Discours de réception de Jean-Baptiste Dureau de La Malle

Le 1 mai 1805

Jean-Baptiste DUREAU de LA MALLE

M. Dureau de La Malle ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. de Boisgelin, y est venu prendre séance le mercredi 1er mai 1805, et a prononcé le discours qui suit :

    

Messieurs,

En recherchant les causes qui ont pu déterminer vos suffrages, malgré l’infériorité de mes talents et celle du genre où je me suis exercé, j’ai cru reconnaître que vous aviez songé principalement à consacrer de nouveau votre respect pour cette vénérable antiquité, qui a été le premier maître de vos membres les plus illustres, et à manifester encore votre admiration pour le grand et sublime historien dont la gloire a fait toute la mienne. C’est pour la seconde fois que Tacite a ouvert les portes de votre sanctuaire. Avant moi, d’Ablancourt lui avait dû son admission dans ce sénat littéraire. Tacite a été près de vous l’introducteur de ses interprètes et c’est ainsi que ce vaste et gigantesque laurier, qui porte sa tête dans les nues, a reproduit à ses pieds de frêles rejetons qui, protégés par son ombre immense, ont pu mériter d’être transplantés dans votre sein.

Une autre cause a pu concourir à votre indulgence, et vous inspirer quelque estime pour mes faibles travaux : c’est la connaissance approfondie que vous avez de notre langue et des difficultés qu’elle semble opposer à la traduction.

Qui sait mieux que vous, Messieurs, combien est prodigieuse l’opposition des éléments qui composent les langues des différentes nations, soit anciennes, soit modernes ? Ici, un attirail grammatical d’articles, d’auxiliaires et de pronoms qu’il faut que la phrase traîne toujours avec soi ; là, plus libre et plus dégagée, elle semble avoir les ailes de l’imagination et la rapidité de la pensée. Tantôt l’inversion est l’habitude journalière de la langue ; tantôt elle en est une circonstance extraordinaire, une hardiesse, un ornement. Prostituée chez les Grecs et les Romains à la langue usuelle, elle est réservée parmi nous à la langue de faste et de pompe, à la poésie, à la haute éloquence, aux mouvements passionnés, soit de l’imagination, soit du cœur.

Dans les langues anciennes, la désinence du mot, variée dans les différents modes de sa déclinaison, permet aux mêmes mots de se rapprocher, de se répéter sans offenser l’oreille, parce que la différence des terminaisons sauve l’uniformité des répétitions ; c’est tout le contraire dans les langues modernes.

Combien de causes diverses ont influé sur le caractère de chaque idiome, celui des peuples qui le parlent, celui des climats qu’ils habitent, celui des gouvernements qui les régissent ! Le beau ciel, les beaux champs de la Grèce et de l’Italie offrant de toutes parts des objets riants, multipliant les émotions douces, ont multiplié les syllabes sonores, les mots harmonieux, l’heureux concours des voyelles, tandis que, dans les affreux pays du Nord, la présence habituelle d’un ciel en courroux et d’une nature en souffrance, attristant perpétuellement l’âme de sentiments pénibles, semble avoir donné de la contrainte et de l’effort au langage. Là se rencontrent à chaque instant des sons âpres, des syllabes rudes, un entassement de consonnes qui se heurtent ; et l’on dirait que leur langue y répète en écho le sifflement de leur aquilon.

On a remarqué, et c’est un Anglais lui-même, c’est Adisson qui a fait cette observation, que cette grande quantité de sons brefs, de monosyllabes secs qui remplissent la langue anglaise, devait être attribuée en partie à la taciturnité habituelle de la nation, qui semble regretter le temps qu’elle donne à la parole, qui économise les sons, abrége les mots ; et si leur commerce avec d’autres nations a introduit dans leur langue quelques-uns de ces mots allongés des langues méridionales, leur prononciation, fidèle aux habitudes de ce peuple, s’attache à les raccourcir, comme s’ils craignaient que ce prolongement de sons n’interrompît trop longtemps leur silence rêveur.

Je ne suffirais point à rapporter les innombrables variétés qu’ont amenées dans la langue des différents peuples mille circonstances diversifiées à l’infini, le plus ou moins d’avancement dans leur civilisation leur isolement ou leur communication avec d’autres peuples, leurs habitudes, leurs mœurs leurs usages, leur religion, leurs occupations, ou guerrières, ou rurales, ou pastorales leur vie sédentaire ou errante, leur séjour ou dans les villes, ou dans les champs ; l’ascendant qu’y exercent les différents pouvoirs ou du peuple, ou des grands, ou du monarque, ou des femmes, puissance non moins influente sur le langage. Tel mot est ennobli dans une langue, tandis que le mot correspondant se trouve dégradé dans une autre ; tel peuple a pour la même idée une multitude de mots surabondants, tandis qu’ailleurs on n’a pas même le mot nécessaire ; et de cette foule de combinaisons, infiniment variées, il résulte une telle disparité dans le langage, qu’il ne reste plus rien de commun ni dans le tour, ni dans l’arrangement des mots, ni dans leur association ; et nulle part ces oppositions ne sont plus fortement marquées qu’entre la langue des anciens Romains et celle des Français. Or, quand les deux langues se trouvent ainsi presque incompatibles, et que la discordance de leur génie ne laisse nul espoir de conciliation, alors le traducteur, cessant d’être un copiste de mots, peut prétendre à la gloire d’une espèce d’originalité. Ne pouvant plus être guidé par la phrase, ou grecque ou latine, dont les mots n’ont plus la même acception, ne produiraient plus les mêmes effets, deviendraient aussi désordonnés dans leur arrangement que dissonants dans leur harmonie, alors il est obligé de se créer une diction nouvelle, de saisir de nouveaux rapports, de former de nouvelles combinaisons. S’il veut, comme il le doit, ne pas s’écarter de son auteur, au défaut de la phrase qui l’égarerait trop souvent au lieu de le diriger, il est forcé en recommençant tout le travail d’exécution de l’auteur original, de pénétrer comme lui dans toute la profondeur de la pensée pour lui donner les mêmes développements ; de se peindre aussi fortement tous les objets pour les retracer avec la même exactitude, et de prendre toutes les passions de son âme, toutes les fougues de son humeur, toute la mobilité de son imagination, pour retrouver la souplesse, la variété, la chaleur, la véhémence, enfin toutes les qualités de son style. Pour traduire alors, il faut reproduire. Certes, un pareil travail n’est point sans quelque mérite, si les difficultés en sont surmontées plus heureusement que je n’ai pu le faire.

Et qu’on ne craigne pas que ces disparates et cette opposition des deux langues puissent nuire à la fidélité de la traduction. Sans doute on aurait raison de s’alarmer, si cette fidélité devait consister dans les mots, s’il était question de rendre le génie de la langue, et si l’on ne devait pas bien plutôt s’attacher à rendre le génie de l’écrivain ; et pour cela qu’importe que les deux langues se rapprochent plus ou moins par le mécanisme et le jeu de leur phrase ? L’essentiel n’est pas de rendre cette phrase, mais les idées, mais les images, mais les mouvements. Or, les idées sont dans l’entendement, il faut les y concevoir ; les images sont dans la nature, il faut les y observer ; les mouvements sont dans l’âme, il faut les y ressentir. Gardons-nous de gêner les traducteurs de détails minutieux et de soins puérils. Ce ne sont point les cendres qu’il faut conserver, c’est la flamme.

