Discours fait au Roi lorsque Sa Majesté fit son entrée dans l'église de Soissons

Le 20 octobre 1722

Jean-Joseph LANGUET de GERGY

DISCOURS

Fait AU ROI par M. l’Evêque de Soiffons, lorsque Sa Majesté allant se faire sacrer à Reims, fit son Entrée dans l’Église de Soiffons le 20. Octobre 1722.

 

SIRE,

Les Peuples s’empressent d’accourir au passage de VOTRE MAJESTÉ & de contenter tout ensemble leur curiosité & leur amour. Ils vous présentent leurs respects comme à leur Maître, ils vous offrent leurs cœurs comme à leur Père, ils donnent aux Grâces qui brillent en Vous les applaudissements qu’elles entraînent, & ils fondent sur tant de vertus que l’on voit croître en Vous avec l’âge, l’espérance de leur félicité.

Les Ministres de Dieu ne cèdent à personne ces justes sentiments. Mais ils croient vous devoir, SIRE, autre chose que des respects vulgaires, & des applaudissements flatteurs. Cette aimable jeunesse qui gagne les cœurs, inquiète par ses charmes mêmes, ceux qui savent combien il est facile d’en abuser. Ils n’envisagent point sans quelque effroi, ce moment trop flatteur qui approche, où VOTRE MAJESTÉ jouira de ce droit, funeste à tant de Rois jeunes, de pouvoir tout sans contrainte.

Autour du Trône tout est péril, parce que tout est orgueil, délices, pouvoir absolu & si les hommes dans les plus viles conditions, ont peine à résister à leurs passions que l’autorité réprime ; que sera-ce d’un Roi, homme comme les autres, qui possède lui-même cette autorité, & qui n’est captivé que par sa propre sagesse, à un âge où l’on connaît peu cette sagesse austère, & où on la goûte encore moins ?

Les applaudissements nourrissent la vanité ; les délices amollissent le cœur, l’indépendance excite à tout oser & à tout faire ; les richesses, loin de rassasier par leur abondance nourrissent le fatal désir d’en amasser de nouvelles ; les plaisirs lassent par leur multitude & l’on est tenté d’en réveiller le goût par des excès. L’humeur si fâcheuse dans les Rois qui s’y livrent, écarte les conseils salutaires, & elle s’aigrit par les complaisances assidues ; la flatterie bannit la vérité, elle rend odieux ceux qui l’annoncent, elle masque les vices sous les noms mêmes de la vertu. C’est par ces moyens-que les Rois de la Terre deviennent souvent les esclaves de leurs désirs & ceux que Dieu destinait à réprimer les passions & l’injustice des autres, injustes eux-mêmes & passionnés, se font quelquefois les Tyrans des hommes dont ils devaient être les modèles & les Peres.

Si une éducation sainte, des inclinations généreuses, une piété tendre, une docilité aimable, peuvent garantir un Roi de tant de dangers, nous voyons, SIRE, en Vous & autour de Vous, de quoi nous rassurer. Le jeune Joas dans le Temple fut-il ou mieux élevé, ou plus docile ? Mais c’est à Dieu, qui vous a fait Roi, à vous faire Saint, & à confirmer dans la piété par sa puissance, un cœur bien né, mais bien fragile.

Nous le lui demandons, SIRE, par nos prières assidues : nous le lui demandons plutôt que des succès & des prospérités. Car pour un Roi pécheur, que serait-ce qu’une grande prospérité, sinon un orgueil plus grand, & des crimes impunis ? Vous allez le lui demander Vous même dans ce jour solennel, où Vous recevrez l’onction sainte, & où Vous vous lierez plus étroitement à votre Dieu par ces serments sacrés, dont l’accomplissement décidera de votre salut & de notre bonheur.

Nous unirons nos vœux à ces vœux innocents que votre cœur lui offrira lui-même. Jugez, SIRE, de la ferveur de nos prières par notre inquiétude ; & par notre inquiétude, estimez la mesure de notre respect, notre amour pour la vraie gloire de VOTRE MAJESTÉ.