Fragment d’un poëme sur l’astronomie

Le 24 avril 1827

Pierre DARU

FRAGMENT D’UN POËME

SUR L’ASTRONOMIE,

LU DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 24 AVRIL 1827,

PAR M. DARU.

 

 

Jadis la Renommée aux Grecs encor barbares
Vint dire que l’Euxin sur ses rives avares
Recélait des trésors à l’Europe inconnus :
Un dragon y gardait le bélier de Phryxus.
De cinquante héros une élite intrépide
S’élance sur les mers où l’audace les guide;
Et ce lointain voyage aux vainqueurs de l’Euxin,
Pour prix de leurs travaux, révèle un art divin :
Ils conquièrent l’Olympe, et la savante Asie
Leur livre pour trésors les secrets d’Uranie.

 

Le dieu du jour, quittant le céleste Bélier,
Surmontait le Dragon et le Taureau guerrier,
Alors que triomphant d’Amphitrite étonnée,
Montrant à l’Hellespont sa poupe couronnée,
Leur vaisseau de Colchos emportait la toison
Qu’osa livrer Médée au trop heureux Jason.
Le héros, pour ravir son illustre conquête,
De l’hydre venimeuse avait foulé la tête;
Et les taureaux ardents, monstres aux pieds d’airain,
Avaient courbé leurs fronts sous sa puissante main.
Les vents favorisaient la nef impatiente,
Ouvrage de Minerve et comme elle éloquente :
Déjà dans le lointain fuyait avec le jour
Dindyme, qui d’Argo saluait le retour :
Le pilote assuré franchit, d’un vol rapide,
Le rivage où Sestos se rapproche d’Abyde;
La nuit tombe des cieux, et le chef des héros
Promet enfin la Grèce aux vainqueurs de Colohos.
Sous un dôme d’azur, la carène écumante,
Sillonne sans effort une onde obéissante ;
Et tel que l’Alcyon balancé dans les airs,
Qui d’une aile d’argent rase le sein des mers,
Le navire animé porte aux natales rives
Les matelots penchés sur leurs rames oisives.

 

L’interprète des dieux, Orphée, était assis
Entre le fils d’Éson et Pélée et Tiphys;
La main sur le timon, les yeux vers les étoiles,
Le sage Canopus s’abandonnait aux voiles;
Et, du haut de la poupe, aux enfants de Léda
Lyncée à l’œil perçant montrait les feux d’Ida.
Il voyait dans ce vide où s’égare la vue
D’astres pour lui brillants une foule inconnue :
Tous les yeux les cherchaient aux célestes lambris.
« Toi que l’Égypte admit aux mystères d’Isis,
Parle, divin Orphée, héritier de la lyre,
Qui t’ouvrit de Pluton le redoutable empire.
Dis-nous, non ces secrets, que le culte des dieux
Défend de dévoiler à de profanes yeux,
Mais des cieux mieux connus chante-nous les merveilles.
Quel fut l’heureux mortel, qui, dans ses doctes veilles,
Sut imposer des noms aux astres étonnés ?
Dis-nous quels mouvements leur furent ordonnés.
Ouvre le vaste Olympe à nos regards avides ;
Et tes chants, immortels comme les Piérides,
Instruiront l’avenir, si tu peux pardonner
Qu’une bouche vulgaire ose les profaner. »
Ainsi dit Amphion; et de la troupe entière
Le fils de Calliope exauçant la prière,
Prélude sur sa lyre et commence en ces mots,
Que semble respecter le silence des flots :

 

« Dieux, qui nous ramenez vers ces heureux rivages,
Des Grecs reconnaissants acceptez les hommages.
Salut, terre d’Hellen, bois sacrés de Lemnos,
Naxe, fertile Eubée, inconstante Délos :
Quand pourront tes enfants, Athènes si chérie,
Baiser victorieux le sol de la patrie ?
Père brillant du jour, dont le premier rayon
Va rendre à nos regards Athos et Pélion,
Et vous, nos protecteurs au milieu des tempêtes,
Astres qui m’écoutez, suspendus sur nos têtes,
Et par qui notre nef, triomphant de l’Euxin,
Sut atteindre Sinope et le Phase lointain,
Vainqueurs du noir chaos et de la nuit profonde,
Feux divins, dites-moi quel bienfaiteur du monde,
Dégageant vos rayons dans l’Erèbe émoussés,
Sut lire au firmament que vous embellissez.
Ce fut toi, sage Hermès, père de l’harmonie,
Législateur du ciel conquis par ton génie,
A qui tant de bienfaits ont valu tant de noms :
Ta lyre dans mes mains va célébrer tes dons.