Une des difficultés de l’art de traduire, c’est de bien démêler ce qui appartient au génie de l’écrivain et ce qui n’appartient qu’au génie de la langue. Cette opération suppose même à un assez haut degré une qualité éminente de l’esprit, le jugement. Trop souvent les traducteurs s’y sont mépris. Ils ont traduit la langue, au lieu de traduire l’écrivain.

Ce n’est pas toutefois qu’on ne puisse, qu’on ne doive même essayer quelquefois de transporter parmi nous quelques-unes de ces locutions des autres peuples, quoiqu’en apparence étrangères à notre langage. C’est un des moyens de l’enrichir, et c’est même un des avantages de la traduction, qui ont pu concilier à ce genre de travail l’estime d’une société littéraire jalouse d’accroître les richesses du dépôt qui lui est confié. Nos écrivains originaux l’ont tenté plus d’une fois, et avec succès. On connaît ce vers de Britannicus :

Ah ! quittez d’un censeur la triste diligence.

et cet autre d’Athalie :

Qu’il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage.

Ce sont deux latinismes que Racine a empruntés, l’un à Térence, l’autre à Virgile ; et de pareils traits semés de loin en loin ne déparent pas notre langage. Ils flattent l’imagination, parce qu’il s’y joint une idée d’acquisition et de conquête. D’ailleurs ils ont encore le mérite d’être une espèce de citation qui rappelle agréablement à la mémoire ces auteurs favoris, qui ont été l’objet des études de notre enfance, et qui font encore le charme d’un âge plus avancé ; mais il ne faut pas que de pareils emprunts soient trop répétés, parce qu’ils finiraient par ruiner notre langue, par la dénaturer. Ils ne doivent pas former le fond de la diction : ce ne doit être qu’un ornement très-passager ; et surtout, dans le cours de l’ouvrage, il importe de se ramener constamment aux formes qui nous sont propres ; et il doit y régner un tel esprit de liberté et d’originalité, qu’on ne puisse imputer à un esprit de servitude cette imitation momentanée des formes d’une langue si différente de la nôtre.

On a, ce me semble, beaucoup trop exagéré l’infériorité de notre langue comparée aux langues anciennes. J’avoue que je suis loin de partager des préventions si défavorables, et je n’ai garde de médire de ce bel idiome que vous m’avez appris vous-mêmes à respecter par la foule des beaux ouvrages sortis du sein de cette société, depuis l’époque de sa fondation jusqu’à celle de son renouvellement.

Et comment croire, en effet, qu’il n’y ait pas d’inépuisables ressources dans la langue d’une nation dont la civilisation est si ancienne, où la société si perfectionnée donne un choc continuel aux esprits, où tous les arts sont cultivés, toutes les sciences approfondies, et qui a recueilli l’héritage de tous les pays et de tous les siècles ? Quelles richesses n’a pas dû et ne doit point encore verser dans notre langage ce commerce universel de talents, d’instruction et de lumières ? Et croyez Messieurs, j’ose ici l’annoncer d’avance, que ce concours de toutes les classes de notre Institut, de ces quatre nations de notre république littéraire qui se réunissent aux assemblées solennelles, comme toutes les nations de la Grèce se réunissaient à leurs jeux Olympiques, croyez que ces communications fréquentes entre l’érudition, les arts, les sciences et les lettres, en généralisant les idées, en propageant les connaissances propres à chacune d’elles, apporteront insensiblement de nouvelles richesses à votre langage , parce que de nouveaux rapports font bientôt sentir le besoin de les exprimer, et que les mots arrivent toujours à la suite des idées.

Il ne faut pas disconvenir, sans doute, que la langue française n’ait aussi ses inconvénients, ses imperfections et ses côtés faibles ; mais quelle langue n’a pas les siens ? Sans doute il est des circonstances où, par mille combinaisons, fortuites quelquefois, les langues anciennes prendront quelque avantage sur la nôtre ; mais il en est d’autres aussi où notre langue se relevant reprendra l’égalité, la supériorité même, et où, vaincue d’abord, elle reviendra victorieuse à son tour. Si notre langue éprouve de l’embarras en présence des langues anciennes, croyez que les meilleurs esprits de Rome et d’Athènes eussent plus d’une fois éprouvé aussi quelque découragement en présence de nos bons écrivains.

D’ailleurs, il ne faut pas se persuader que l’infériorité d’une langue décide irrévocablement de l’infériorité des ouvrages de l’esprit. Les difficultés s’en augmentent sans doute, mais ces difficultés mêmes sont un aiguillon pour le talent ; elles nécessitent les efforts qui seuls peuvent donner à la force tout son développement. Un des poëtes distingués qui siègent parmi vous, a fait l’apothéose de la difficulté : il en a fait une dixième muse. Pour les grands talents, ainsi que pour les grands hommes, c’est surtout le difficile qui est faisable.

Nul doute, quoiqu’un de vos plus ingénieux académiciens, la Mothe, ait avancé l’opinion contraire, nul doute que chaque langue n’ait son génie, c’est-à-dire, qu’elle n’ait plus ou moins de facilité à exprimer certaines idées plus ou moins familières au peuple qui la parle, et qu’il n’y ait dans la première formation de ses éléments, dans la structure de ses mots, et dans les combinaisons de sa syntaxe, quelque chose qui lui donne un certain caractère plus habituel ; mais nul doute aussi que ce génie des langues ne soit un génie secondaire. Il reste toujours subordonné au génie prééminent de l’écrivain qui reçoit de sa langue les mots et dispose de leur alliance ; qui, subjuguant le caractère de l’idiome, le contraint à fléchir sous le caractère de son sujet et de son âme ; qui au besoin lui donne de la force quand il penche vers la mollesse, de la douceur quand il tend à l’âpreté ; qui jouit avec abandon de ses richesses, mais qui, dans son indigence même, sait lui créer des ressources extraordinaires. Sénèque nous apprend dans ses lettres que la langue des Romains se refusait à l’expression des détails rustiques, et Virgile a fait les Géorgiques latines. Voltaire, dans le discours qu’il prononça devant vous, a insinué que notre langue se refuserait à l’imitation de Virgile dans la peinture de ces mêmes détails, et l’un de vous , Messieurs, a fait les Géorgiques françaises.

Il n’y a pas jusqu’aux avantages d’une langue qui ne puissent être un écueil pour l’écrivain ; il n’y a pas jusqu’à ses imperfections qui ne puissent être une ressource pour le talent.

Qui n’a retenu cette belle phrase de Bossuet, qui commence par ces mots : Restait cette redoutable infanterie, etc. ?

C’est un emploi inusité de l’inversion que notre langue n’admet, même dans le genre élevé, qu’avec des restrictions auxquelles l’auteur a refusé de se soumettre ; et cette espèce de violation des lois de notre langage devient ici une beauté de style frappante, parce que la majestueuse et sublime éloquence de l’orateur chrétien respire tout l’enthousiasme des prophètes, et qu’à la hauteur des cieux où il est venu s’asseoir, on sent qu’il a dû s’élever naturellement au-dessus des conventions vulgaires du langage des mortels.

