Réponse au discours de réception de l’abbé Gédoyn

Le 25 mai 1719

Charles-Claude GENEST

REPONSE DE M. L’ABBÉ GENEST, au Difcours prononcé par M. l’Abbé GEDOYN, le jour de fa Réception.

 

MONSIEUR,

 

Avant que notre choix vous eût appellé à cette place, vous l’aviez acquife, vous l’aviez méritée par un excellent Ouvrage véritablement digne de l’Académie, & qui dans la juftice éxacte, devroit être mis à la tête de nos travaux. C’eft une chofe étonnante que perfonne n’eût encore entrepris de donner en notre Langue une bonne traduction de Quintilien. Ce Maître régulier de l’Eloquence devoit communiquer les lumieres à tous ceux qui recherchent les règles parfaites de cet Art. Nous voyons parmi nous de grands Hommes qui l’ont pratiqué avec fuccès. Mais enfin ces clartez n’étoient données qu’au prix d’une étude pénible. C’eft vous MONSIEUR, qui avez commencé à ouvrir ces leçons, & les mettre à la portée de tous vos Lecteurs. Votre ftile noble, clair & facile contribuera autant que la beauté des chofes même, à imprimer ces préceptes dans tous les efprits. On trouve dans cet Autheur depuis les premiers Elements du Difcours jufques à la perfection de l’Eloquence. Cependant, on s’eft contenté de le citer dans les Écoles ; l’on a négligé d’apprendre de lui l’Art qu’il enfeignoi, cet Art de parler le premier, eft le plus beau de tous les Arts, le plus néceffaire pour le Gouvernement des Etats. N’eft-ce pas l’Éloquence, qui releve la majefté des Loix, & en qui refide la perfuafioin de l’obéiffance ?

 

Ne nous dites point, MONSIEUR, que votre Ouvrage n’eft qu’une traduction. L’élégance & la netteté le rendent Original. Il femble qu’entre les mains d’un habile Homme, les penfées qui fe tranfmettent d’un efprit à l’autre, prennent une nouvelle force & une nouvelle grcve. On ne peut trop louer les heureux Génies, qui faififfent le beau où il eft, & qui fe le rendent propre. Ne doutez point que l’on ne mette au même rang Quintilien & fon excellent Interpréte. C’eft l’ordre pratiqué dans l’Empire des belles Lettres ; Ce qui eft bon une fois, eft toujours bon. Plus il eft imité, plus il eft digne de l’être.

 

Sans aller plus loin, on voit dans quel éclat les Grecs ont mis les Sciences qu’ils avoient empruntées des autres Peuples. Les Latins les ont fuivis, quoiqu’avec moins de force, & fe font enrichis des dépouilles de la Grece, qui font enfin heureufement parvenues jufques à nous. Les belles Copies ont paffé de nation à nation, comme des Originaux. C’eft en Grece que nous placions la fources de toutes les belles chofes ; & quand on a voulu quitter ces principes, qui avoient été reçus par tant d’Hommes fages, tout s’eft dérangé. Les embelliffements même trop recherchez ont tout gâté & corrompu le goût. Ce n’eft qu’en renouvellant les juftes idées des Grecs & des Romains, que nous avons retrouvé les beaux Arts. Il faut prendre garde que par des nouveautez dangereufes on ne s’éloigne de la perfection, en s’écartant du chemin par où l’on y était arrivé. Notre fiécle à la vérité nous a fourni d’heureux Genies, qui fuppléent à une longue recherche des connoiffances que l’on puife dans les Autheurs anciens, & qui joignant leurs réflexions aux inftructions utiles, que donne le commerce du monde, fe font avancez comme d’eux-mêmes dans cette belle carriere.