 

« Mais lorsque tu traçais les sacrés caractères,
Qui du vaste univers renferment les mystères,
Les dieux n’ont pas permis qu’à nos faibles regards
La lumière en torrents jaillît de toutes parts.
Us nous ont accordé la lente expérience,
Le désir de connaître, et non pas la science :
La science est assise au pied de leurs autels ;
Et le temps, le travail instruisent les mortels.

 

« Avant de s’élancer dans la voûte azurée,
Avant que sur leurs lois, leur marche, leur durée,
Son audace savante interrogeât les cieux,
L’homme admira longtemps leur cours silencieux.
Les pasteurs chaldéens, sur leurs paisibles rives,
Consumaient de la nuit les heures fugitives
A voir, sous un ciel pur, ces feux étincelants
D’un mouvement égal sur leurs têtes roulants :
Et l’Euphrate charmé répétait dans son onde
Ces flambeaux suspendus à la voûte du monde.
Qui tous, vers l’occident avec elle emportés,
Allaient au sein des mers éteindre leurs clartés.
A ces peuples errants, observateurs rustiques,
Les astres de l’Olympe ont dû leurs noms antiques.
Leur piété plaça dans les sacrés lambris
Le bélier conducteur de leurs troupeaux chéris,
Le chien qui les gardait, et le taureau superbe,
Et le pudique front qu’embellit une gerbe ;
La main qui sut dompter le sauvage coursier,
L’active vendangeuse, et le char du bouvier.
Des objets de leurs soins la sphère était remplie
Tout le ciel leur parlait des travaux de leur vie.
Ils surent, attentifs à l’ordre des saisons,
Sous quels astres amis jaunissent les moissons.

 

« — Voyez-vous, disaient-ils, le dieu de la lumière
« Fournir seul, sans rivaux, sa brillante carrière?
« Le soir Hester le suit dans l’humide séjour;
« L’astre ami des bergers annonce son retour.
« Mais, sitôt que la nuit nous couvre de ses voiles,
« L’azur du firmament brille de mille étoiles.
« Toutes, gardant leur place à la voûte des cieux,
« Y décrivent ensemble un cercle harmonieux.
« Des bords de l’Orient les unes qui s’élèvent,
« Vont commencer leur cours quand les autres l’achèvent.
« Sur son trône de flamme ardent à s’élancer,
« Le dieu le lendemain revient les effacer;
« Mais il s’éloigne, il tombe, et le soir fait renaître
« Celles qu’à l’occident nous vîmes disparaître.
« D’où viennent tous ces feux qui se lèvent sur nous?
« Où vont ceux qu’en ses flots reçoit un dieu jaloux ?
« Comment, par que] chemin se trouvent-ils encore
« Des rives du couchant aux portes de l’aurore ?
« Il en est qui pourtant dans leur déclinaison,
« Tournent sans effleurer les bords de l’horizon ;
« Une étoile surtout, immobile à la vue,
« Toujours au même point demeure suspendue
« Sur les climats glacés qu’habitent les hivers,
« Et semble le pivot de tant d’orbes divers.
« Jamais l’astre du jour ne s’est approché d’elle;
« A sa zone de feu le dieu toujours fidèle
« Visite tour à tour les signes radieux
« Qui montent au sommet de la voûte des cieux.
« Sur leur cercle brillant sa route est inclinée,
« Et son disque deux fois le franchit dans l’année.
« Les nuits dans- cet instant sont égales aux jours,
« Et, selon qu’il s’approche ou s’éloigne en son cours
« L’été brille sur nous, ou l’orageux Borée
« Des tristes nuits d’hiver allonge la durée. »

 