Le charme musical qui domine dans les langues des anciens, et surtout dans celle des Grecs, fait que toujours sûrs de plaire encore par l’heureuse combinaison des sons, ils négligent trop quelquefois les idées. Ce vide d’idées se fait sentir trop fréquemment dans leur Isocrate, qui pourtant a joui parmi eux d’une assez grande renommée. En chantant pour l’oreille, il parle trop peu à l’esprit. On ne peut mieux le comparer qu’à nos vers d’opéra, toujours plus faibles et plus négligés, parce qu’ils comptent trop sur l’appui de l’art qui leur est associé. Dans les langues du Nord, au contraire, dont l’aspérité promet peu de plaisirs à l’oreille, les écrivains, se sentant dénués des ressources de l’accompagnement musical, s’adressent plus à l’âme et à l’esprit. Ils nous dédommagent par une plus grande profondeur de sens et par une plus riche abondance d’idées.

De toutes les langues du monde entier, la plus propre à la conversation, c’est la langue française ; et les Anglais eux-mêmes, quoique enorgueillis de leur idiome, et un peu dédaigneux pour le nôtre, ont la bonne foi de nous reconnaître à un très-haut degré cet avantage ; peut-être aussi parce qu’étant faits pour y attacher moins d’importance, cet aveu effarouche moins leur jalousie nationale. Nulle langue, en effet, n’a plus de fécondité que la nôtre pour exprimer toutes les nuances les plus fines et les plus délicates du sentiment, ou de ce qu’on veut qui y ressemble. Mais cette fécondité même a été trop souvent un piége pour nos écrivains. Marivaux, entre autres, qui assurément avait bien mérité sa place parmi vous, mais qui, en obtenant une juste réputation, s’est attiré de justes critiques, Marivaux a montré une prodigieuse sagacité dans la dissection de tous ces replis imperceptibles où cherchent à s’envelopper les petites dissimulations de l’amour-propre, les petites inconséquences du caractère, les petites bizarreries de l’humeur ; mais trop souvent aussi, abusant des facilités que lui donnait l’instrument dont il avait à se servir, il a poussé la finesse jusqu’à la subtilité ; et certes il eût bien réprimé ce luxe importun de son esprit, s’il n’eût trouvé dans sa langue de quoi l’alimenter.

Il s’en faut que pour la poésie descriptive on puisse reprocher à notre langue ce luxe surabondant ; quelquefois même elle paraîtrait plutôt manquer du nécessaire ; et c’est un point sur lequel il faut convenir de la supériorité des langues anciennes, et même de la langue-anglaise sur la nôtre. Ne croyons pas pourtant que la langue qui a produit l’admirable récit de Théramène soit indigne de l’épopée ; et dans ce genre elle a fait encore des acquisitions depuis Racine. Ses locutions se sont multipliées, sa diction s’est enhardie. Nombre de mots, qu’avait repoussés jusqu’ici l’orgueil de la langue poétique, ont osé se montrer dans nos vers, d’abord avec discrétion, n’y occupant que la place la moins apparente, se faisant escorter par des épithètes harmonieuses qui les relèvent, et soutenir par la richesse des détails qui les entourent, et imposent silence au dédain. Insensiblement on s’accoutume à les voir ; et bientôt, sans toutes ces précautions timides qui ont accompagné leur première présentation, ils parviendront à figurer avec succès dans notre poésie, parce qu’en effet les grands poëtes sont toujours sûrs de faire partager leur enthousiasme, et que le lecteur, se passionnant comme eux pour les images qu’ils lui présentent, ne peut manquer à la fin de faire accueil au mot nécessaire pour les exprimer .

Jusqu’à la prose a servi aux progrès de notre poésie. Elle lui a donné des exemples et des motifs d’émulation dans la magnificence des grands tableaux de Buffon, et dans le charme des élégantes descriptions de l’auteur des Études de la Nature . Je ne sais quelle confiance dans notre langue poétique a gagné insensiblement toute la nation. L’un de vos membres distingués , qui à la tête d’un autre corps, fait souvenir qu’il appartient à celui-ci, nous prépare une épopée. L’heureux traducteur des Géorgiques vient de porter encore un nouveau défi à la langue des Romains dans le genre le plus approprié à son génie. Même défi a été porté à la langue des Anglais dans celui de leurs poëmes qui fonde le plus l’orgueil de leur nation. Les plus grands tableaux de la nature et toutes les richesses de la poésie descriptive vont vous être étalés successivement dans deux magnifiques ouvrages, le poëme de l’Imagination et celui des Trois Règnes, dont l’un en grande partie est déjà connu de vous, et l’autre n’a guère été jusqu’ici confié qu’à l’amitié. On pourra juger alors, ou des ressources inconnues de notre langue, on des ressources du génie pour y suppléer. Et pardonnez, Messieurs, si mon admiration pour les autres grands talents qui décorent cette société littéraire se trouve peut-être un peu trop longtemps distraite par celle que mon cœur a besoin d’épancher pour un ami du premier âge et un ami de toute la vie.

C’est donc ainsi, Messieurs, que vous parviendrez à remplir insensiblement, par de beaux ouvrages, cette lacune qui se trouve encore dans notre langue poétique ; car il est juste d’imputer à la classe entière les fruits mêmes du travail individuel de ses membres. Et c’est pour cela peut-être qu’il a été utile de ne pas surcharger l’Académie en corps de travaux qui eussent trop détourné des conceptions particulières qui ne peuvent être l’ouvrage que d’une seule tête. Vous le savez trop, Messieurs, les œuvres du génie ne s’accommoderaient pas de trop fréquentes interruptions. L’enthousiasme qu’on laisserait refroidir ne se rallumerait pas toujours facilement. C’est le feu sacré de Vesta qui doit brûler sans cesse. Les beaux ouvrages ne peuvent être que le produit d’une âme très-passionnée, et les passions sont unes dans leur objet. Tout ce qui se partage s’affaiblit ; et puisque le perfectionnement de notre langue est l’objet spécial des travaux auxquels vous vous livrez en commun, qui peut y concourir plus efficacement que les beaux ouvrages eux-mêmes qui ajoutent aux richesses de la langue, et qui vous fournissent une autorité pour vos décisions ?

A ce moyen puissant de grossir le trésor de notre langue poétique, et d’en combler successivement tous les vides, vous y joindrez ceux qui tiennent à votre établissement en société. Vous vous empresserez de recouvrer d’anciennes richesses qu’on a laissé perdre, vous rajeunirez les mots vieillis que la poésie réclame, et vous accueillerez les mots nouveaux dont l’emploi aura été justifié par les heureux effets qu’ils produisent ; et c’est ainsi que vous remplirez les deux grands objets de votre institution, celui d’enrichir notre langue, et celui de la fixer.

Qu’il me soit permis de m’arrêter ici un instant pour développer toute l’importance de ce dernier objet, qui en donne une si grande à votre établissement.

De toutes les nations, la plus sociable est la nation française. C’est celle où l’on a le plus le besoin de se communiquer ses sentiments, ses idées, et de se plaire mutuellement. Mais ce désir général de plaire, qui donne tant d’agrément à l’esprit, qui répand tant de charmes dans la conversation, et qui a tant contribué à féconder cette partie de notre langage, doit tendre naturellement aussi à l’altérer, parce que l’abus se trouve toujours à côté de la richesse.

