Funérailles de M. Berryer

Le 7 décembre 1868

Frédéric-Alfred de FALLOUX

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

DISCOURS

DE M. LE COMTE DE FALLOUX

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. BERRYER

Le lundi 7 décembre 1868.

 

MESSIEURS,

Les hommes qui ont fidèlement suivi M. Berryer dans les Chambres de 1830 et dans les Assemblées de 1848, ceux qui ont appris de lui à comprendre et à défendre les grands intérêts de notre cher pays, doivent apporter aussi dans ce jour de deuil national le tribut de leur inexprimable, de leur inconsolable reconnaissance.

Élevé sous la gloire, Berryer lui voua d’abord, il l’a raconté lui-même, les premières ardeurs de sa jeunesse ; mais bientôt, derrière la gloire, il aperçut le despotisme, il reconnut ses vices, il prévit ses ruines et il se détacha de lui avant la fortune. En face désormais de la vieille royauté rajeunie par des libertés nouvelles, en face de l’ancienne société s’initiant d’elle-même aux progrès modernes, Berryer ne sépara plus ces deux cultes. Sa valeur se révéla dès son premier combat ; il fut le Cid de la tribune : au moment où il terrassait ses adversaires, il désarmait leur ressentiment et il triomphait même de la jalousie. Premier ministre de la parole au département de l’opinion publique, il fut homme d’État dans la plus noble acception de ce mot, sans avoir jamais rempli une fonction ; il fut l’une des plus hautes dignités morales de son siècle, sans avoir jamais porté ni un titre, ni un insigne. Cet ascendant incontesté ne fut jamais consacré à une pensée égoïste ou exclusive. On se souvient en quels termes magnifiques il parla un jour des pacifications d’Henri IV. Ce qu’il poursuivit à son tour, dans un infatigable labeur, sans un seul jour de faiblesse, sans une heure de lassitude ou de découragement, à travers tous les sacrifices et toutes les épreuves, ce fut la pacification des partis, des intelligences et des cœurs parmi ses contemporains, la pacification sincère et loyale, sans l’immolation d’une seule espérance ou d’un seul intérêt populaire. Cette renommée, qui n’avait point eu de modèle et qui n’aura peut-être point d’égale, fut due sans doute à des dons incomparables ; mais elle fut due aussi à ce que ce vaillant, ce fidèle, ce puissant, ce patriote, était au même degré généreux et bon. Il n’a point eu d’ennemi, parce que lui-même ne connut jamais l’inimitié ; il a été universellement, exceptionnellement aimé, parce que personne n’aima jamais d’un amour plus pur, plus désintéressé, plus intime, la vérité, le droit, la liberté, la patrie.

Du ciel où Louis XVI et Malesherbes lui tendaient les bras, du sein de la récompense et de la lumière éternelles, Dieu veuille permettre que Berryer laisse encore tomber sur nous ses inspirations, qu’après nous avoir enseigné à mourir comme à combattre, il continue à nous guider, que les mains qui se sont serrées sur sa tombe demeurent unies, que cette union survive à nos larmes, et que quiconque voudra rendre à Berryer un hommage et un respect dignes de lui redouble de dévouement pour la France, pour sa grandeur, sa sécurité et sa liberté.