Discours de réception de Michel Poncet de La Rivière

Le 10 janvier 1729

Michel PONCET de LA RIVIÈRE

DISCOURS

Prononcé le Lundi 10. Janvier 1729.

Par M. PONCET DE LA RIVIERE, Evêque d’Angers, lorfqu’il fut reçû à l’Académie Françoife à la place de feu M. DE LA MONNOYE.

 

MESSIEURS

Si la reconnoiffance pouvoit être mife au rang des qualités Académiques, je paroîtrois ici avec une entiere confiance, & j’aurois la préfomption de me croire digne de votre choix. Je connois combien il m’eft glorieux de me voir introduit dans cette illuftre & fçavante Compagnie, par l’unanimité de vos fuffrages ; & je n’ignore pas que l’honneur d’être affis parmi vous, eft une récompenfe toujours au-deffus des efforts qu’on a faits pour la mériter.

Des larmes que je n’ai pû refufer à la nature, & encore moins à la juftice, ne m’ont pas permis d’occuper plutôt la place que vous avez bien voulu me deftiner ; ma joie eût été trop parfaite, fi des afflictions redoublées n’en euffent pas altéré la douceur ; mais enfin ma douleur fe trouve aujourd’hui fufpendue : votre préfence, les fentimens d’une jufte gratitude, en moderent l’impreffion, & j’éprouve en ce moment que l’avantage d’être uni avec vous adoucit les plus cuifantes peines.

Oui, MESSIEURS, tout cede à l’admiration que m’infpire la variété, le brillant, la perfection de vos talens. Chaque regard que je jette fur vous, me préfente quelque grand modéle. Par la nobleffe, par la force de votre éloquence, vous faites revivre les Cicérons & les Démofthenes. Homere, Virgile, Horace renaiffent, pour ainfi dire, entre vos mains : l’Hiftoire trouve dans cette fameufe Académie des Corneilles-Tacites & des Tites Lives. Phedre, Efope feroient jaloux d’y voir tant de fidéles imitateurs de leur élégante naïveté ; & foit que vous vous attachiez aux plus grands fujets, foit que vous cherchiez à inftruire par quelque fiction ingénieufe, par tout on reconnoît une étendue de capacité qui éblouit quand elle s’éleve ; & qui charme l’efprit & le cœur, lorfqu’elle fe plaît à s’abaiffer.

Combien de grands hommes revêtus des premieres dignités, & même de la Pourpre de l’Eglife, donnent ici des preuves éclatantes de leur profond fçavoir, & de la délicateffe de leur goût ? Nous y voyons des Héros devenus auffi chers aux Mufes par leur amour pour les beaux arts, & par leur érudition, qu’ils ont été formidables aux ennemis de l’État par leur valeur & par leurs triomphes. Les favoris de Thémis ambitionnent à leur tour d’avoir part à vos lauriers, & ne perdant jamais de vûe cette balance que la feule équité fait pancher, ils font connoître dans vos doctes Affemblées, que l’éxactitude de leurs décifions fur les ouvrages d’efprit, égale celle des jugemens qu’ils prononcent fur les Loix & fur les Coûtumes. Enfin fi l’on veut fe remettre devant les yeux un Miniftre refpectable par fes lumieres & par fa justice, aimable par fa douceur & par fa bonté, auffi digne de l’eftime des Étrangers, que de la confiance de fon Souverain ; auffi défintéreffé pour lui-même, que touché du plaifir de diftribuer des bienfaits, ne le trouvera-t-on pas, MESSIEURS, parmi vous ?

Cette légére peinture de ce que vous êtes, me fait fentir vivement tout ce que je vous dois : mais la reconnoiffance ne me cache pas le péril. Permettez-moi de l’avouer, MESSIEURS, tant de perfections réunies me faififfent d’une jufte crainte, & fi mon amour propre eft flatté de l’honneur que je reçois en ce jour, déja la difficulté d’y répondre commence à l’effrayer.

Ma timidité s’augmente encore, quand je réfléchis fur les talens du grand Académicien à qui j’ai l’honneur de fuccéder. Combien de fois, MESSIEURS, combien de fois avez-vous vû M. de la Monnoye jetter la confternation dans le cœur des plus doctes Difciples du Parnaffe, remporter par vos fuffrages des victoires aufquelles fes concurrens même fe trouvoient forcés d’applaudir ? Vous le fçavez, il ne ceffa de triompher, que parce qu’il ceffa de combattre. Ces premiers fuccès ne firent qu’ébaucher, j’ofe le dire, fa réputation ; elle acquit un nouvel éclat par différens ouvrages, qui feront à jamais précieux à la République des Lettres : une étude affidue, des veilles prefque continuelles lui amaffèrent des tréfors de fcience, qu’il repandit toujours avec prodigalité dans le fein de ceux qui recouroient à fes lumiéres : les événemens de plufieurs fiécles étoient auffi préfens à fa mémoire que ceux d’un feul jour : & les richeffes de fon efprit lui firent paroître les autres biens fi méprifables, qu’il ne s’apperçût prefque pas de l’oubli de la fortune & de la privation des récompenfes, que fes travaux le mettoient en droit d’efpérer.