L’habitude des succès de société en donne le besoin ; et ce besoin irrite les petites ambitions, exalte les petites vanités qui, cherchant toujours à se distinguer, se trompent quelquefois sur les moyens. On ne se contentera pas toujours de parler mieux; on voudra parler autrement.

Comme la nouveauté est un moyen infaillible de se distinguer, on recherchera cette nouveauté, qui flatte d’ailleurs l’inconstance des goûts et la mobilité d’imagination d’un peuple spirituel, vif et léger. La nouveauté des idées suffirait sans doute pour procurer cet éclat de distinction que l’on recherche ; mais les idées neuves ne peuvent être que le produit de la méditation solitaire et du recueillement du cabinet. Communément, elles ne seront point à l’usage des hommes du monde et des femmes qui, dans l’art de converser, ne sont pas la partie la moins brillante de la nation. Elles ne peuvent être l’improvisation de ces entretiens journaliers où l’on ne peut que glisser sur les superficies, où il faut effleurer les objets, et où l’on se garderait bien, quand on le pourrait, de les approfondir, parce qu’alors il faudrait retenir à soi toute la conversation qui doit passer rapidement de bouche, en bouche, et parcourir légèrement le cercle entier de la société. Alors, au défaut des idées, la vanité se rejette sur la nouveauté des mots ; et de là viennent peu à peu les raffinements de l’expression, la bizarrerie des tournures, et tout ce néologisme qui a cherché plus d’une fois à envahir notre langage.

A cela auraient pu se joindre les prétentions des classes plus élevées, qui, entre autres distinctions, ne négligeaient point celle que pouvait leur donner la grâce d’un langage à la fois piquant et naturel, et qui semblait leur être propre. Mais les classes inférieures ne tardant point à se former à l’exemple des classes plus élevées, la ville aurait insensiblement imité la cour ; et comme il faut toujours à la vanité des distinctions, quelles qu’elles soient, dès qu’une fois la ville aurait épuré son langage, je ne serais point étonné que la cour n’eût été tentée de gâter le sien, pour ne plus parler comme la ville.

Dans une capitale immense, partagée en une infinité de sociétés particulières qui ne peuvent communiquer entre elles, mais qui ont toutes la prétention commune de se distinguer par quelques raffinements, cette communauté de prétentions et le défaut de concert auraient multiplié à l’infini les bigarrures du langage ; et cette corruption, augmentant d’année en année, aurait fini tôt ou tard par substituer à cette belle langue française je ne sais quel jargon, qui sans vous, Messieurs, se serait bientôt répandu de la langue parlée dans la langue écrite, du moins dans celle de la prose, dont les formes se rapprochent davantage de celles de la conversation. Il est à croire que la poésie se serait préservée plus longtemps de la contagion ; et c’est ce qu’on a vu dans l’empire romain, lorsque d’autres causes, mais non moins puissantes, eurent en moins de deux siècles totalement dénaturé la langue de Cicéron et de Virgile. Ce fut la prose qui s’altéra la première. Dans l’historien Ammien Marcellin, on ne trouve plus de traces de la langue de Salluste et de Tacite ; il n’y a pas une page de lisible, tandis que le poëte Claudien, qui écrivit cinquante ans après, a conservé, non pas toujours le génie et le talent de Virgile, mais toujours au moins l’élégance et la pureté de sa langue poétique. Vous rencontrerez dans Claudien deux cents vers de suite dignes du beau siècle de la littérature romaine.

Pour prévenir ou arrêter les progrès toujours croissants de cette corruption dans le langage, il n’a pas moins fallu que la permanence d’un corps tel que le vôtre, qui, depuis Corneille et Bossuet jusqu’à Voltaire et Buffon, a transmis une suite non interrompue de ces noms qui commandent le respect et l’admiration. Je doute que dans une nation telle que la nôtre, où l’esprit et les connaissances généralement répandues donnent aux hommes du monde de si justes prétentions, un seul homme de lettres, tel que Johnson en Angleterre, eût suffi, par sa seule autorité, à réprimer cette manie d’innovations, où le caractère même de la nation nous entraînerait par une pente irrésistible : il n’y a que les corps qui aient la force de maintenir; et pour imposer aux prétentions particulières, il a fallu l’autorité d’un corps qui a recueilli dans son sein les grands talents et les hautes réputations de deux siècles, et qui, par ses membres les plus illustres, a produit tous ces admirables ouvrages qui, comme l’a dit si bien Voltaire, forment la bibliothèque des nations, et qui ont été les instituteurs de notre jeunesse.

Faute d’un corps littéraire permanent qui conserve les traditions du langage, et qui serve à le fixer, au moyen d’un registre toujours ouvert que l’écrivain, qui aspire au mérite de parler purement sa langue, est bien obligé de consulter, voyez ce qui se passe chez une nation voisine, chez les Allemands. Là, comme il n’y a pas le centre commun d’une grande capitale qui donne au moins la loi aux provinces et leur prescrive son langage, comme tout est morcelé en États séparés qui ont chacun leur capitale et leur académie, dont l’indépendance influe sur l’indépendance des esprits, voyez dans quelle fluctuation perpétuelle roule cette langue ambitieuse et désordonnée du peuple germanique. Chaque nouvel écrivain se crée, pour ainsi dire, une langue nouvelle, qui en peu d’années, remplacée par une autre, finit bientôt par être oubliée. Là, les plus célèbres écrivains se survivent à eux-mêmes. Leur Wieland, leur Klopstock ont déjà vieilli. Chez les Anglais, où, comme chez les Allemands, la langue n’est pas soumise à cette heureuse influence d’un corps littéraire permanent, les meilleurs esprits se sont plaints de cette mobilité inévitable du langage qui donne tant d’instabilité aux réputations littéraires. Dryden, s’écrie Pope avec un accent douloureux, Dryden sera donc dans peu d’années ce qu’est aujourd’hui Chaucer, le Ronsard de l’Angleterre. Voilà donc ce qu’on serait en France sans vous, Messieurs ; et alors, qu’elle eût été déplorable la destinée des véritables hommes de lettres, j’entends de ceux qui sont faits pour empreindre leur génie dans des ouvrages immortels, s’ils avaient eu l’affreux pressentiment que leur génie mourrait avec cette langue périssable à laquelle ils l’auraient attaché, si trop souvent méconnus par la médiocrité, insultés par l’envie, et ne pouvant attendre une pleine justice que de l’impartiale postérité, ils avaient senti d’avance, par la caducité du langage, leur échapper cette postérité même, leur unique refuge contre l’injustice ou l’indifférence des contemporains ! Racine meurt, et le siècle de Louis XIV même n’avait pas su apprécier son chef-d’œuvre. Montesquieu meurt, et l’Esprit des lois n’avait pu encore être jugé. Où serait le dédommagement sans les réparations de l’avenir, sans cette vie de gloire, sans cette immortalité de réputation, le plus puissant aiguillon du génie, et sa plus digne, souvent son unique récompense ? Est-ce pour cette vie seulement qu’on fait le sacrifice de sa vie entière ? Est-ce pour le moment présent qu’on brave le faux goût du moment, qu’on brave les superstitions du moment, lutte presque toujours fatale à l’adversaire destiné à les terrasser un jour, et qui dans sa vie mortelle lui a coûté trop souvent le repos, la liberté, quelquefois la vie même ? Les hommes supérieurs sont trop au-dessus de leur siècle, pour qu’à la hauteur où ils se sont élevés, ils puissent être bien aperçus. Il faut qu’eux-mêmes, par l’influence de leurs écrits, aient élevé à leur tour la génération suivante, et la rapprochant d’eux, la mettent plus à portée de les voir et de mesurer leur véritable grandeur. Qu’est-ce que les souvenirs du passé, fugitifs comme cette époque du temps qui a déjà fui ? Le présent est borné comme nos sens : c’est l’avenir qui a le vague et l’indéfini de cette imagination qui enfante les chefs-d’œuvre du génie ; c’est l’avenir seul où peut jouir de sa pleine et entière existence ce génie qui travaille pour les siècles, qui travaille pour l’immortalité. Grâce à vous, Messieurs, la langue des Bossuet et des Racine sera éternellement la langue des Français. En fixant le sort de leur langue, vous avez fixé la gloire des écrivains passés, vous encouragez à la gloire les écrivains futurs. Cet avantage est grand sans doute; mais il en est un autre, non moins, important, et qui tient également à votre formation en corps littéraire : c’est l’influence qu’un pareil corps peut et doit exercer sur la critique.

