Discours sur les prix de vertu fondés par M. de Montyon

Le 24 août 1819

Pierre DARU

PRIX DE VERTU FONDÉS PAR M. DE MONTYON

DISCOURS DE M. LE COMTE DARU.

Prononcé dans la séance du 24 août 1819

EN ANNONÇANT LA FONDATION DES PRIX DE VERTU.

 

 

M. le comte Daru, directeur de l’Académie française, en ouvrant la séance publique du 24 août 1819, a annoncé, dans le discours suivant, la fondation des prix de vertu qui, à partir du 24 août 1820, doivent être annuellement distribué par l’Académie, au nom du vénérable fondateur, M. de Montyon.

 

Messieurs,

Autrefois l’Académie, indépendamment des prix qu’elle décernait aux bons ouvrages, couronnait aussi les belles actions. Tous les ans, dans ses solennités, un récit simple, mais touchant, venait se mêler à nos lectures littéraires. Appelé à l’honneur de porter la parole dans cette séance, j’ai à me féliciter doublement du retour de cet ancien usage, puisque j’ai déjà une bonne action à proclamer, en annonçant que, par une fondation nouvelle, le prix de vertu vient d’être rétabli.

Il y a près de quarante ans qu’un anonyme, dont nous devons respecter le secret, mais en qui nous serions bien sûrs de trouver un excellent citoyen et un homme éclairé, conçut l’heureuse idée d’offrir un encouragement à la vertu modeste. On voit qu’il savait aussi en offrir l’exemple.

Il jugea que des hommes voués à la culture des arts de l’esprit se feraient un honneur de concourir avec lui au perfectionnement de la morale publique.

L’Académie avait dès longtemps cherché à exciter une noble émulation parmi les âmes élevées, lorsqu’elle avait proposé l’éloge de quelques hommes qui ne devaient pas toute leur illustration à de grands talents. Charger l’éloquence de célébrer l’Hôpital, Sully, Catinat, Montausier, Fénelon, c’était sans doute décerner un prix à la vertu ; mais, disait l’auteur de la fondation, il n’est qu’un petit nombre d’hommes dont les actions aient de la célébrité, et le sort du peuple est que ses vertus restent ignorées. Tirer ces vertus de l’oubli, c’est les récompenser et en faire naître de nouvelles. Ce furent ces considérations qui le déterminèrent à faire remettre à l’Académie une somme de 12,000 francs, dont l’intérêt était destiné à décerner une médaille à l’auteur d’une bonne action.

Ici il ne s’agissait plus d’appeler le talent à répandre une gloire nouvelle sur des vertus déjà éclatantes l’Académie n’avait à choisir le plus digne que parmi des personnages obscurs, et l’action couronnée devait être exposée dans un récit simple et fidèle dont le fondateur avait même pris soin de limiter la durée à un demi-quart d’heure.

Dans l’intervalle de 1782 à 1790, ce prix fut adjugé dix fois, car il y eut des années où l’on fut assez heureux pour en avoir plus d’un à décerner, et l’élite de la société éclairée, qui aime à fréquenter les assemblées littéraires pour y goûter de nobles plaisirs, n’en eut pas moins à entendre le récit d’une bonne action que la lecture d’un bel ouvrage. Elle couvrait de ses applaudissements une marchande mercière de Paris qui avait brisé les fers d’un prisonnier de la Bastille ; un artisan pauvre qui avait refusé un legs dont le payement aurait appauvri la famille du testateur ; des personnes courageuses qui, au péril de leur vie, avaient secouru des naufragés ; des domestiques fidèles ennoblissant leur état en devenant les soutiens de leurs anciens maîtres tombés dans l’indigence ; une servante qui s’était signalée par son dévouement au milieu du pillage de la manufacture de M. Réveillon ; une fille qui avait renoncé à sa liberté pour s’enfermer pendant dix-huit ans auprès de sa mère.

Il suffit de rappeler de tels traits pour faire juger combien l’Académie dut regretter la perte des capitaux affectés à en assurer la récompense. Bientôt après elle disparut elle-même, et l’usage de décerner un prix à une belle action était interrompu depuis près de trente ans, lorsqu’une main, qui a encore pris soin de se cacher, nous a fait parvenir, il y a quelques mois, une somme destinée au rétablissement de cette fondation.