« — Tels furent les objets qui, dans l’ordre des cieux
De ces simples bergers durent frapper les yeux.
L’apparence à leur sens en imposait sans doute :
La terre était un plan, et le ciel une voûte,
Les étoiles des feux ; mais de ces vastes corps
Ils ignoraient les lois, les masses, les rapports.
Hélas! malgré l’orgueil de nos brillants systèmes,
Combien de ces secrets nous ignorons nous-mêmes!
L’antiquité du moins, dans ses illusions,
Sut partager du ciel les vastes régions.
Les prêtres de Memphis, ceux de l’Inde, et les sages
Qui de l’extrême Asie occupent les rivages,
Élevant dans le ciel d’immuables signaux,
Ouvrirent au soleil douze palais égaux.
Leur main déjà savante y traça l’écliptique,
Et divisa dès lors dans cette route oblique
Le mois en trente jours, l’année en douze mois,
Qu’un jour capricieux vint allonger cinq fois.
Oh! Combien il fallut de jours, de mois, d’années,
De siècles consumés en veilles obstinées,
Pour observer des cieux les divers mouvements
Et fixer pour jamais ces premiers éléments!
Que de siècles encore avant que ces merveilles
Allassent du Brachmane étonner les oreilles ;
Qu’aux voûtes de Memphis le porphyre sculpté
Aux yeux initiés montrât la vérité;
Qu’Uranie, oubliant les rivages de l’Inde,
Son compas à la main, vînt s’asseoir sur le Pinde;
Et que le zodiaque, à lui-même pareil,
Fît le tour de la terre ainsi que le soleil!

 

« Justement étonné de ces travaux sublimes,
Que n’ont point des vieux temps engloutis les abîmes,
Un voyageur disait au prêtre d’Osiris :
« — Quoi! L’Olympe est tracé sur vos doctes lambris!
« Les cieux vous sont ouverts! Quel peuple heureux et sage
« Vous transmit autrefois ce brillant héritage?
« A qui doit notre encens payer de tels travaux ? »
Et le prêtre des dieux répondait en ces mots :
« — Tu demandes quel peuple a conquis cet empire :
« Lève les yeux, mortel, les cieux vont te le dire.
« Ces signes qu’y sema la main de nos aïeux,
« Des rustiques travaux symbole ingénieux,
« Dans quels autres climats seraient-ils explicables?
« La nature en ces lieux en dit plus que vos fables.
« Remonte dans les temps à ces antiques jours
« Où le char du soleil au plus haut de son cours
« Traversait d’Egypan le domaine céleste :
« La Chèvre suspendue à la colline agreste,
« Est l’emblème animé du char étincelant
« Tout prêt à s’élancer du solstice brûlant.
« Le Verseau, les Poissons, à l’Egypte altérée
« Annoncent l’heureux temps où de l’urne sacrée
« Son fleuve protecteur épanchera les eaux.
« Le Bélier dans les champs ramène nos troupeaux.
« Le Taureau nous rappelle aux travaux de l’année.
« Des Gémeaux d’Osiris l’enfance fortunée
« Invite la nature à la fécondité.
« Au solstice d’hiver le soleil arrêté,
« Revenant sur ses pas, imite en sa carrière
« De l’oblique Cancer la marche irrégulière.
« Le Lion reparaît, et son cœur belliqueux
«‘ Rend la force à la terre en nous dardant ses feux.
« Et toi, brillante Isis, qu’un épi d’or couronne,
« Protége ces moissons que ton astre nous donne.
« La Balance te suit, par qui l’ombre et le jour
« Se partagent l’empire au céleste séjour.
« Le sinistre Antarès, d’une haleine empestée,
« Verse ses noirs poisons sur la terre infectée;
« L’Egypte, qui languit sous cet astre oppresseur,
« Attend le Sagittaire, implore un défenseur;
« Il vient, le monstre fuit, le trait part, l’air s’épure,
« Et les vents ont rendu la joie à la nature.
« Parle, étranger : qui sut dévoiler à tes yeux
« De ce livre sacré le sens mystérieux ?
« Si le ciel fut conquis, l’Egypte en a la gloire ;
« Et depuis dix mille ans la pierre en sait l’histoire. »

 

« — Sage, tu disais vrai : dans ce cercle des jours,
Où l’ordre de l’Olympe est écrit pour toujours,
Les peuples ont reçu, de l’Egypte féconde,
Le plus grand monument des annales du monde.
Les noms, les attributs des signes éclatants,
Peuvent changer au gré du caprice des temps;
Mais l’orbe restera dans la céleste voûte,
Autant que ce soleil dont il trace la route.

