Réponse au discours de réception du comte de Bissy

Le 29 décembre 1750

Charles-Louis-Auguste FOUQUET de BELLE-ISLE

Réponse de M. le Maréchal Duc DE BELLE-ISLE
Directeur de l’Académie Françoise
au discours de M. le Comte de BISSY

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le mardi 29 décembre 1750

PARIS PALAIS DE L'INSTITUT

Monsieur,

L’ACADÉMIE, en répondant aujourd’hui à l’empressement avec lequel vous avez souhaité de devenir un de ses Membres, vous donne le témoignage le plus flatteur de tout le cas qu’elle fait de vos talens.

Ce que vous en avez laissé percer dans le Public, annonce un esprit curieux des connoissances qui peuvent tourner à l’avantage de la Société ; & il est bien louable de chercher tous les moyens d’être utile, sur-tout à un âge & dans une profession où, souvent trop occupé de se rendre agréable, l’on finit presque toujours par rester frivole.

En mon particulier, Monsieur, j’éprouve dans ce moment une vraie satisfaction, que le sort m’ait mis à portée d’initier dans le Temple des Muses, le fils & le neveu de personnes à qui j’ai été de tout temps attaché par les liens de l’amitié la plus sincère.

Qui fut plus susceptible de ces sentimens, que M. l’Abbé Terrasson à qui vous succédez ? Né avec un grand fonds de philosophie& d’humanité, qui furent la règle invariable de sa conduite, il avoit beaucoup de candeur dans le caractère, & de simplicité dans les mœurs. Sa modestie franche & naïve ne cherchoit ni à se cacher, ni à se montrer, & son indifférence pour la fortune n’avoit rien du faste ni de la grossièreté des anciens Philosophes.

Des qualités si précieuses & si rares me seroient presque oublier ses talens ; & ils étoient, ainsi que ses connoissances, d’une grande étendue.

Bientôt ils furent apperçus & encouragés par cet homme célèbre, à qui nul genre de mérite littéraire n’échappe, parce qu’il les réunit tous supérieurement. Le choix qu’il fit de M. l’Abbé Terrasson pour son Élève à l’Académie des Sciences, le travail que cette Compagnie confîa à cet Académicien pendant un grand nombre d’années, prouvent mieux que tout ce que je pourrois dire, quel étoit son mérite.

De tous les Ouvrages que nous a laissé M. l’Abbé Terrasson, la Traduction de Diodore de Sicile est celui qui a été le plus généralement applaudi.

Vous connoissez, Monsieur, les difficultés de cette sorte de travail, & vous en recevez une récompense aussi prompte que distinguée.

C’est à vous, Monsieur, à nous dédommager de la perte que nous avons faite ; ne craignez point cependant que l’Académie soit injuste dans ses vues ni dans ses espérances. Quelque avantageuses que soient celles qu’elle a conçues de vous, elle fait que vous avez par état un premier devoir à remplir, qui s’allieroit mal avec des travaux qui demandent tous les instans de celui qui s’y livre ; & un homme tout entier suffit à peine à toutes les connoissances qu’exige la science de la guerre.

L’Académie désire donc de vous, Monsieur, que continuant de cultiver avec soin, pendant que la paix vous en donne le loisir, ces heureux talens que vous faites paroître, vous regardiez comme un des moyens les plus efficaces de les perfectionner, l’assiduité à ses Assemblées.

Que ne puis-je moi-même en donner l’exemple & suivre mon inclination ! J’y donne du moins mes regrets, & des regrets très-sincères, dans la forte persuasion où je sais combien les Lettres servent à la gloire des Empires.