Discours de réception de Henri-Charles de Coislin

Le 25 septembre 1710

Henri-Charles de COISLIN

DISCOURS Prononcé le 25. Septembre 1710. PAR M0NSIEUR DE COISLIN, Evefque de Mets, Duc & Pair de France, lorfqu’il fut receu a la place de M. le Duc de Coiflin fon Frere.

 

MESSIEURS,

En m’accordant cette place à laquelle je naurois osé prétendre de moy-mefme, ne craignez-vous point qu’on puiffe vous accufer d’avoir trop efcouté les grands noms qui vous parlent en ma faveur ? Ne vous reprochera-t-on pas que vous avez voulu me faire un merite de celuy de mes Anceftres, & que vous avez confideré comme un devoir à leur efgard, ce qui n’eftoit qu’un excès d’indulgence pour moy.

 

Ouy, MESSIEURS, il eft vrai, vous m’avez appellé par des fuffrages prévenants, vous m’avez choifi, vous avez efté au de là de mes efperances. Par une juftice nouvelle dans l’empire des Lettres, vous recompenfez en moy des mérites qui n’exiftent plus, vous aimez à rendre un durable tribut de gloire à ceux qui ont contribué à l’eftabliffement de cet illuftre Corps, vous honorez leurs vertus dans leurs Defcendants.

 

Mais en juftifiant ainfi voftre choix je ne prétends pas en diminuer le prix dans mon cœur; ce qui vous a paru une efpece de juftice, me devient une grace plus fenfible & plus touchante. Je reçois avec plus de reconnoiffance ces biens qui me font confervez, que s’ils eftoient ma propre acquifition. Quel regret d’eftre privé d’une poffeffion fi chere ! quel plaifir de s’y voir eftabli !

 

Graces à vos bontez, j’occupe une place dans cette Affemblée où refide l’efprit d’Armand mon grand oncle, de ce Cardinal, qui fous le plus jufte des Rois medita voftre inftitution, régla vos ftatuts, dirigea vos exercices, fonda ce Tribunal, où l’Éloquence & la Poëfie doivent couronner à jamais les Sages, les Sçavants & les Héros ; projet digne d’un tel Miniftre, moins pour fa propre gloire que pour celle de fon Roy & de fa Patrie ; moins pour le Regne fous lequel il a vefcu, que pour tous les Regnes à venir.

 

Vous me pardonnerez une complaifance peut-eftre trop flateufe à la veuë de ces objets qui m’environnent, bien qu’à la rigueur je trouve de quoy m’humilier par le peu de reffemblance que j’ai avec eux ; je dois cependant me glorifier d’une filiation qui m’attire vos faveurs, & qui les authorife envers le Public.

 

Ici, MESSIEURS, fans doute fe prefente voftre fouvenir, comme au mien, un Chancelier mon ayeul, animé, fi je l’ofe dire, du mefme efprit que voftre premier Protecteur ; Seguier, qui avoit fait gloire d’eftre du nombre des Académiciens, devint après la mort d’Armand, le chef de l’Académie ; il affermit les fondements de cette République naiffante. Pour vous attacher plus eftroitement à luy, pour s’attacher plus eftroitement à vous, il vous ouvrit fa maifon, il vous receut comme dans fon fein : là il gouftoit en repos l’utilité & l’agrément de vos Conférences : là il vous admit dans une plus grande familiarité, parce qu’alors il vous connut davantage. J’en fuis le tefmoin, MESSIEURS, j’ay veu dans mes premieres années l’eftime & l’amitié qu’il avoit pour fes anciens Confreres ; je dirai mefme qu’il devoit à l’Académie cet amour & ces foins dont il la favorifoit ; c’eftoit dans voftre commerce, c’eftoit dans vos entretiens, qu’il avoit perfectionné ces talents fublimes fi dignement employez au fervice de l’Eftat.

