Discours de réception du maréchal duc de Villars

Le 23 juin 1714

Claude-Louis-Hector de VILLARS

M. le maréchal duc de Villars, ayant été élu par l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. de Chamillart, évêque de Senlis, y est venu prendre séance le samedi 23 juin 1714, et a prononcé le discours qui suit :

 

Messieurs,

Si l’honneur que vous avez bien voulu me faire de m’admettre dans une compagnie composée des plus rares et des plus sublimes génies, m’avoit été destiné par les raisons les plus propres à décider votre choix, j’aurois juste lieu de craindre que ce premier pas, qui doit être une preuve d’éloquence, ne vous portât à quelque repentir ; mais j’ai pensé que votre assemblée, déjà remplie de tout ce que l’esprit a de plus illustre, et rassasiée de cette gloire, pouvoit ne plus songer à l’augmenter, et que principalement attentifs à celle du Roi, vous avez voulu avoir parmi vous un des généraux qui a le plus servi sous un si grand maître, et qui puisse par quelques récits fortifier les idées que vous avez déjà de sa grandeur et de sa gloire : et je crois devoir la grace que vous me faites aujourd’hui, au bonheur que j’ai eu de voir souvent, et dans la guerre et pour la paix, résoudre, ordonner, et quelquefois exécuter par ce grand Roi, ce qui lui a si justement attiré notre amour, causé la jalousie des nations voisines, mais enfin l’admiration de toute la terre.

Dans la postérité nous avons vu sa modération, sa sagesse. Dans les revers de la fortune, sa fermeté a dissipé les craintes, relevé les courages de tous ceux qui par zèle, prudence ou foiblesse, vouloient entrevoir les plus grands malheurs. Son intrépidité dans de pareils momens, cette grande science de pénétrer et de renverser les projets de ses ennemis, la véritable gloire, la grandeur de courage, ont été portées au point le plus héroïque ; et la paix glorieuse qui a terminé cette longue et dangereuse guerre, est la récompense aussi bien que l’effet de toutes ces vertus.

Mais encore une fois, Messieurs, j’en parlerai comme témoin et non comme orateur, et en faveur de ces récits, qui n’ont pas besoin d’être relevés par le mérite de l’éloquence, vous me pardonnerez d’en manquer.

Ainsi, Messieurs, daignez me dispenser d’entreprendre aucun éloge ; votre choix a déjà fait celui du prélat auquel je succède, et vous avez vu vous-mêmes son application à remplir ses devoirs, la pureté de ses mœurs, et cette règle dans sa vie, souvent plus respectable que ce qui brille davantage.

Je sais les obligations qu’a votre compagnie à un illustre chancelier qui, pour comble de mérite, s’en fit un de vous marquer la plus haute considération, et qui en soutenant votre établissement, crut augmenter sa gloire, et lier par là dans la postérité son nom à celui de votre illustre fondateur, le cardinal de Richelieu, dont la mémoire ne finira jamais, n’eût-il laissé pour la rendre immortelle que cet ouvrage si digne d’un grand ministre ; ce testament politique où brille l’élévation de son génie et l’ardeur de son zèle pour la gloire de son maître et pour celle des François. Il ne désiroit à notre nation qu’autant de constance et de fermeté à souffrir patiemment les fatigues, la faim, les longues peines de la guerre, qu’il lui connoissoit d’intrépidité dans les plus grands périls. Quelle joie auroit eu ce grand ministre s’il avoit imaginé, que de nos jours, et sous le plus grand des Rois, les François par ces dernières vertus, jointes aux premières, l’emporteroient sur toutes les nations !

Nous les avons vus pendant une campagne entière, souffrir sans murmurer le manque d’argent et de pain, jeter même le pain dont ils avoient manqué pendant deux jours pour courir plus légèrement au combat, et leur seule valeur leur tenir lieu de force et de nourriture.

Dans une action où leur retraite n’a pu être imputée qu’à la seule fatalité, on les a vu couvrir la terre de plus de vingt mille de nos ennemis, et ne leur laisser qu’un champ où les vivans pouvoient à peine se placer sur les corps morts de leurs compagnons.

Pardonnez-moi, Messieurs, cette légère marque de reconnoissance pour les vaillans hommes, auxquels l’état et le général ont de si grandes obligations. Ils vous auront celle de rendre leurs actions immortelles, comme le sera tout ce qui sort de ces plumes célèbres, et tout ce qui a le bonheur d’être consacré par les ouvrages de cette assemblée, si respectable par les grandes qualités de ceux qui la composent, et de laquelle j’ai une si haute idée, que mes expressions ne peuvent satisfaire ce que je pense de son mérite, ni ma sensible et vive reconnoissance de la grace que j’en reçois.