Les critiques isolées sont trop souvent sujettes à l’erreur. Le caprice du moment et les bizarreries de l’humeur n’influent que trop sur nos jugements, sans compter les préventions funestes que peut donner la passion, qui ferme les yeux sur les beautés pour ne laisser apercevoir que les défauts, qui grossit les uns et atténue les autres.

Quelque étendue qu’un seul homme puisse avoir dans l’esprit, cet esprit se renferme toujours dans certaines limites plus ou moins étroites. Trop circonscrit dans le genre où il s’est le plus exercé, il en portera les principes et les habitudes, en jugeant des genres différents. Ainsi le grammairien, par exemple, et le métaphysicien, se tromperont quelquefois en exigeant, dans la poésie et dans les ouvrages d’imagination, cette rectitude grammaticale qui ôterait souvent de la vivacité au tour, qui détruirait la grâce, compagne des négligences aimables, et qui, en voulant réprimer un certain désordre dans la phrase et dans les idées, affaiblirait l’imitation des mouvements désordonnés de la passion. Accoutumés à juger le raisonnement par la raison, ils pourront oublier que le sentiment seul est juge du sentiment.

Chaque écrivain a un tour d’esprit qui lui est plus particulier, une certaine forme de caractère qui lui est plus habituelle, d’après lesquels il n’est que trop porté à juger les ouvrages d’autrui. Les esprits fins, délicats et polis, goûteront peu les beautés énergiques et brutes des imaginations fortes et hardies ; et celles-ci à leur tour, ne rendront point assez de justice à la finesse qui a du piquant, à l’élégance qui a du charme, et à cette aménité de style si aimable, parce qu’elle représente l’aménité du caractère. Toutes ces exclusions, toutes ces injustices, tournent au détriment de l’art. En rabaissant les succès, elles découragent l’émulation.

On juge comme l’on compose. On se forme des règles de goût d’après la nature et d’après la mesure de son talent. On voudrait tout ramener dans les autres à la manière qu’on s’est faite à soi-même, sans songer combien nos jouissances s’appauvriraient de cette uniformité sans songer que l’art, rival de la nature, doit l’imiter surtout dans l’infinie variété de ses productions.

Toutes ces erreurs ne se retrouvent plus dans les jugements de la masse éclairée du public, représentée par un corps littéraire tel que le vôtre. Là tout se rectifie tout s’épure. Il se forme un dépôt de toutes les préventions particulières, qui tombe au fond de l’urne où s’analysent les réputations ; il ne surnage que ce qui est vrai, que ce qui est juste. En s’éclairant par la passion même sur les défauts qu’à coup sûr elle aperçoit mieux et plus promptement, on ne l’écoute plus quand elle nie les vraies beautés ; on ne l’écoute plus même quand, plus adroite, elle se borne a les restreindre. Car, vous le savez, Messieurs, rien n’affligerait plus les talents supérieurs que cette restriction dans l’éloge, parce qu’elle a un air de justice et de sincérité fait pour piquer, pour inquiéter l’amour-propre, qui se rassure au moins par l’absurdité d’une injustice totale.

Tous les jugements qui tiennent à une disposition particulière dans l’esprit, dans l’humeur et dans le caractère, ne peuvent être confirmés par les jugements d’un corps tel que le vôtre, où le plus grand nombre des membres se trouvera toujours dans des dispositions différentes. C’est ainsi que vous avez protégé la grâce de Quinault et la brillante imagination du Tasse contre l’humeur sévère de Despréaux et ce même Despréaux à son tour, contre les préventions de Marmontel. C’est ainsi que Racine, Montesquieu, d’Alembert et votre immense majorité ont maintenu la haute réputation de Tacite, dont tout le mérite n’était pas, il faut l’avouer, pleinement senti par Voltaire et par Fénelon, qui, dans leur grand talent, avaient trop de dissemblance avec celui qu’ils jugeaient.

Dans une réunion d’hommes instruits comme vous, Messieurs, il se forme de toutes les lumières éparses un immense faisceau de lumières qui, éclairant tous les objets et sous toutes les faces, les fait mieux voir et donne plus de sûreté aux décisions de la critique. De tant d’esprits différents il se forme un esprit presque universel, qui, apercevant de plus haut et plus loin, donne au goût quelque chose de plus vaste, et agrandit la carrière du talent, qu’un goût étroit et timide voudrait resserrer de toutes parts. Là, si l’on sait juger l’écrivain d’après les règles établies, qu’on ne vous accusera point d’ignorer, on sait juger, à leur tour, les règles elles-mêmes d’après les nouvelles impressions que l’on reçoit. Plus on a d’étendue dans l’esprit, plus on a de circonspection dans le jugement ; plus on sait, plus on doute ; et ce ne sont point des hommes tels que vous, Messieurs, qui se permettront d’affirmer que toutes les expériences sur le cœur humain soient épuisées, que tous les moyens de l’art soient connus qu’il n’y ait de faisable que ce qui a été fait. Vous savez que c’est d’après les poëtes qu’ont été rédigées les poétiques, et vous saurez y ajouter d’après les poëtes nouveaux qui auront donné lieu à de nouvelles observations. Si par d’autres routes ils ont su également arriver au cœur, s’ils ont atteint le but de l’art, qui est de plaire, d’intéresser, d’émouvoir, quels que soient les moyens inusités qu’ils emploient, vous approuverez ces moyens, vous aimerez l’ouvrage, vous admirerez l’auteur, et vous encouragerez l’innovation qui pourra reculer les limites de l’art, et donner aux hommes de nouvelles jouissances. Vous ferez pour la critique ce que vous faites pour la langue : vous saurez conserver, sans vous défendre d’acquérir.

Dans un corps qui est le dépositaire pour ainsi dire, de notre gloire littéraire, la critique y doit tendre naturellement à l’accroissement de cette gloire ; et pour obtenir cet heureux résultat, vous savez qu’elle doit encourager par l’éloge, non moins qu’éclairer par la censure. Sévère pour le mauvais goût, quand il devient une habitude, quand il s’érige en système, elle saura excuser de temps en temps quelques témérités imprudentes qui pourront amener ailleurs d’heureuses hardiesses. Ce ne seront point les fautes qu’elle apercevra d’abord, mais les beautés. Elle relèvera les unes pour le perfectionnement de l’art ; elle applaudira aux autres pour le perfectionnement de l’écrivain. Elle sait d’ailleurs que, s’il n’est pas toujours facile d’éviter les fautes, il l’est encore moins de produire les beautés.

