Réponse au discours de réception de Michel Poncet de La Rivière

Le 10 janvier 1729

Charles d’ORLÉANS de ROTHELIN

RÉPONSE

De M. l’Abbé DE ROTHELIN Directeur de l’Académie Françoife, au Difcours prononcé par M. l’Evêque d’Angers.

 

MONSIEUR,

Ce ne font pas toujours les mêmes motifs qui déterminent le choix de l’Académie Françoife. Quelquefois elle veut bien fe contenter de fimples difpofitions dont elle augure favorablement ; fon deffein alors eft d’encourager ceux qu’elle n’affocie à fa gloire que pour les former elle-même fous fes yeux. Souvent auffi récompenfe-t’elle des Hommes illuftres, capables de lui communiquer de nouvelles lumiéres & un nouvel éclat. Voilà, MONSIEUR, la différence qui fe trouve entre vous & moi ; on a voulu m’encourager & on vous récompenfe.

Dès la plus tendre jeuneffe l’amour des Lettres fut votre paffion dominante. Les Ouvrages que l’Antiquité nous a laiffés pour modéles, faifoient non-feulement votre occupation, mais encore votre unique plaifir. Attentif à les lire & à les méditer, vous cultiviez ce goût fin & délicat, qui vous étoit fi naturel, que les études les plus aufteres, n’ont jamais pû l’altérer. De là ces traits juftes & brillans qui caractérifèrent en vous de fi bonne heure le bon Poëte & l’excellent Orateur. Vous reuffiffiez également en éloquence & en Poëfie, mais l’état où vous étiez appellé fixa votre choix ; perfuadé que le plus noble emploi d’un fucceffeur des Apôtres eft d’annoncer les vérités Evangeliques, vous vous livrâtes tout entier à ce faint Miniftére, & vous refolûtes même d’y confacrer pour toujours ce que vous aviez acquis dans l’art de bien dire.

A l’âge de vingt-deux ans vous méritâtes l’approbation du plus grand des Rois, & de la Cour la plus éclairée. Leurs éloges furent les garants des applaudiffemens que vous deviez obtenir dans la fuite. En effet, foit que vous ayez entrepris d’enfeigner ces principes effentiels, qui élevent l’efprit jufqu’à fon Auteur, ou d’expliquer ces regles invariables qui raménent le cœur au feul objet digne de le remplir, foit que faifant revivre les Héros, vous ayez célébré les vertus qui les ont conduits à la vraie immortalité, vous avez toûjours fçû joindre la douceur & les graces de la parole, à la force & à la folidité du raifonnement. Vous parlez, l’incrédule ouvre les yeux, l’affligé reçoit de la confolation, & l’homme même le plus abandonné à fes paffions rend hommage à la pureté dune Morale qui n’éclate pas moins dans votre exemple que dans vos difcours.

Tels font, MONSIEUR, les titres qui vous ont concilié les fuffrages du Public & les nôtres ; il ne falloit pas de moindres talens pour nous dédommager de la perte de l’illuttre Confrere que vous remplacez.

Peu de noms ont été auffi célébres dans la Littérature que celui de Monfieur de la Monnoye : initié dans tous les myfteres du Parnaffe dont il poffédoit toutes les Langues, il fut familier avec les Mufes Grecques & les Latines, comme avec les Mufes Italiennes & les Françoifes : couronné jufqu’à cinq fois par cette Académie, il força fes Concurrens à fouhaiter de voir affis au nombre de leurs Juges un Rival qu’ils défefperoient de vaincre.

Cependant la Poëfie ne faifoit pas fa Principale occupation ; il excelloit encore en plufieurs genres d’érudition & de fçavoir. On trouve difficilement des Poëtes, qui fortis des limites de leur art, méritent d’être appellés Sçavans ; il femble qu’emportés par une imagination vive & féconde, ils ne puiffient s’affujettir au férieux, & à l’ordre qu’exigent des Sciences épineufes. C’eft donc une prérogative bien finguliere pour Monfieur de la Monnoye, d’avoir pû joindre le Sçavant au Poëte. Cet avantage, il eft vrai n’étoit pas réfervé à lui feul, l’Académie Françoife nous en fournit encore plus d’un exemple ; mais la gloire n’eft pas moins grande pour le Confrére que nous regrettons, puifqu’i1 a droit par-là d’être comparé à ces hommes rares en qui font raffemblés les différens dons de toutes les Mufes.

La parfaite connoiffance des Livres & des Auteurs de tous les tems & de tous les pays, la difcuffion pénible des anecdotes littéraires dont aucun ne lui échapoit, formoient dans M. de la Monnoye une érudition prefque unique. De combien de doctes Differtations n’a-t il pas enrichi les cabinets des Curieux ? Quels fecours n’a-t-il pas donnés à des Ecrivains même du premier ordre ; quand fur des points obfcurs & incertains, un examen judicieux leur devenoit néceffaire. Écoutons les plus fameux Critiques de notre fiécle, ils parlent de M. de la Monnoye comme de leur Oracle ; & c’eft ainfi qu’ils le nomment, malgré le filence que fa modeftie avoit exigé d’eux pour le prix des découvertes qu’ils devoient à fa fagacité & à fes lumiéres.

Les qualités du cœur égaloient en lui celles de l’efprit. Auffi fenfible au plaifir de publier les bienfaits qu’il recevoit, que peu empreffé à les rechercher ; il n’a jamais mis des bornes à fa reconnoiffance. Dans un âge où le feu de l’efprit eft ordinairement refroidi ou éteint, elle lui infpira des vers dignes de fes plus beaux jours ; c’étoit pour un Mécéne[1] qu’il ne devoit qu’à fa réputation, & que fa gratitude feule nous a decouvert.

Quelque juftes que foient nos regrets, vous les adouciffez, MONSIEUR, par votre préfence. Un zéle digne de vous & de votre état, a long-tems mis obstacle aux vœux de cette Compagnie ; ce même zéle, nous le fentons avec douleur, vous arrachera bientôt à nous, peut-être pour des années entiéres. Venez donc, MONSIEUR, pendant que vos occupations vous le permettent, venez être témoin vous-même du tendre refpect que nous confervons pour ce vénérable Chancelier, dont la mémoire vous eft fi précieufe : l’alliance, qui vous unit au fang de notre fecond Protecteur, nous unira encore, s’il eft poffible, plus étroitement à vous.

Les momens que vous nous donnerez, doivent nous être chers ; mais ils ne feront pas pour vous-même fans agrément. Admis feulement depuis fix mois parmi ces Hommes choifis, que la France reconnoît pour arbitre de la Langue, de l’Eloquence & de la Poëfie, qu’elles inftructions n’ai-je pas puifées dans leur commerce ? La variété de leurs connoiffances enrichit l’efprit, la folidité de leurs jugemens affûre le goût, & l’exactitude de leurs recherches conduit à la perfection.

 

[1] M. le Duc de Vileroi.