Funérailles de M. Le Brun

Le 3 septembre 1807

Marie-Joseph CHÉNIER

INSTITUT DE FRANCE.

FUNÉRAILLES DE M. LE BRUN,

Le 3 septembre 1807.

 

L’INSTITUT NATIONAL en exécution de l’arrêté pris dans sa séance du 25 frimaire an 7 a assisté aux funérailles de M. LE BRUN (Ecouchard) (Ponce-Denis) membre de la classe de la Langue et de la Littérature françaises

Le convoi arrivé au lieu de la sépulture M. CHÉNIER, membre de la classe a prononcé le discours suivant :

 

MESSIEURS,

L’Institut vient de perdre un poète justement célèbre. Le Brun n’est plus. Divers travaux ont signalé sa longue carrière; mais quoiqu’il ait obtenu des succès brillans en des genres qui sembloient opposés la poésie lyrique, principal objet de ses études fondera sa réputation. Racine le fils, dont il se félicitait d’être l’élève lui transmit la tradition des beaux vers et la langue de ce siècle mémorable où les Français eurent à la fois du génie et du goût. Ce fut Le Brun qui, jeune encore, intéressa la gloire de Voltaire en faveur de la nièce de Corneille. Le poète lyrique ne parut pas indigne d’être l’intermédiaire entre deux grands hommes. Il osa faire parler l’ombre classique du créateur de la scène française et l’auteur de Mérope entendit la voix de l’auteur du Cid. Imitateur de Pindare Le Brun chanta l’enthousiasme en vers inspirés. Quand les envieux ennemis de Buffon croyaient ternir sa renommée Le Brun vengea l’éloquent philosophe par une ode qui restera dans notre poésie comme monument d’un talent supérieur et d’une amitié courageuse. Ainsi le nom de ce poète habile s’alliait aux noms de ses plus illustres contemporains. Souvent élevé, quelquefois ambitieux dans son style cherchant la hardiesse et ne fuyant point l’audace il célébra tout ce qui donne les hautes pensées : Dieu la Nature, la Liberté le Génie et la Victoire. Tant d’exploits qui depuis dix ans commandent l’admiration des peuples ont ranimé sa vieillesse. Près d’expirer sa voix harmonieuse encore n’est pas restée inférieure à des prodiges les derniers et les plus grands qu’il ait chantés. La postérité juge impassible, dira les qualités qui le distinguent et ne taira point celles qui lui manquent. Pour nous à l’aspect de cette tombe où de vains débris s’engloutissent mais où ne descend point la gloire, en rendant les devoirs funèbres au digne successeur de Malherbe et de Rousseau nous n’avons à faire entendre aujourd’hui que des regrets pour sa perte et des éloges pour ses talens.