A qui doit-on de fi grands maîtres, MESSIEURS ? c’eft au Cardinal de Richelieu. Ce fut lui qui infpira aux Sçavans cette noble émulation qui détermine les hommes à fe former un mérite folide, & à préférer les épineufes occupations du Cabinet, aux ftériles amufemens d’une vie diffipée & inutile.

Depuis près d’un fiécle vous lui payez de temps en tems un tribut de louanges & vous trouvez toujours de nouveaux fujets de le louer. Je m’arrête, MESSIEURS, je n’ofe m’approcher d’un objet que les bornes que je dois me prefcrire dans mon difcours, me permettent à peine d’envifager. De fidéles Hiftoriens inftruiront la Poftérité de l’élevation de génie de ce grand Cardinal ; de fon zéle pour le fervice de fon Roi ; de cette politique qui fçavoit fe plier fuivant les différentes fituations de l’État & de l’Europe. Pour moi, content de publier qu’en établiffant cette fameufe Compagnie, il a donné à la France un de fes plus beaux ornemens, j’abandonne aux rares & aimables qualités de l’héritier de fon nom, l’avantage d’en immortalifer la gloire.

Vous le perdîtes, MESSIEURS, ce Pere, ce puiffant Protecteur : mais M. le Chancelier Seguier n’épargna rien pour vous dédommager de cette perte. Amateur des belles Lettres, il fe fit toujours un devoir d’en ménager & d’en foutenir les intérêts ; fa maifon devint bientôt le Palais des Mufes ; elles y établirent leur Tribunal avec complaifance, & cet illuftre Chef de la Justice regarda comme fes plus beaux jours ceux qu’il pouvoit donner à tant d’excellens Hommes, dont vous êtes, MESSIEURS, les dignes Succeffeurs.

Le dirai-je ? fa mort contribua plus encore à votre gloire que fa vie. Heureux le moment où le plus grand des Rois voulut bien fe declarer votre Protecteur, & ajouter ce titre à celui de Monarque conquérant. Toute l’Europe retentiffoit dèflors de fes projets & de fes exploits. Les régions les plus éloignées étoient tombées dans l’étonnement, & foupçonnoient la Renommée d’infidélité ou de flatterie. Des Nations entiéres, quoique forcées à le craindre, ne pouvoient au milieu même de leurs murmures, s’empêcher de l’admirer ; & l’on eût dit que fes ennemis envioient encore plus les hautes qualités de leur Vainqueur, que l’éclat même de fes victoires.

Ses brillantes occupations, MESSIEURS, ne le rendirent pas moins attentif à la réputation de cette fameufe Académie. Il applaudit à vos travaux, il les couronna de fes dons. De-là ce noble feu dont vos plus fçavantes plumes furent animées ; les unes s’occuperent à tranfmettre aux fiécles à venir les prodiges de la vie de ce grand Roi ; les autres employerent le langage harmonieux de la Poëfie pour charmer fes vertus, & la profpérité de fes armes. Tous enfin fe réunirent & prouverent au monde entier que vous méritiez d’autant plus la protection de ce Héros, que vous feuls étiez capables de publier dignement fes louanges.

Vos fçavans efforts ne feront pas moins admirés, MESSIEURS, quand ils célébreront la bonté d’un Prince pacifique, que lorfqu’ils ont mis dans le plus grand jour les fuccès d’un Roi victorieux. Vous apprendrez à tout l’Univers le bonheur de la France ; il fçaura par vos éloquens & ingénieux difcours, que nous vivons fous les loix d’un Souverain principalement appliqué à réparer les maux & les défordres de la guerre, toujours rempli du defir de nous faire jouir d’un repos que l’intérêt, l’ambition, ou l’inconftance ne puiffent pas nous enlever. Vous dépeindrez la vivacité de nos allarmes dans les dangers qu’il a courus, l’excès de notre joie quand le péril a commencé à difparoître, l’ardeur des vœux que nous formons pour demander au Ciel que fon augufte Nom fe perpétue à jamais. Il faut en convenir, MESSIEURS, un Roi qui veut être le Pere de fes Sujets ; une Reine qui dès fes plus tendres années n’eut que la vertu pour guide, font de grands objets qui fe préfentent à vos talens.

Que ne puis-je être le témoin le plus affidu de ce qui fe traitera dans vos doctes Affemblées ! De quelles lumieres ne m’y trouverois-je pas environné ? Je fuis prefque tenté de regarder comme trop pefant le joug d’un devoir qui me dérobera de tems en tems des fecours dont je connois tout le prix. Ajoutez donc encore une nouvelle grace, MESSIEURS, celle que vous venez de m’accorder ; & permettez-moi de me flatter que vous voudrez bien me plaindre, lorfque des obligations indifpenfables me forceront de m’éloigner de vous.