 

« La piété de l’homme aux plus puissants des dieux
Osa distribuer les signes radieux :
Minerve dans le ciel guida l’Agneau timide;
Au superbe Taureau c’est Vénus qui préside;
Phébus eut les Gémeaux, Mercure le Cancer;
Le Lion rugissant trembla sous Jupiter;
Cérès avec l’Epi nous porta l’espérance ;
De sa robuste main Vulcain tint la Balance;
Le Scorpion brûlant de Mars suivit les lois ;
Diane au Sagittaire a prêté son carquois.
Chastes feux de Vesta, vous ranimez à peine
Le douteux Egipan que l’hiver nous ramène.
Junon, reine des airs, que ton Urne à longs flots
Épanche les trésors de ses fertiles eaux ;
Et toi Neptune, admis au partage du monde,
Protége tes Poissons au ciel comme sur l’onde.

 

« En peuplant de leurs noms le céleste palais,
La gloire a des héros consacré les hauts faits :
En Égypte Osiris, Bacchus dans l’Arabie,
Mythra cher à la Perse, Ammon à la Libye,
Bélus qui vit couler l’Euphrate sous ses lois,
Ont mérité le ciel pour prix de leurs exploits.
L’Hercule qui du Nil dompta le cours rapide,
Cet Hercule thébain que nous rend notre Alcide,
De ses douze travaux a rempli tous les cieux;
Chaque pas du soleil les rappelle à nos yeux.
Là brillent le lion, le monstre d’Érymanthe,
Les serpents étouffés d’une main innocente,
L’hydre cent fois frappée et renaissante encor,
Achérois vaincu, la biche aux cornes d’or,
L’immense Géryon tombant sous sa massue,
Les oiseaux de Stymphale expirant dans la nue,
Le taureau des Crétois, par Dédale enfermé,
Rendant le sang impur dont il était formé,
De l’arbre d’Hespérus les pommes enlevées,
Les juments de Typhon dans son sang abreuvées,
Et le triple Cerbère arraché des enfers,
Épouvantant les cieux quoique chargé de fers.

 

« Mais entre chaque pôle et la zone inclinée
Que parent de leurs feux les signes de l’année,
Dans ces champs azurés combien d’astres épars,
Se partageant l’Olympe, attirent les regards !
Pour parcourir ce ciel que notre vue embrasse,
L’homme, par la pensée, a divisé l’espace.
Le compas d’Uranie a tracé dans les airs
Sept invisibles points et huit cercles divers.
Tandis que tous les cieux roulent d’un pas tranquille,
A leur centre commun la terre est immobile :
Aux deux bouts de leur axe, en des climats glacés,
De Borée et d’Auster les pôles sont placés :
Apollon tour à tour rencontre dans sa lice
L’un et l’autre équinoxe et le double solstice.
L’horizon fuit en cercle autour du spectateur :
La sphère sur ses flancs arrondit l’équateur,
Qui des pôles entre eux divisant l’intervalle,
Garde de l’un à l’autre une distance égale :
Ces grands méridiens qui se courbent sur nous,
Coupent deux fois leur axe et s’y rencontrent tous :
La zone qu’en deux parts divise l’écliptique,
Voit ses bords limités par le double tropique;
Et les astres du pôle, en leur course bornés,
Dans deux cercles étroits semblent emprisonnés.

 

« Voyez-vous cette étoile à sa place arrêtée,
De la commune loi par le sort exceptée?
Cynosure est son nom. Quand la mère des dieux
Redoutait pour son fils Saturne furieux,
La nymphe de la Crète, avec ses six compagnes,
Emporta Jupiter au sein de ses montagnes ;
Et l’Ida protégea, dans ses antres déserts,
L’enfance de ce dieu qui lance les éclairs.
Cynosure et ses sœurs, de la céleste voûte,
Propices au nocher, le guident dans sa route;
Et leurs astres, amis du souverain des dieux,
Pour l’Erèbe jamais ne quitteront les cieux.