 

Semblable de ces grands hommes de l’Antiquité qui faifoient une continuelle eftude de leur propre langue, qui en recherchoient fcrupuleufement la pureté & les graces, il avoit efprouvé en des  temps difficiles de quelle importance eft l’art d’efcrire & de parler dans le Miniftere & dans le Gouvernement.

 

Faut-il que je vous rappelle ici, MESSIEURS, avec quelle tendreffe il vous préfenta mon Pere, vous tefmoignant qu’il ne pouvoit mieux cultiver fes nobles inclinations & fes lumieres pour les belles connoiffances, qu’en le plaçant parmi vous, mon frere luy a fuccedé, je fuccede à mon frere, une fi grande proximité, le fouvenir douloureux de fa perte m’empefche de fuivre 1’ufage qui m’obligeroit à louer mon predeceffeur vous le loüez vous mefmes, MESSIEURS vous le regretez. La fatisfaction qu’il remporftoit de vos Affemblées, prouve que vous eftiez réciproquement fatisfaits de luy, & fon éloge fiera mieux dans voftre bouche que dans la mienne.

 

Depuis que la mort l’a enlevé, je voyois avec regret efchapper de ma Famille des titres fi chers, & une diftinction fi precieufe, je les ay défirez avec ardeur, mes defirs font accomplis, je fuis receu comme par un droit héréditaire, dans la focieté de tant d’hommes celebres, heureux, fi je faifois prefumer quelque jour que j’ai peu leur reffembler.

 

Un Prélat[1], fi recommandable par fon merite, & par une rare éloquence fignalée en tant d’occafions vient de me donner publiquement des marques d’une approbation qu’il avoit réglée fur la voftre ; mais fongeoit-il que j’allois parler à cette mefme place, & que la foibleffe de mes talents auroit trop toft l’occafion de le defcouvrir ?

 

Je fers desja l’impoffibilité où je me trouve de vous remercier au gré de mes defirs, & ce n’eft encore que ma moindre peine. Le penchant que vous avez monftré à me favorifer, vous perfuadera aisément que c’eft bien reconnoiftre une fi grande grace, que de la bien reffentir.

 

Mais voici le moment où je dois rendre un eternel hommage à l’augufte Protecteur qui prefide dans ce lieu facré. Comblé de fes bienfaits, attaché fans ceffe auprés d’un fi grand Maiftre, j’ai tousjours offert à mon efprit les plus parfaites idées de gloire, de grandeur, de religion, de bonté, de fageffe & de piété ; mais où mon zele prendra-t-il des traits & des couleurs qui puiffent les reprefenter.

 

O vous, RICHELIEU, ô vous, SEGUIER, dont je vois les images auprés de celle de ce grand Roy, vous qui avez ouvert cette carriere immortelle où fes vertus doivent eftre à jamais célébrées, quand voftre prefence anime ici mon courage, que ne m’infpirez-vous auffi voftre genie ? Seray-je reduit à de fimples vœux, & peut-on en faire pour luy, qui ne foient en mefme temps pour tous fes fujets, & formez par tous fes fujets. Ouy, joignons nos vœux, joignons nos fouhaits à ceux des peuples, demandons pour luy qu’il puiffe jouir en paix du fruit de fes heroïques travaux, & pour nous, MESSIEURS, que nous puiffions les admirer & les defcrire avec plus de tranquillité.

 

Dans ces jours calmes & fereins qu’on doit attendre de la juftice du Ciel, j’efpere m’inftruire par voftre exemple & par vos leçons à celebrer des loüanges, dont je ne puis aujourd’huy m’acquitter. Si la loy de mes devoirs me fait fouvent efloigner de vous, d’autres devoirs m’en rapprocheront, en m’appellant auprès du Roy. Je ne perdray aucune occafion de refferrer ces premiers liens d’amitié & de reconnoiffance ; & fi vous aimez tousjours en moy les Autheurs de voqre inftitution, je veux tousjours honorer en vous ceux qui m’ont confervé un bien preferable à tous les autres, & qui n’eft point fujet à la revolution des temps.

 

[1] M. l’Archevefque d’Albi.