Il est des fautes même qu’elle remarquera mais qu’elle approuvera, si plus de correction devait nuire à l’effet, si en ôtant ces fautes, il fallait perdre des beautés qui charmeront plus que les autres ne peuvent déplaire.

Elle ne sera jamais choquée de quelques défauts dans la manière d’un écrivain, qui tiennent à des parties brillantes de son talent.

Elle se gardera bien de proscrire des genres nouveaux, pour quelques inconvénients inévitables, si le génie peut les couvrir de beautés qui les rachètent. Elle ne rejettera point l’Héroïde qui nous a donné l’Épître de Sapho à Phaon et celle d’Héloïse à Abailard ; elle ne rejettera point le genre descriptif, qui nous a donné les Saisons de Thompson et celles de Saint-Lambert.

Toujours fidèle à ce système d’encouragement, elle ne s’attachera point sans cesse à relever les morts qu’on ne craint plus de louer, pour rabaisser les vivants qu’on est bien aise d’humilier. Elle accordera une très-grande estime aux talents du second ordre, parce que c’est ajouter à l’admiration pour les talents prééminents. Elle saura même accueillir des talents naissants, tout informes qu’ils seront d’abord. Elle verra ce qu’ils promettent, lorsqu’ils ne donnent point encore. Elle sait que les plus grands talents ont eu des commencements faibles ; que l’auteur d’Andromaque et d’Iphigénie avait commencé par Théagènes et Chariclée ; que si une critique malveillante avait humilié un premier essai, elle eût étouffé peut-être les chefs-d’œuvre à venir.

L’un des caractères que prendra encore la critique dans un corps tel que le vôtre, c’est d’être constamment sage, polie et mesurée. Quoi qu’on fasse, c’est toujours une blessure faite à l’amour-propre, qu’on ne saurait adoucir par trop d’égards. Il faut beaucoup de réserve, quand on prononce sur des choses aussi fugitives que le goût. Il faut de grands ménagements pour faire pardonner cette apparence de supériorité que le critique semble prendre un moment sur l’écrivain. L’impolitesse dans le critique serait non-seulement un défaut dans le caractère; elle serait encore un défaut de goût et de talent ; elle serait une véritable faute contre l’art d’écrire. Et c’est pour cela, en partie, que ce corps littéraire s’est fait de tout temps une loi de s’associer quelques-uns de ces hommes revêtus des places éminentes, où l’on est sans cesse aux prises avec tous les intérêts, et où, par un exercice journalier, l’on acquiert l’habitude des ménagements et de la conciliation. Qui posséda cet art délicat des ménagements à un plus haut degré que M. le cardinal de Boisgelin ? Son inaltérable politesse et sa douce insinuation se jouaient innocemment autour de l’amour-propre d’autrui sans l’effleurer jamais, comme ces feux propices auxquels la superstition des anciens attachait d’heureux présages, et qui, ne faisant sentir leur influence que par la lumière dont ils éclairaient les objets, caressaient mollement tous les corps auxquels ils s’attachaient sans les blesser.

Ce n’est pas que M. de Boisgelin n’eût de l’attachement pour ses opinions, d’autant plus qu’elles n’avaient pu être légèrement adoptées par un esprit aussi étendu que le sien, qui réunissait une aussi grande variété de connaissances en tout genre, qui, instruit par les livres, ne l’était pas moins par la société, par l’habitude du grand monde et des affaires, et qui, vingt ans à la tête d’une grande administration, avait pu vérifier ou rectifier toutes les théories par l’expérience. Mais c’est qu’en aimant ses opinions il sentait le besoin de les faire aimer aux autres. Il savait trop que pour gagner l’esprit, il faut d’abord gagner le cœur. En heurtant les opinions d’autrui, il les eût fait reculer devant la sienne, au lieu qu’elles s’en rapprochaient naturellement, attirées par la grâce séductrice de sa discussion ; et le charme de cette séduction était d’autant plus irrésistible, que ce n’était point un art. On sentait que c’était l’émanation involontaire d’une âme affectueuse et douce. Il faisait aimer et sa personne et ses discours et ses opinions, parce qu’il commençait par aimer lui-même.

Dans les grandes occasions, M. de Boisgelin eut toujours le courage de son opinion ; mais il estimait aussi ce même courage dans les autres, et ce sentiment d’estime garantit toujours de l’aigreur et des ressentiments. Aussi fut-on juste également envers lui; il eut des contradicteurs, et n’eut jamais un ennemi.

De l’évêché de Lavaur, M. de Boisgelin avait été promptement élevé à un siège plus important, celui de l’archevêché d’Aix, qui lui donnait la présidence perpétuelle et inamovible des états de Provence. Ce fut dans la longue tenue de ces états, qu’il présida pendant vingt années, que l’on put se convaincre de tout l’ascendant que la grâce de son esprit conciliateur lui donnait sur tous les esprits. Il faisait prévaloir aux états les justes demandes du Gouvernement ; auprès des ministres, les justes réclamations de la province. Tout changeait sans cesse autour de son administration. La succession rapide de ses différents collaborateurs, dont les fonctions n’étaient que momentanées, les déplacements presque aussi fréquents dans le ministère, lui donnaient sans cesse de nouveaux esprits à ménager, de nouvelles affections à conquérir ; et cependant il n’y eut jamais d’interruption dans son influence. Tel était le charme de cet esprit insinuant, qu’il savait bientôt reprendre sur les nouveaux collègues, sur les nouveaux ministres, ce pouvoir aimable et si sûr qu’il avait exercé sur les autres ; et c’est ainsi que dans une si longue administration, malgré l’opposition des intérêts et des caractères, M. de Boisgelin ne trouva jamais d’obstacles à ses vues, qu’il sut tout concilier, sans l’intervention de l’autorité, sans avoir d’autre force que la grâce, sans se permettre d’autre empire que la persuasion. M. l’évêque de Quimper, un ami de vingt-cinq ans (et les longues amitiés sont aussi honorables pour ceux qui les inspirent que pour ceux qui les éprouvent), nous a confirmé « que le principe, que le mot habituel de M. de Boisgelin était qu’on pouvait tout attendre avec les hommes de la douceur, de la raison, de la confiance, et que la maladresse seule pouvait sentir le besoin des mouvements irréguliers de la force . »