 

« Non loin de Cynosure, et plus brillante encore,
S’élève Calisto vers le dieu qui l’adore.
Elle servait Diane : épris de tant d’attraits,
De la sœur d’Apollon Jupiter prend les traits :
Et la nymphe abusée à ses vives tendresses
Rendait avec transport d’enfantines caresses.
La sévère Junon, dans son orgueil jaloux,
Couvrit d’un poil grossier ce visage si doux ;
Calisto devint ourse, et sur les monts errante,
Elle pleura quinze ans sa faiblesse innocente ;
Hélas! elle était mère. Un jour, au fond des bois,
S’offre un jeune chasseur armé de son carquois.
C’est son fils. O tendresse ! ô douleur ! à sa vue,
Ne pouvant lui parler, Calisto méconnue
Tâche en vain d’adoucir son farouche regard.
Arrête, malheureux ! il la voit, le coup part...
Mais Jupiter veillait sur la nymphe timide;
Un prodige a trompé la flèche parricide.

 

« Brillez, astres du pôle, embellissez la nuit;
Le Dragon vous enlace, et le Bouvier vous suit.
Là sourit Ganymède; ici c’est la Couronne
Offerte à la beauté que Thésée abandonne ;
Et plus loin c’est Hercule, Hercule glorieux,
Fléchissant le genou pour rendre grâce aux dieux.
Le Dauphin dans le ciel levant sa tête humide,
La Flèche au vol léger, l’Aigle encor plus rapide ;
Le Cygne harmonieux, à qui, brûlant d’amour,
Un dieu dut le bonheur, et deux héros le jour ;
Le Vautour las enfin de déchirer l’impie,
Et le coursier vainqueur dans les champs d’Olympie
Des étoiles du nord compagnons immortels,
Les entourent de feux comme elles éternels.
Voyez-vous, orgueilleux d’une plus belle gloire,
L’autre coursier si cher aux Filles de Mémoire,
S’élever sur son aile et conquérir les cieux ?
Il frappe de son pied le Verseau pluvieux,
Comme il fit autrefois sur le sommet aride
D’où jaillit à longs flots la source Aganippide.
Dirai-je le Delta, les sœurs de Phaéton,
Le serpent d’Esculape et le char d’Érichthon ?
Érichthon, l’inventeur du rapide quadrige,
Mais de qui la naissance, ineffable prodige,
A fait rougir le front de la chaste Pallas,
Quand l’amour de Vulcain outrageait ses appas.

 

« Au-dessus de Pégase, à l’éclat dont il brille,
L’œil reconnaît Céphée, et sa femme, et sa fille.
Andromède expiait, sur un roc odieux,
Le crime de sa mère et le courroux des dieux.
Cette reine trop belle, ivre de sa fortune,
Méprisa les attraits des filles de Neptune.
Un monstre que la mer vomit près de l’Atlas,
Vint du prince numide infester les États :
Et l’oracle ordonnait qu’offerte en sacrifice
Andromède du ciel désarmât la justice.
Enchaînée au rocher qui domine les mers,
Elle entend à ses pieds mugir les flots amers ;
Et le monstre déjà, du fond du noir abîme,
S’apprête à dévorer la dernière victime.
Nul espoir de secours, tout a fui de ces lieux :
Et quel bras s’armerait pour l’arracher aux dieux ?
Les dieux ont condamné, l’heure vient, la mer gronde,
Et la victime est seule entre le ciel et l’onde.
Tout à coup, ô prodige! est-ce un dieu qui fend l’air ?
C’est un jeune héros, le sang de Jupiter,
Emportant dans les cieux son terrible trophée,
La tête de Méduse. O fille de Céphée,
Lève tes yeux mourants, dissipe ton effroi ;
Persée aux pieds ailés est déjà près de toi.
Il apprend son malheur, il combattra pour elle.
Pour qu’il soit généreux la victime est trop belle.
Seule avec son vengeur, Andromède rougit.
Et cependant la mer s’enfle, écume, mugit.
C’est le monstre. Persée, élancé du rivage,
Du dragon sur lui seul veut détourner la rage.
L’un vole dans la nue, et l’autre sur les flots
Se dressant, de son dard menace le héros;
Dans ses replis affreux il brûle de l’étreindre.
Le héros fond sur lui sans se laisser atteindre,
S’élève, redescend, frappe encor, mais en vain,
L’écaille impénétrable a repoussé l’airain.
Le monstre est en fureur; Andromède éperdue
De cet affreux combat veut détourner la vue,
Pousse un cri lamentable, et, levant ses beaux yeux,
Retrouve son vengeur qui plane dans les cieux.
Vingt fois il eût péri moins prompt et moins agile;
Vingt fois le fer trompé tombe sur le reptile.
Le terrible ennemi, bondissant sur la mer,
Poursuit de ses élans le fils de Jupiter.
La fille de Céphée, en sa douleur mortelle,
Pleure, frémit de crainte, et ce n’est plus pour elle.
Mais enfin le héros vers le monstre abhorré
Précipite son vol, et, d’un bras assuré,
Dans sa gueule béante enfonce cette épée
Du sang de la Gorgone encor toute trempée.
C’en est fait : à ses pieds revoyant son vengeur,
Andromède a senti redoubler sa rougeur;
Les dieux sont satisfaits, et, près de lui placée,
Jusqu’au brillant Olympe elle a suivi Persée.
Par quels plus beaux exploits monte-t-on dans les cieux ?