Cette heureuse conformité dans l’objet de la donation et dans les sentiments patriotiques qui l’ont inspirée, semblent autoriser une conjecture à laquelle nous aimons à nous livrer, c’est que le généreux citoyen à qui nous devons ce nouveau bienfait était déjà l’auteur du premier. Ainsi la bienfaisance ne se décourage point ; ainsi, après trente années d’interruption, de malheur peut-être, celui qui autrefois avait encouragé les pauvres à la vertu, ne se croirait point quitte envers eux et voudrait encore leur en offrir la récompense. Ah ! s’il nous entend, qu’il nous pardonne d’avoir deviné une partie de son secret. C’est sans doute un sage, c’est sans doute un homme accoutumé à méditer sur l’organisation de la société, que celui qui se propose pour objet l’amélioration de ses semblables et s’il nous est permis de tirer quelque induction du choix qu’il a fait de nous pour être les dispensateurs de ses bienfaits, nous aimons à nous le représenter comme un ami des lettres et de quelques-uns de ces personnages illustres qui les ont cultivées avec gloire. Puisse cet honorable vieillard, qui se dérobe à la reconnaissance, jouir longtemps du bonheur de faire tous les ans un heureux de plus

L’Académie a eu à se féliciter plus d’une fois de voir la munificence des bons citoyens ajouter à l’éclat de ses solennités. Dans cette séance même, on vient de vous rendre compte, Messieurs, du concours ouvert pour décerner un prix à l’ouvrage le plus utile aux mœurs, et au meilleur poëme sur l’enseignement mutuel; on vous indique pour sujet d’un prix de poésie le dévouement de Malesherbes ces trois prix nous ont encore été offerts par des anonymes. Le choix de pareils sujets décèle un zèle éclairé pour la propagation de la saine morale, et un esprit supérieur qui veut faire triompher une méthode utile des préjuges qui la repoussent. Mais il est aussi, dit-on, des esprits chagrins qui ont voulu mettre en doute l’utilité de nos concours académiques. je ne sais même s’ils ont approuvé le prix de vertu, en ce cas nous aurions à leur opposer d’illustres suffrages car toutes les fois que l’Académie s’est trouvée dans l’heureux embarras d’avoir à récompenser deux actions également dignes de la couronne, les fonds d’un second prix ont été sur-le-champ mis à sa disposition, soit par de bons citoyens, qui ont voulu s’associer au mérite du fondateur en l’imitant; soit par des personnes augustes qui ont même permis de les nommer, pour manifester plus hautement l’approbation qu’elles accordaient à cette institution. À la tête de ceux qui l’ont généreusement protégée, nous aurions à citer M. le duc de Penthièvre et la reine Marie Antoinette.

Mais jamais nos concours académiques n’ont été si spécialement honorés d’une glorieuse attention, que depuis que notre Compagnie a le bonheur de voir dans son protecteur celui auprès de qui, si elle l’osait, elle irait chercher des modèles : Minerve assise sur le trône doit être sans doute pour les yeux des muses un spectacle bien doux. De tous les actes par lesquels la bienveillance de leur auguste protecteur aime à se signaler, le plus récent et celui qu’il nous est le plus permis d’apprécier, est cette loi désormais fondamentale qui a affranchi la pensée de toutes les entraves que l’autorité inquiète avait cru devoir lui imposer.

Il n’appartient qu’à la sagesse éprouvée de permettre à toutes les opinions de se manifester, et de sentir qu’il y a un noble prix à recueillir de cette noble concession, la connaissance de la vérité s’il est glorieux de savoir la dire. Il est beau de savoir l’entendre. C’est aux véritables gens de lettres de justifier l’honorable opinion que le monarque a eue de son siècle Puissent-ils ne faire qu’un louable usage de ce droit qui vient de leur être rendu Quelle reconnaissance ne doivent-ils pas au prince éclairé qui semble leur confier les intérêts de la vérité et les droits du malheur ! Puissent-ils ajouter, par d’heureux travaux, à la gloire de la patrie, et avoir bientôt à célébrer les espérances de la France comblées, celles du trône assurées pour de nouvelles générations, et la bonté du prince réparant toutes les infortunes ! Après des discordes sanglantes, les muses, dit un ancien poète, portaient aux pieds d’Auguste les vœux de la clémence et de la justice, et elles se relevaient consolées ([1]).

 

 

[1] Vos lene consilium et datis, et dato
Gaudetis, almae.