Il y eut surtout une journée mémorable où M. de Boisgelin put reconnaître toute l’efficacité de ce système inaltérable de douceur et de persuasion qui lui avait concilié l’affection universelle. Une sédition terrible avait éclaté dans la ville d’Aix ; les fureurs du peuple des campagnes étaient venues grossir les fureurs du peuple de la ville. Toutes les autorités civiles et militaires avaient été méconnues, insultées, menacées. Au sein de la paix, « les citoyens furent blessés comme en un jour de combat ; tous les greniers publics furent en proie à la plus déplorable invasion, et les subsistances d’un mois dissipées en un jour. Les dons de l’aumône avaient disparu ; les maisons religieuses n’avaient point été respectées ; et tout le temps que dura cette tourmente horrible, les portes du palais archiépiscopal, ces portes hospitalières, ouvertes à toute heure aux demandes des diocésains, comme celles du temple voisin l’étaient aux prières des fidèles, ces portes restèrent dans leur état accoutumé, et la sédition n’osa les franchir. Ses flots vinrent mourir sur le seuil de ces portes pacifiques, comme sur une grève unie viennent mourir les vagues d’une mer courroucée. Un découragement général avait saisi tous les esprits. On tremblait à la fois du présent, de l’avenir ; et à la suite de ce jour terrible, qu’on avait traversé dans toutes les anxiétés de la crainte, on avait encore à redouter les fureurs de la nuit qui allait suivre. « Les maux paraissaient à leur comble ; les émeutes, répandues de toutes parts, avaient ravagé les lieux même qui auraient pu subvenir aux besoins de la ville. Les commerçants, suspects au peuple, étaient dans l’effroi; et les pertes que leur avait causées ce jour funeste leur ôtaient les moyens de les réparer : il ne restait plus que l’affreuse perspective d’un peuple entier sans subsistances, mourant de faim, et destiné peut-être à se livrer, dans son désespoir, à des excès encore plus horribles que ceux dont il s’était rendu la victime . » Ce fut alors que, dans la consternation générale, M. de Boisgelin, se créant une autorité extraordinaire, convoqua chez lui, dans cette nuit menaçante, à onze heures du soir, toutes les autorités tremblantes, tous les commerçants épouvantés. « Messieurs, leur dit-il, il faut pourvoir aux besoins de la semaine ; si les fonds vous manquent, je m’engage pour cent mille francs . » Et d’avance il avait appelé, exhorté tous les ministres de la religion, curés, vicaires, desservants ; il leur avait donné pour auxiliaires tous les citoyens recommandables par leur vertu, par leur bienfaisance. C’était en quelque sorte de nouveaux ministres de la religion, qu’il avait ordonnés, pour ainsi dire, dans ce jour extraordinaire ; et tous ensemble se répandirent toute la nuit dans les cabanes du pauvre, dans les ateliers de l’artisan, dans tous les lieux receleurs du larcin; et ils firent parler à la religion un langage si attendrissant et si persuasif, que, dès le lendemain, tout ce peuple, égaré la veille, « vint apporter, comme en triomphe, ce qu’avait moissonné son brigandage, et les greniers publics se remplirent des fruits du repentir. » a Alors M. de Boisgelin voulut célébrer dans le temple, par des actions de grâces solennelles, ce retour inespéré à l’ordre public ; mais avant d’entonner l’hymne de la reconnaissance, sans monter dans la chaire évangélique, voulant rester plus près de ce peuple repentant qui l’entourait, se tenant sur les premières marches de l’autel d’où il empruntait sa force, il adresse, dans l’effusion de son âme, un discours sans préparation ; et son éloquence sublime, comme l’avait été son courage, peignit, d’un côté, sous des traits si énergiques, toutes les horreurs, tous les dangers de cette sédition cruelle, et de l’autre, sous des traits si touchants, « cette religion qui donne les vertus ou le remords, et, inexorable pour le crime, se montre si indulgente pour le criminel », que de toutes parts éclatèrent des cris de douleur et d’admiration, que ne put contenir la majesté sainte du lieu où toute cette multitude était rassemblée.

Ce même caractère d’éloquence, tour à tour sublime, et touchante, se retrouve dans l’oraison funèbre de Stanislas, roi de Pologne, qu’il prononça dans sa jeunesse, étant évêque de Lavaur. Turgot estimait cet ouvrage à l’égal des plus beaux de ce genre. J’avoue, à ma honte, que jusqu’à ce moment il m’était inconnu, et quoique pénétré de respect pour le jugement d’un homme tel que Turgot, je craignais que la tendre amitié qui le liait avec M. de Boisgelin n’eût mis de l’exagération dans l’éloge. J’avoue encore que je fus confirmé dans mes préventions par la lecture de l’exorde. Malgré le bonheur inespéré du texte sacré, qui, par une rencontre extraordinaire, se trouve être l’abrégé et comme la prophétie de la vie entière de Stanislas, cet exorde m’a paru quelquefois manquer d’une certaine fermeté dans le style. Mais à peine l’orateur m’eut fait pénétrer avec lui dans son sujet, toutes mes impressions changèrent, et je partageai involontairement tout l’enthousiasme de Turgot. A un sentiment d’admiration presque continuel succéda un autre genre d’émotion, qu’il n’est pas donné à ce genre d’ouvrage de produire ordinairement, un attendrissement qui a été jusqu’aux larmes. Je ne puis me refuser au plaisir de vous citer, entre autres, un passage qui m’a transporté, par la vivacité, par la vérité du mouvement. L’auteur avait peint tous les malheurs de la Pologne, dévastée à la fois par ses alliés, par ses ennemis, par ses propres citoyens ; et Stanislas réduit, par l’inflexible volonté du monarque suédois, à régner pendant cinq ans sur des cendres et des ruines. Il ajoute ensuite :

« Ah si Stanislas en ce moment n’est pas le plus malheureux des hommes, s’il a pu goûter, au milieu des gémissements universels de sa patrie, le plaisir barbare de régner sur elle, détruisons les honneurs que nous préparions à sa mémoire. Oublions soixante ans de vertus. Que les orateurs s’imposent silence. Prêtre du Dieu vivant, suspendez les sacrifices solennels ; nous verserons sur lui le sang de l’agneau dans le secret du sanctuaire. Et vous, princes, grands, peuples, allez, retirez-vous abandonnons tous ensemble ces fatales et trop pompeuses cérémonies, qui n’auraient servi qu’à consacrer l’injustice et l’ambition. »

Les applaudissements unanimes qui ont éclaté de toutes parts me prouvent que je ne me suis pas trompé, Messieurs; et tout l’ouvrage étincelle de beautés de cette force et de cette vérité. La seconde partie semble avoir été écrite par Fénelon et la première esquissée par Bossuet. Que Bossuet seulement eût retouché, eût fortifié un très-petit nombre de passages, et l’ouvrage entier eût été digne de lui, quand il est le plus digne de lui-même.

Comment se fait-il donc, Messieurs, qu’un pareil ouvrage n’ait pas l’universelle célébrité qu’il mérite; que pendant si longtemps Turgot seul ait été pour l’oraison funèbre de Stanislas ce que Despréaux a été si longtemps pour l’Athalie de Racine? Ah voilà, Messieurs, la cause la plus alarmante de la décadence des lettres cette satiété qui vient à la suite de la richesse, cette indifférence que tant de chefs-d’œuvre ont laissée pour un ouvrage qui, à très-peu de chose près, est un chef-d’œuvre aussi. C’est ici le cas d’invoquer cette critique imposante et éclairée d’un corps tel que le vôtre. Qu’elle réhabilite les réputations méconnues! C’est le plus sûr moyen de maintenir notre splendeur littéraire, et d’ajouter cette décoration à toutes celles que répand sur les autres parties de la gloire nationale le chef illustre qui préside à nos destinées, qui fortifie la puissance d’une grande nation de toute la puissance d’un grand caractère, et que l’éloquence peut se dispenser de louer désormais, parce qu’il suffira que l’histoire le raconte.