 

« D’autres astres encor s’élèvent à nos yeux
Par delà l’équateur et la ligne écliptique :
La coupe de Bacchus, et l’Hydre du tropique ;
L’Éridan, qui reçut dans son lit embrasé
Le char de Phaéton par la foudre brisé;
Le Corbeau, qui trahit un amoureux mystère ;
Et l’Autel, des serments sacré dépositaire;
La Baleine, le Loup, l’agile Procyon,
Le brûlant Sirius ; toi surtout, Orion,
Toi, dont le bras soulève ou chasse les tempêtes,
Le plus beau de ces feux qui roulent sur nos têtes :
Ta ceinture éclatante atteste à l’univers
Que tu dois la naissance au souverain des mers.
O vous, que sur les flots emporte votre audace,
Conjurez ce géant que Phébus seul efface.
O Grecs, sur ces flambeaux brillants de toutes parts,
Pieux navigateurs, attachez vos regards ;
Ils vous parlent des dieux : vers de lointains rivages
Ils ont guidé vos pas, à travers les orages :
Consacrez-leur un culte, et des bienfaits nouveaux
Deviendront chaque jour le prix de vos travaux.
Que de secrets encor nous réserve Uranie !
Mais ce ciel qui m’écoute est ouvert au génie.

 

« Regardez cette zone où se perdent nos yeux,
Qui du nord au midi ceint la voûte des cieux,
Et qui, tout à la fois brillante et nébuleuse,
Laisse tomber sur nous une clarté douteuse.
Dites-moi si du sein de l’auguste Junon
Une goutte échappée a tracé ce sillon;
Si le char égaré par le fils de Clymène
Des cieux qu’il embrasait a dévasté la plaine;
Ou bien faut-il en croire un récit des vieux jours ?
Le soleil autrefois suivait un autre cours ;
Cette zone, dit-on, en a gardé la trace,
Et le pôle lui-même avait une autre place.
Mais plutôt n’est-ce point le concours radieux
D’innombrables flambeaux qui confondent leurs feux,
Qui forme ce tissu de lumière incertaine
Dont la reine des nuits pare son front d’ébène ?

 

« Si les dieux dans l’Olympe ont établi leur cour,
Des héros cette zone est le brillant séjour.
C’est là que de mortels une race choisie
Est admise aux festins qu’embaume l’ambroisie.
Ceux à qui la patrie a dû ses saintes lois,
Et ceux qui de leur sang ont cimenté ses droits,
Les sages, les héros à la vertu fidèles,
Et les chantres aimés des doctes Immortelles,
Au céleste banquet sont dignes de s’asseoir.
Amis, et vous aussi concevez cet espoir :
La gloire vous appelle; heureux ceux qui l’entendent:
La carrière est ouverte, et les dieux vous attendent.
Un jour, reconnaissants de vos nobles travaux,
Et pleins du souvenir des vainqueurs de Colchos,
Les mortels placeront dans ce ciel qui m’inspire,
Le vaisseau qui vous porte, et vos noms et ma lyre. »

 

Ainsi disait Orphée, et ses accords savants
Allaient mourir au loin sur les ailes des vents.
Amphitrite prêtait une oreille attentive;
Et déjà, retirant leur clarté fugitive,
Ces astres que chantait son luth harmonieux
Achevaient lentement leur route dans les cieux.