 

Monfieur de Mimeure, à qui vous fuccédez, peut en fournir une preuve remarquable. Eftimé dès fes jeunes années, il mérita par les talents de fon efprit, d’être appellé auprès de Monfeigneur le Dauphin, pour être Compagnon de fes études. L’affiduité, la probité, le mérite le rendirent recommandable. Il réuffit d’abord à la Cour, & ne réuffit pas moins à la guerre, quand fon attachement de la perfonne de Monfeigneur le Dauphin, ou fon devoir particulier l’appellerent à l’Armée. Il s’éleva par degrez à la charge de Lieutenant General, & il auroit dans le repos de la paix, joui de tous les agréments de la Cour, avec de nobles recompenfes, fi la mort ne lui eût ravi fon augufte Maître.

 

Venez donc, MONSIEUR, nous aider à nous confoler de fa perte. Venez affidu Académicien, comme nous l’efperons, fortifier les travaux où cette Compagnie eft engagée. Vous venez de montrer combien vous êtes capable de répondre aux intentions de fon Fondateur. Son deffein étoit, comme vous le fcavez, de donner à la France tour l’éclat & toute l’utilité des belles Lettres, de purger notre Langue de tout ce qu’elle a de rude, de foible, ou d’imparfait, d’égaler les Chefs d’œuvre d’Éloquence & de poëfie des Anciens, & que pour les Sciences, elle n’eût plus rien à defirer hors d’elle-même. Ces beaux projets font bien avancez, ce me femble. Nous avons une infinité d’excellents Hommes, témoin cette illuftre Compagnie, dont les beaux Ouvrages répandus dans toute l’Europe font aimer notre Langue aux Étrangers. L’Académie doit continuer dans la même gloire fous un jeune ROI qui fera accoutumé de bonne heure à voir ces heureufes productions, qui en entend parler tous les jours, & qui les goûte. Il les animera & vous portera à les perfectionner. L’augufte REGENT qui dès fa premiere jeuneffe pofféda toutes les richeffes de l’efprit, & qui en conferve l’eftime & l’amour parmi les occupations infinies du Gouvernement, verra vos travaux avec une nouvelle attention.

 

Mais voici, MONSIEUR, une époque favorable pour vous & pour nous. Dans un temps où la fin de notre Dictionaire nous laiffe à délibérer des autres occupations où l’Académie doit s’appliquer, après ce travail plus utile que brillant, mais qui dans fon ufage fera connoître de plus en plus fa néceffité & fon importance. Si l’Art de parler eft le premier de tous, y avoit-il rien de plus convenable à entreprendre que ce riche Recueil de mots, diftinguez par leurs fignifications, foit propres, foit figurées, par leurs emplois, par leur force & leur valeur dans les differents ftiles ? qui voudra y faire reflexion, cela regarde tous les Arts, toutes les Sciences, & toutes les conditions. Ces mots examinez avec tant de foin, & à tant de diverfes reprifes, mettent l’efprit en état d’exprimer toutes fes penfées, & de réuffir en tous les genres d’écrire.

 

Vous venez tout à propos, MONSIEUR, avec les lumieres & la méthode de Quintilien pour nous aider dans les travaux où nous fommes engagez. Vous nous fourniffez une nouvelle occafion de repaffer fur tous les préceptes dont eft rempli l’Ouvrage d’un fi excellent Maître. Car bien qu’il paroiffe n’avoir fongé qu’à former un Orateur, il donne des confeils, très-utiles fur ce qu’il y a de plus important pour la Grammaire & pour la Poëfie, il va du moins exciter l’ardeur & l’émulation de l’Affemblée, où nous nous préparons à vous applaudir.

 

Et pour exercer un moment les fonctions de la place que j’occupe aujourd’hui, permettez-moi, pendant que j’y fuis, de vous exhorter à y répandre fouvent l’ufage des talents qui vous ont fait un fi grand honneur dans votre premier Ouvrage ; & furtout que l’égalité & l’agrément de votre humeur, la modération à écouter & à concilier les avis differents, confirment parmi nous l’union & l’accord qui font toûjours néceffaires pour maintenir les Compagnies dans toute leur fplendeur.