Notes:

Tite-Live fait dire à Mutius Screvola, dans son discours à l’orsenna : hostis hostem occidere volui; et la répétition du mot hostis a de la grâce à cause de la différence de terminaison du nominatif hostis et de l’accusatif hostem. Cet effet est perdu dans la traduction de le Batteux : ennemi, j’ai voulu tuer un ennemi. Mais c’est la faute de le Batteux, et non celle de la langue. Il n’y avait qu’à mettre : Romain, j’ai voulu tuer l’ennemi de Rome, et l’effet est conservé.

On a découvert une nouvelle espèce de rhinocéros, qu’on appelle le rhinocéros bicorne. Quand l’histoire naturelle sera devenue populaire, qui empêchera les poètes d’adopter ce mot des naturalistes ? Ne pourra-t-on pas dire, et la fourche bicorne, comme Virgile a dit, furcasque bicornes ?

M. Lebrun.

M. Delille.

Ces restrictions sont de faire précéder le verbe par un adverbe qui commence la phrase : Cependant s’avançaient ces machines mortelles. (Henriade.)

Déjà venaient frapper mes timides oreilles
Les affreux cris du chien de l’empire des morts. (Chaulieu.)

M. Delille, dans le poëme des Jardins, a le premier hasardé en vers le mot de vache : Ne rougissez donc point, quoique l’orgueil en gronde,
D’ouvrir vos parcs au bœuf, à la vache féconde,
Qui ne dégrade plus ni vos parcs ni mes vers.
Et l’on peut remarquer l’artifice de cette petite précaution oratoire, indépendamment de l’épithète harmonieuse de féconde, dont il soutient le mot, jusque-là réputé ignoble, qu’il voulait introduire dans notre langue poétique.
M. Delille a été plus loin dans l’Homme des Champs. Le poëte, devenu un cultivateur, un bon fermier, et se passionnant pour sa basse-cour, a employé le mot vache sans épithète et sans préparation.
… Dans une herbe abondante
La vache gonfle en paix sa mamelle pendante.
Voilà un exemple, entre autres, des progrès que les bons poëtes font faire à notre langue poétique.

M. Bernardin de Saint-Pierre.

M. de Fontanes, président du corps législatif. Il travaille à un poëme épique, la Grèce sauvée, qui est presque achevé.

Swift, entre autres, dans sa lettre au comte d’Oxford, où il assigne à l’altération de la langue anglaise des causes à peu près pareilles, t. III, p. 224 etc.

M. Terray, alors contrôleur général des finances, trompé, comme on l’est quelquefois à un grand éloignement, avait pris de fausses mesures pour l’approvisionnement de la Provence, menacée d’une disette totale. M de Boisgelin fit sentir l’urgence du péril et l’insuffisance du remède. Il eut à lutter contre l’humeur, contre les préventions, contre l’amour-propre du ministre. Enfin, à force d’art et de persuasion, il parvint à en arracher la permission qu’il sollicitait pour les états, de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins. On y mit une condition effrayante, celle de rendre M. de Boisgelin personnellement responsable des suites de l’événement. M. de Boisgelin, moins alarmé des périls de cette responsabilité que de ceux de la Provence, accepta la condition les secours arrivèrent, et la Provence fut sauvée.
Dès les premiers temps de son administration, il avait conçu le projet d’un canal destiné à fertiliser une grande étendue de pays, que la sécheresse brûlante du climat condamnait à la stérilité : mais les frais de l’exécution eussent épuisé les ressources de la province. M. de Boisgelin, toujours heureux conciliateur entre elle et l’État, obtint par de vives instances, et toujours par cette séduction de son esprit, dont il était si difficile de se défendre, que l’État supporterait seul les dépenses de cette grande entreprise. Le canal a été commencé ; on lui avait donné le nom de Boisgelin ; il a été interrompu par la révolution. L’infatigable activité de l’empereur, dont la vaste pensée s’empare de tous les projets utiles, ne permet pas de douter que celui-ci ne soit repris et achevé.

Les états de Languedoc, où M. de Boisgelin siégea un moment comme évêque de Lavaur, durent à son crédit et à ses sollicitations la construction d’un pont dont l’architecture savante et hardie a servi ensuite de modèle à des ouvrages du même genre. Les états de Provence, dont l’administration languissait avant qu’il y parût, lui doivent la plupart des grandes routes de la province. Il fonda à Lambesc une maison d’éducation pour de jeunes filles, qui a subsisté au milieu de la ruine des établissements de ce genre.
Son activité était vraiment extraordinaire. Les procès-verbaux du clergé attestent ses immenses travaux pour son ordre. Les constantes occupations de l’administrateur ne dérobaient rien aux soins assidus de l’archevêque. Toutes les semaines, il se faisait un devoir d’assister lui-même aux exercices publics de son séminaire. Au milieu de tant de distractions, il savait trouver encore du il temps et des forces pour les études et les travaux littéraires ; il embrassa tous les genres de littérature, les vers comme la prose, et, dans la poésie, plusieurs genres de poésie. Mais c’est surtout comme orateur qu’il avait mérité de fixer les suffrages de l’Académie, et qu’il mérite vraiment de fixer l’attention publique.
Il commençait son travail à six heures du matin ; il le poussait jusqu’à a l’heure de son dîner, et, ce qui est plus extraordinaire, il le reprenait une heure après, grâce à son extrême sobriété d’autant plus remarquable, qu’elle avait à résister aux séductions d’une table splendide qu’il devait à la représentation de sa place.
Un de ses amis s’étonnait de ce qu’il pouvait soutenir ses forces en mangeant si peu ; M. de Boisgelin répondit : « Je vis de ce que je ne mange pas. »
La plus grande partie de ces faits se trouve consignée dans l’excellente notice sur la vie de M. de Boisgelin, composée par M. de Beausset, ancien évêque d’Alais, et qui, aux renseignements qu’il a pu recueillir par lui-même, a joint tous ceux qui lui ont été fournis par M. de Crouseilhes, aujourd’hui évêque de Quimper, longtemps grand vicaire de M. de Boisgelin, le confident intime de toutes ses pensées et le digne coopérateur de ses travaux.

Extrait, mot pour mot, de la notice sur M. de Boisgelin, dont il est parlé ci-dessus.

Extrait mot à mot du beau mandement que M. de Boisgelin publia à cette occasion.

La vie de M. de Boisgelin est pleine de traits d’une pareille générosité ; un jour il avait épuisé sa bourse pour venir au secours d’un honnête négociant qui allait se voir réduit à faire banqueroute, à la suite d’un accident imprévu, qu’on ne pouvait imputer ni à son inconduite ni à sa négligence. Comme on reprochait à l’archevêque d’Aix l’indiscrétion de cette largesse : « Que voulez-vous ? dit-il, je n’ai jamais su résister à une demande d’argent. » et il ajoutait en riant : « Si l’on savait mon secret, on me laisserait toujours sans un sou. »

Seigneur, vous me sauverez du milieu des contradictions de mon peuple ; vous conserverez mon rang parmi les chefs des nations ; un peuple qui m’est inconnu me sera soumis. « Salvaftis me à contradictionibus populi mei, « custodies me in caput gentium ; populus quem ignoro serviet mihi. » Liv. II des Rois, chap. 22, v. 44.