Réponse au discours de réception de Jean-Pierre de Bougainville

Le 30 mai 1754

Paul-Hippolyte de BEAUVILLIERS, duc de SAINT-AIGNAN

Réponse de M. le duc de Saint-Aignan
au discours de M. de Bougainville

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 30 mai 1743

PARIS PALAIS DU LOUVRE

     Monsieur,

    Quoique je sente parfaitement tout ce qui me manque, pour remplir à mon gré la fonction dont je suis chargé ; je ne me plaindrai point du sort qui me l’impose pour la première fois. Peu s’en faut même que je ne m’en applaudisse, par la satisfaction que mon amitié pour vous me fait trouver, à vous introduire dans ce temple des Muses, où des succès prématurés vous marquoient depuis long-temps une place. Vous y acquîtes sur-tout un droit bien légitime, lorsque l’Académie des Belles-Lettres, peu d’années après vous avoir adopté, vous déféra l’emploi de son Secrétaire perpétuel ; sans que votre âge pût balancer l’opinion qu’on avoit de vos talens.

Et quel préjugé, Monsieur, en votre faveur, que d’avoir mérité pour un semblable choix, l’aveu de M. de Boze, qui avoit fourni la même carrière avec tant d’honneur ! Qu’il me soit permis de payer ici un juste tribut à la mémoire d’un homme si digne de tous les regrets des deux Compagnies, auxquelles il fut également cher. Un savoir profond, un style pur & correct, une connoissance de l’Antiquité, si étendue que les siècles les plus reculés lui étoient aussi présens que le nôtre, un goût toujours sûr, tant de sujets de Médailles, tant d’Inscriptions & de Devises heureuses, tant d’écrits utiles, lui assignent pour jamais un des premiers rangs dans les annales de la Littérature. Tel étoit celui dont les fonctions vous ont été confiées. La publication de plusieurs volumes de l’histoire de l’Académie des Belles-Lettres, a déja mis l’Europe savante en état de juger du zèle avec lequel vous vous en acquittez dans la partie la plus intéressante : je parle de la rédaction des Mémoires ; genre de composition qui demande autant de justesse d’esprit que de variété de connoissances, autant de précision que d’élégance de style, & dans lequel il étoit devenu plus difficile encore de réussir, depuis qu’on avoit connu la perfection de ce genre, par les deux volumes qui précédent immédiatement ceux que vous avez donnés.

Vos Extraits, Monsieur, & les Éloges des Académiciens que la mort enlève à votre célèbre Compagnie, assurent l’immortalité de vos Confrères : mais avant que d’être appliqué à cet emploi, vous aviez assuré la vôtre par un ouvrage que la difficulté de l’entreprise, le mérite de l’exécution, & principalement la nature des motifs qui vous l’ont fait entreprendre, rendront à jamais estimable. Vous comprenez que j’ai en vue la traduction de l’Anti-Lucrèce. Son illustre auteur, à qui j’ai vû autant d’admirateurs à Rome, que parmi nous, s’étoit proposé de réfuter un systême, dont les funestes progrès allarmoient sa religion. Mais c’étoit en vain qu’à la force des raisonnemens il avoit joint les graces de l’Élocution & le charme de la Poësie ; cet ouvrage admirable, connu d’un petit nombre de personnes, à qui la Langue latine est encore familière, auroit trouvé peu de lecteurs, si un interprète aussi fidèle qu’élégant ne l’avoit mis à la portée de tout le monde. En le traduisant, Monsieur, vous en avez étendu l’utilité ; & par-là vous partagez avec M. le Cardinal de Polignac la gloire d’avoir éclairé les hommes sur le point qui les intéresse le plus essentiellement. Ce n’est pas seulement par votre traduction, que vous avez rendu cet important service à l’Humanité : la Préface qui est à la tête, & que je ne craindrai pas de nommer votre Chef-d’œuvre, doit être regardée comme un des plus précieux monumens que la Raison ait élevés à la Religion.

L’Académie qui depuis son institution a toujours exigé plus scrupuleusement dans les Sujets qu’elle s’associe, de la vertu & des mœurs, que des talens & des lumières, vous voit avec plaisir remplacer M. de la Chaussée, dont tous les écrits respirent & les mœurs & la vertu. Ce que vous avez dit du caractère de ses Pièces, où le spectateur trouve, en effet, plus de leçons que d’écueils ; ce que vous avez dit de la pureté de son style, de la facilité de sa versification, de l’art de ses intrigues, de la simplicité de ses dénouemens, rend inutile le détail où je pourrois entrer pour son éloge.

Venez donc, Monsieur, jouir le premier du singulier avantage de voir votre nom inscrit dans nos fastes à la suite de celui d’un Petit-Fils du grand Condé, qui pour l’honneur des Lettres & celui de l’Académie, a cru que ce seroit ajouter à sa gloire, que de joindre les lauriers du Parnasse à ceux qu’il cueillit si souvent dans les champs de Mars. Venez nous aider à célébrer un événement dont n’auroit jamais osé se flater ce grand Cardinal notre Fondateur, malgré tout ce que son vaste génie sçavoit donner d’étendue à ses vues & à ses projets. Venez enfin nous rappeller les merveilles d’un règne que les siècles futurs mettront à côté de celui de Louis XIV, & dont vous êtes chargé de transmettre le tableau à la postérité, dans l’explication historique des Médailles qui en consacrent les principaux événemens. Le choix qu’un goût éclairé a fait de vous, Monsieur, pour ce travail, n’étoit pas sans doute le moindre de vos titres, pour aspirer à la place que l’Académie vous accorde aujourd’hui.