez celui de conduire aux grandes choses les Princes que la Providence vous a donnés pour faire naître les maîtres du monde du sang de LOUIS LE GRAND. Le Ciel s’est déclaré pour la France par des marques éclatantes, il vous ouvre la route que vous avez à suivre : le plus grand des hommes et le seul à qui vous pouvez céder vous l’a tracée. Allez venger le même Ciel qui a donné ce Prince auguste à la terre, par un signe certain de son amour ; ce Ciel outragé par tant de Potentats qui protègent le plus noir des crimes ; que l’envie arme contre leurs propres intérêts, aussi bien que contre leur gloire, et qui troublent par leur ambition le repos des Nations si solidement établi par tant de victoires, par le sacrifice de ces mêmes victoires, et par celui des droits les plus légitimes. Le succès de votre Campagne ne peut être douteux, et nous vous reverrons bientôt vainqueur faire tarir nos larmes par vos triomphes. Vous portez avec vous le destin de LOUIS LE GRAND.