Réponse au discours de réception de l’abbé Houtteville

Le 25 février 1723

Edme MONGIN

Réponse de M. l'abbé Mongin
au discours de M. l'abbé Houtteville

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 25 février 1723

PARIS PALAIS DU LOUVRE

    Après que M. l’Abbé HOUTEVILLE eut achevé son Discours, Monsieur l’Abbé MONGIN, Directeur de l’Académie, respondit :

Monsieur,

L’excellent Académicien à qui vous succédez, estoit un de ces hommes recommandables par un mérite plus solide qu’esclatant, &c plus connu des Sçavants que du Public. Riche des plus précieux thresors de l’Antiquité, il n’a montré ses richesses que dans son testament, & dans le despost qu’il en a confié à un illustre Confrère . Ses Ouvrages long-temps annoncez avec éloge, pouvoient sur la foy des Juges les plus esclairez, paroistre avec succès ; mais Monsieur l’Abbé Massieu, tousjours plus ami de la vertu, qu’il n’estoit amoureux de la gloire, a mieux aimé conserver jusqu’à la mort, tout le merite de sa modestie, que de jouir d’une réputation qui auroit peu le rendre plus célèbre, mais qui ne pouvoit jamais le rendre plus estimable.

Vous commencez, Monsieur, une carrière differente, & le Public qui vous est redevable de l’Ouvrage le plus interressant qui puisse occuper la raison, n’aura pas sans doute esté surpris de nostre choix. Il l’auroit esté de nostre oubli ou de nostre lenteur. Vostre jeunesse ne pouvoit authoriser nos retardements. Nous pesons le mérite, & nous n’attendons pas les années. Nous trouvions en vous le Sçavant, l’Orateur & un deffenseur de la Foy ; falloit-il que tous ces titres devinssent surannez pour honorer nos suffrages ?

Nous les devions à ces vives lumières qui ont porté l’evidence jusques dans les profondeurs de la révélation & des divines Écritures. Les Pères de l’Église dont vous nous avez retracé ses vivantes images ; les saints Prophètes que vous nous avez si clairement exposez comme les premiers tesmoins du Messie, & les premiers confidents du Créateur, nous avoient tous parlé pour vous. Et c’est la Religion elle-mesrne conduite par l’éloquence, qui vous a pour ainsi dire ouvert nos portes.

Jusques-icy les Sçavants de l’Antiquité, vos véritables modeles, nous avoient recommandé leurs disciples. Mais ces grands hommes n’ont esté que vos premiers Maistres. Formé dans leur école, vous avez cherché dans des sources plus pures, un objet plus digne de vos talents. Esleve de Demosthene, vous n’avez appris à manier ses foudres, que pour faire tomber ses idoles ; & plein du feu qui l’animoit pour la deffense de la liberté, vous ne luy avez enlevé les traits dont il perçoit se tyran de sa Patrie, que pour en abattre les ennemis de la Religion.

Les Philosophes n’avoient esclairé que la raison, & l’avoient souvent séduite. En admirant Platon, je m’esgare. D’un autre costé je vois les plus sublimes Théologiens raisonner de nos mystères, sans les eclaircir. Mais dans le sçavant Traité que vous nous avez donné de la Religion Chrestienne, vous fixez la raison, & vous affermissez la Foy. La Foy par elle-mesme est obscure, c’est une nuit qu’il faut esclairer, & tant qu’on ne traite que du dogme, on ne sort point de cette nuit profonde. Mais quand on me desvoile tous les siécles, quand d’âge en âge on me presente des faits devenus incontestables par leur enchaisnement, & que je vois que celuy qui precede, desja annoncé luy-mesme, annonce encore celuy qui doit suivre, je-vois alors un flambeau qui m’esclaire & de près & de loin ; je vois une trace & comme une chaisne de lumières, qui me conduit depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours.

A l’esclat de cette lumière immense, mes doutes & mes incertitudes se dissipent ; avec ce fil sacré, fil éternel que je vois dans la main de Dieu mesme, & qui tient depuis le commencement jusqu’à la consommation des siécles, je sors d’un labyrinthe d’erreurs, je marche sans craindre de m’esgarer, & j’évite ces précipices & ces abismes affreux où je vois s’enfoncer les impies & ses incredules.

Pour mieux les convaincre & les reduire enfin à un éternel silence, vous leur avez laissé la liberté de tout dire. Seur de vostre cause & des forces qu’elle vous donne, vous ne craignez point que les coups qu’on peut vous porter, puissent jamais vous affoiblir. Vous voulez une victoire fièrement disputée, & qui vous laisse tout l’honneur d’une longue résistance. Les foibles dans la Foy auront peut-estre tremblé, en, vous voyant si long-temps aux prises avec l’ennemi ; mais à un homme sage & qui veut terminer les disputes, il y a de la patience à escouter l’incredule, & de la prudence à luy laisser espuiser ses forces. Ce n’est pas assez de le vaincre, il faut le faire expirer dans le combat, & tirer de ses veines tout ce sang malheureux qui ne serviroit dans la suite qu’a renouveler le scandale, & à donner de nouveaux défis à la Religion.

Non seulement vos preuves sont victorieuses par leurs forces, vous les avez encore rendues brillantes par le nouvel esclat que vous leur avez donné. Si elles n’avoient esté qu’invincibles, & que vous les eussicz exposées sans ornements, la paresse ou l’indolence les auroit négligées, comme ces armes antiques que leur pesanteur a fait abandonner, & dont on ne peut plus se servir sans en oster la rouille, & sans les rendre plus legeres & plus tranchantes.

En effet, le grand art de persuader sera tousjours celuy de plaire, & on ne plaira jamais avec la raison toute seule & dénuée d’ornements. Il faut présenter le vray sous l’image du beau, & pour entraisner l’esprit par la force des preuves, il faut commencer à gagner le cœur par les graces & par les charmes du discours. La séduction en est permise quand elle conduit à la vérité.

Ce talent rare, & qui n’est connu que des grands Maistres, a esté, Monsieur, bientost senti par un grand Cardinal, dont le goust pour les belles choses, vous a acquis la confiance, & dont le génie pour les grandes nous rappelle tout à la fois & la place, & les titres, & le glorieux ministère du grand Cardinal de Richelieu.

Pour nous, Messieurs, qui voyons parmy nous des Hommes illustres dans les mesmes rangs d’eslevation où nos Pères avoient trouvé leurs premiers Protecteurs, rendons-nous de jour en jour plus dignes de la gloire que nous avons de ne pouvoir plus en trouver que sur le Throsne. Desja le jeune Monarque qui a succédé à ce titre, se haste de succéder encore aux vertus de son immortel Bisayeul ; desja la carrière est ouverte à l’heureux avenir qu’il nous prépare, preparons-luy des éloges. Puisse le Ciel se contenter enfin de nos dernieres allarmes, & d’avoir desja tant de fois éprouvé nostre amour. Puisse le Grand Prince qui vient de luy remettre la souveraine Authorité dans toute sa splendeur, luy inspirer tousjours l’amour de la paix qu’il nous a si habilement conservée. Puisse l’Auguste Prince qui a conduit sa jeunesse, le voir tousjours marcher dans les routes de la justice & de la vérité, dont il luy a donné des leçons & des exemples. La sagesse & la pieté ont formé le cœur du Roy ! que de flateuses espérances dans une conjoncture où les loix viennent de concourir avec la raison, pour développer les principes de tant de vertus !

M. de Sacy.

Traité de la Religion prouvée par les faits.