Funérailles de M. le duc de Bassano

Le 15 mai 1839

André DUPIN

ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

FUNÉRAILLES DE M. LE DUC DE BASSANO.

DISCOURS DE M. DUPIN,
PRÉSIDENT DE L’ACADÉMIE,

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES
DE M. LE DUC DE BASSANO,

Le 15 mai 1839.

 

MESSIEURS,

Nos pertes se multiplient : une époque longtemps glorieuse n’offre plus dans chaque carrière que des vétérans ; et chaque jour amène la disparition de ces hommes à grande renommée dont la fortune s’éleva avec la fortune de la France, et subit les mêmes revers.

Hugues-Bernard Maret, duc de Bassano, naquit à Dijon en 1763. Il est mort à soixante-seize ans, laissant après lui une longue suite de souvenirs littéraires et politiques qui se rattachent à toutes les phases de la révolution.

Ses premières études furent dirigées vers l’artillerie et le génie. Il n’était encore qu’élève se préparant aux examens lorsqu’il concourut pour un prix proposé par l’Académie de Dijon. C’était l’éloge de Vauban. Carnot, qui déjà se faisait remarquer parmi les officiers du génie, fut couronné ; mais son jeune rival obtint le second rang dans le concours.

Dans cet essai des forces de son esprit, dans ce goût précoce pour les lettres, Maret se montrait fidèle aux traditions de sa famille. Son père, homme de mérite, était secrétaire perpétuel de l’Académie de Dijon, corps illustre, noble expression de l’esprit libéral et hardi de cette antique Bourgogne, où le génie des lettres savait s’allier à l’énergie des courages et à l’élévation des caractères.

Des raisons particulières déterminèrent le jeune Maret à changer de carrière. Il se destina à l’étude des lois, et se fit recevoir avocat. C’était une préparation à l’étude du droit politique.

Au début de la révolution, il vint à Paris. Son inclination le portait à suivre avec assiduité les séances de l’assemblée constituante ; et il conçut l’idée d’analyser et de reproduire les discours des Orateurs de cette époque dans un Bulletin, qui devint ensuite la partie la plus intéressante du Moniteur. Il acquit ainsi tout à la fois et une grande habitude d’écrire, et une connaissance profonde de toutes les questions qu’avait soulevées le mouvement social de cette époque mémorable.

Son goût l’avant dirigé vers la diplomatie il fut chargé de plusieurs missions ; et il se rendait à Naples, en qualité de ministre plénipotentiaire, avec M. de Sémonville, nommé ambassadeur à Constantinople, lorsqu’ils furent arrêtés l’un et l’autre, et constitués prisonniers de l’Autriche, au mépris du droit des gens. On les retint comme otages, jusqu’à l’époque où ils furent échangés contre la fille de Louis XVI.

Dans cette détention, qui dura vingt-deux mois, les lettres devinrent pour M. Maret une source de consolation.

Il dut d’abord au souvenir que les académiciens de Mantoue avaient conservé du mérite de son père, une intervention bienveillante qui lui valut sa translation dans une meilleure prison.

Sa situation étant ainsi devenue plus tolérable, il se livra à diverses compositions littéraires qui calmèrent ses ennuis, et qui formèrent plus tard ses titres d’admission à l’Académie française.

Rendu à la liberté, et dès le temps du Directoire, M. Maret fut de nouveau employé à différentes négociations diplomatiques.

Le consulat et l’empire s’emparèrent ensuite de lui ; et soit dans les fonctions de secrétaire d’État, soit comme ministre des relations extérieures, il prit une part assidue à toutes les affaires et à la plupart des négociations qui marquèrent cette brillante période de nos annales.

Investi de la confiance de Napoléon, il était au milieu des ministres du cabinet l’inverse d’un président du conseil, puisqu’il n’en était que le secrétaire ; mais la perpétuité même de cette fonction le constituait confident de tous les secrets de l’empire et l’archiviste de la politique nationale.

L’empereur, pour récompenser ses services, le créa duc de Bassano, et l’éleva par degrés jusqu’au grade de grand-croix de l’ordre de la Légion d’honneur, dont il méritait, dans ces derniers temps, de devenir chancelier.

Fidèle à Napoléon tant que la fortune le seconda, il le fut également au jour des revers ; et dans les Adieux de Fontainebleau, à côté de ces guerriers qui se pressent encore une fois autour de leur général et le couvrent de leurs drapeaux, on voit une noble figure sur laquelle viennent se peindre de fidèles douleurs : c’est celle du duc de Bassano, le seul des ministres de l’empire qui soit resté jusqu’au dernier moment auprès de l’empereur !

Cette fidélité aurait mérité de trouver faveur devant un nouveau pouvoir…

Mais elle n’attira que des disgrâces au duc de Bassano…

Et la place de ministre de l’intérieur par intérim, qu’il avait acceptée pendant les Cent-jours, dans le seul espoir de rendre encore quelques services, lui valut bientôt l’exil.

La réaction fut poussée au point de lui ravir même ce titre de membre de l’Institut, qui, par sa nature et la manière dont il est déféré, semblait au-dessus des atteintes du pouvoir et de la vengeance des partis ! La royauté fit ainsi violence à l’indépendance des lettres ; mais leurs droits imprescriptibles furent proclamés par nous dès qu’il nous fut possible de rappeler dans nos rangs le duc de Bassano.

Vous savez, Messieurs, combien notre illustre confrère se plaisait à l’Académie, avec quelle exactitude il venait partager vos travaux, son empressement à se charger de nos rapports, l’aisance de son style, le charme plus grand encore de sa parole et l’amabilité séduisante de sa conversation.

Son cœur mérite d’être loué plus encore que son excellent esprit. En lui tout était bienveillant ; l’habitude des grandes affaires ajoutait à l’aisance avec laquelle il traitait les petites ; il ne dédaignait aucune bonne manière d’être utile ou agréable aux autres ; et la dignité qui lui était naturelle se maintenait toujours à côté d’une modestie qui ne l’était pas moins.

Messieurs, sur cette tombe qui enserre le duc de Bassano et le réduit aux proportions de l’humanité, ce n’est point un éloge que j’ai prétendu faire. Une vie si pleine de faits remarquables, si intimement liée à des événements importants, veut être racontée avec plus de détails. Ce devoir sera rempli,

Mais c’est ici le lieu des vives douleurs, c’est le temps des larmes, c’est le moment des longs adieux

Si tout ce qui fait aimer l’homme est aussi ce qui le fait regretter sur cette terre, je ne crains pas de le dire, jamais regrets, si imparfaitement exprimés, ne furent mieux sentis.